Newpharma: les (e-)pharmaciens face à leurs défis

Portrait
Par · 11/12/2018

Avec une croissance moyenne annuelle de 52% depuis ses débuts voici 10 ans (40% en 2018), Newpharma pourrait estimer avoir assuré sa place sur un créneau porteur – lisez: la vente de produits (para-)pharmaceutiques hors ordonnance.

Créée voici 10 ans, la société affiche désormais un chiffre d’affaires de plus de 60 millions, un effectif de près de 200 personnes, et une présence dans 13 pays (plus de détails dans l’encadré en fin d’article). Mais les défis sont nombreux et la mutation constante du secteur implique de demeurer “proactif”. Comme on le verra plus loin, la marge de progression des ventes de médicaments (hors prescription) en-ligne est encore importante. La vente de médicaments sous prescription pourrait doper le marché. Et la concurrence est loin d’être absente.

Aux yeux de Jérôme Gobbesso, co-fondateur et patron de la société, il est important que le marché belge garde au moins un acteur local, “l’un des risques étant que la santé publique belge, au-delà de la simple dimension de l’e-pharmacie, soit gérée par des opérateurs étrangers. Cela a déjà commencé avec le tourisme santé. Cela pourrait aussi passer par des consultations [médicales] virtuelles. Online Doctor, acteur britannique [LloydsPharmacy], a voulu le faire mais a été bloqué pour des raisons légales. Mais, un jour ou l’autre, l’Europe l’autorisera… Si des sociétés étrangères opèrent en Belgique, les recours des autorités seront limitées.”

Des solutions IT développées en propre

Acteur de l’e-commerce, Newpharma n’a pas voulu recourir à des solutions commerciales toutes faites. Au contraire, les solutions développées l’ont été en propre, dès le départ, en s’appuyant sur une équipe de développeurs située en Roumanie (société d’ailleurs rachetée entre-temps et devenue antenne Newpharma à part entière). Tous les volets des activités sont concernés par cette approche de développement interne: “POM” (Pharmaceutical Order Management system), solution B2C, e-commerce, gestion de la chaîne logistique, marketing digital…

Pourquoi ce choix d’une solution “maison”? Philippe Detry, CIO depuis quatre ans, explique – et confirme la validité, encore actuelle, de ce choix de départ par la trop grande mouvance des activités de la société. “Nous devons conserver une agilité totale pour faire face aux évolutions de volumes – en termes de produits référencés, de commandes, d’utilisateurs…”

Signe révélateur: aucun équipement, aucune ligne, dans l’entrepôt logistique n’est boulonné au sol. “Nous modifions régulièrement l’emplacement du mobilier et des machines en fonction des volumes et de l’évolution du catalogue. Toute robotisation ou automatisation serait rapidement dépassée par les changements. Notre priorité est de demeurer agile.” 

Si l’IT est à la manoeuvre pour guider les opérations de prélèvement sur stocks, pour préparer les commandes par exemple, le “picking” n’est pas automatisé. Pas de robot dans les entrepôts et pas question d’y recourir. La mise en boîte des articles commandés (“colisage”) se fait manuellement, avec lecture, à plusieurs reprises le long de la chaîne, des codes-barres pour vérification. Un test d’automatisation du prélèvement initial dans les stocks est toutefois en cours avec Colruyt (entré au capital en 2017) mais “nous n’en sommes encore qu’au stade de la réflexion”, souligne Philippe Detry.

Autre petit exemple à l’heure où l’on confie de plus en plus des décisions à la “machine” ou au logiciel, le mode d’emballage est laissé à l’appréciation de l’opérateur. “Il y a toujours cette dimension de l’“intelligence du geste”. Nous n’avons pas encore trouvé l’algorithme qui pourrait remplacer cela…”

Autre exemple d’équilibre entre décision humaine et assistance informatique: le contrôle des commandes passées. A la manoeuvre, une équipe de cinq pharmaciennes (pour l’instant, il n’y a pas d’homme dans l’équipe).

Jérôme Gobbesso (NewPharma): “Le métier de pharmacien va nécessairement évoluer. Quant au métier de pharmacien en-ligne, il ne s’agit en rien de le galvauder. Le but n’est nullement de transformer le pharmacien en pantin mais de transformer le conseil pour pouvoir aussi le donner en-ligne.”

Ce sont elles qui, à longueur de journée, valident les commandes. Et pas uniquement celles incluant des médicaments (sans prescription). “Lorsqu’un client se crée un compte, des informations ou remarques concernant sa santé sont collectées. C’est important pour certaines contre-indications ou allergies. Par ailleurs, certains produits ont été catégorisés comme relevant d’une médication. Certains compléments alimentaires ont en effet des effets secondaires non négligeable. le millepertuis par exemple peut induire de la somnolence.

Nos pharmaciennes ont le dernier mot. Si elles constatent par exemple une surconsommation de produit, elles ont l’autorité pour les retirer de la commande ou pour annuler la totalité de la commande.”

Pour évaluer les risques de sur-consommation par exemple, l’historique des commandes est important. A ce niveau, l’analyse et la surveillance sont certes confiées à un logiciel mais, insiste-t-on chez NewPharma, “la décision finale revient toujours à la pharmacienne. Le logiciel n’est là que comme outil d’aide à la décision. Et nos pharmacien(ne)s ont été impliqué(e)s dans la conception de la solution d’analyse logicielle.”

Gérer la croissance

Qui n’avance pas recule, a-t-on coutume de dire. Jérôme Gobbesso y ajoute un autre danger: “Plus une société grandit, plus elle a tendance à ralentir. Le principal défi est donc de ne pas sombrer dans l’immobilisme et de rester agile.”

Pour lui, agilité et efficacité seront les deux moyens pour se maintenir et pour résister aux concurrents (voir ci-dessous). Une “efficacité” qu’il juge indispensable à tous niveaux – opérationnel, marketing… “Cela passe avant tout par la satisfaction du client.” Pas de mystère à cet égard: “il s’agit de lui procurer un ensemble de produits au meilleur prix et avec les meilleurs services possibles.”

“L’hypocrisie du muselage publicitaire”

En termes de visibilité, l’e-pharmacie doit encore compter avec la position de l’Ordre des Pharmaciens qui exige une “publicité discrète et qui ne soit pas faite dans un but de démarchage”. C’est “hypocrite”, estime Jérôme Gobbesso. La loi nous autorise à faire de la publicité mais l’Ordre des Pharmaciens, à qui une partie du pouvoir juridique a été dévolu, fait barrage. Or, comment faire “discrètement” de la publicité et, si on fait de la publicité, c’est forcément du démarchage. La façon de présenter les choses est donc hypocrite.”

Newpharma ne se prive d’ailleurs pas de faire de la publicité, se récoltant des procès à répétition. Mais qui n’ont encore débouché que sur des blâmes. La société, en tant que telle, ne risque rien. Par contre, sa pharmacienne titulaire risque une radiation…

Autre preuve de l’hypocrisie de l’Ordre, selon Jérôme Gobbesso: “la seule publicité qu’ils admettent est celle faire par le canal de la télévision. Qui est pourtant celle qui a le plus haut taux d’exposition. Pourquoi le permettent-ils? Parce qu’il serait difficile de justifier une autorisation de publicité à un acteur étranger tel que Pharmaline/Shop-Apotheke, interdiction impossible, et une interdiction pour un acteur local…”.

La volonté en tout cas est de poursuivre la croissance. NewPharma dit vouloir engager entre 50 à 100 personnes par an pendant les trois prochaines années. Priorités? “Conforter notre position de n°1 en Belgique, accentuer la présence en France et aux Pays-Bas.” Cela passera notamment par une augmentation des effectifs. A priori, la piste des acquisitions n’est pas la voie privilégiée. Même si, par le passé, la société a “saisi l’opportunité” française en rachetant successivement Paraseller, Parafemina et MonGuideSanté. De quoi étoffer son catalogue de clients.

A ne pas oublier, la Suisse où la société vient de s’implanter, via un partenariat avec Pharmacie Principale, une enseigne de pharmacie “classique” qui n’était pas encore présente en-ligne. “Après, nous étudierons l’opportunité d’ajouter de nouveaux pays.”

Mais le patron de Newpharma ne vise pas une extension tous azimuts: “notre but n’est pas d’être présent dans 50 pays en même temps pour y faire uniquement de la figuration mais plutôt d’être dans le Top 3.”

La concurrence

Sur son marché natal, le principal concurrent de Newpharma est PharmaLine, né belge mais passé entre les mains de Shop-Apotheke… opérateur établi aux Pays-Bas, pour des raisons de facilité régulatoire, mais de nationalité et aux capitaux allemands. Cet acteur a d’ailleurs conservé la marque PharmaLine pour ses activités en Belgique.

D’autres acteurs pourraient-ils venir lorgner le marché belge? Difficile, évidemment, de le dire. La taille du marché n’est pas un hochet particulièrement attirant. Par contre, il est vrai qu’il y a encore de la marge de progression en termes de ventes.

Quelques chiffres…

Les pays européens les plus matures en termes de vente et de consommation de produits pharmaceutiques, voire médicamenteux, vendus en-ligne sont l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni “où de 15 à 20% des médicaments sont déjà vendus en-ligne”. En Belgique, le pourcentage n’est encore que d’environ 6% (en termes de valeur). Il est encore nettement moindre en France (environ 2%).

Nuançons ce chiffre de 6%… “En Belgique, une commande sur trois et demi inclut un médicament (sans prescription), souligne Jérôme Gobbesso. “En volumes, le pourcentage commandé en-ligne est donc plutôt de l’ordre de 15% par rapport à la totalité des ventes de médicaments hors prescription.”

Revenons-en à la question du “quel concurrent potentiel”? Côté “majors”, Jérôme Gobbesso ne voit guère qu’un nom: Amazon. L’ombre de son arrivée plane-t-elle pour autant? “Si Amazon entre sur le marché d’e-pharmacie, ils le feront sans doute au niveau européen en ciblant d’abord quelques grands marchés tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la France. La Belgique ne serait qu’une cerise sur le gâteau…”

Quid de l’extension du marché que permettrait la vente en-ligne de médicaments avec prescription et qui pourrait augmenter l’attrait du marché? En Belgique, selon le patron de NewPharma, on en est encore loin même si l’idée fait son chemin. Et ce n’est pas l’Europe qui mettra le holà puisqu’elle a laissé toute liberté aux Etats-membres de prendre une décision en la matière. L’Allemagne, les Pays-Bas, certains pays nordiques l’autorisent d’ailleurs déjà.

“En Belgique, la position évolue, en tout cas du côté politique. Même s’il n’y aura sans doute pas de concrétisation sous cette législature. Il faudra donc voir quelle sera la position de la future majorité fédérale…” Son message toutefois: “nous désirons être impliqués dans la réflexion pratique qui se mettra en oeuvre.”

A noter à cet égard le cas spécial de la Suisse: la vente en-ligne de produits pharmaceutiques hors prescription n’y est pas permis. Par contre, les e-pharmacies peuvent y vendre… des médicaments faisant l’objet d’une prescription. Raisonnement suivi par les autorités helvétiques: pas de vente en-ligne sans prescription pour éviter la surconsommation. Ce qui répond à une certaine logique…

L’avenir du pharmacien

NewPharma et ses homologues sont venus et continueront de “disrupter” le secteur de la pharmacie.

“L’avenir du pharmacien n’est pas forcément de vendre en-ligne”, déclare Jérôme Gobbesso, “mais il doit obligatoirement se réinventer. On peut imaginer des regroupements entre pharmaciens, pour économiser sur les frais de fonctionnement, proposer des heures d’ouverture plus larges, ou encore qu’ils se spécialisent. L’une des voies est celle d’une spécialisation dans l’observance de la médication et le suivi-conseil du patient. Le pharmacien pourrait transformer son officine en cabinet de suivi de traitement, redevenir un réel pharmacien et non plus un épicier…”

Autre menace potentielle: l’arrivée des retailers ou l’ouverture de guichets dans les grandes surfaces, voire dans d’autres types de points de vente. Ainsi, la piste des stations-service avait-elle notamment été évoquée aux Pays-Bas avant qu’ils ne fassent marche arrière…

Newpharma en quelques faits et chiffres

– idée originale imaginée en 2016 – site opérationnel en 2008, hors vente de médicaments sans ordonnance; ce volet se rajoutait un an plus tard, lorsque la loi belge l’a autorisé
– chiffre d’affaires 2017: 63 millions d’euros ; progression 2018: + 40%
– actif dans 13 pays
– catalogue: quelque 35.000 références (dont 17.000 en stock; le reste passant par 5 grossistes) et 1.500 marques
– environ 120.000 livraisons par mois (51% en Belgique, 33% en France, 10% aux Pays-Bas, 5% en Allemagne
– 2017: entrée au capital, à hauteur de 65%, de Korys et Colruyt; répartition: Korys: 39%; Colruyt: 26%
– effectifs: 92 permanents, 52 intérimaires ; parmi eux: 5 pharmacien(ne)s
la société envisage d’engager “de 50 à 100 personnes par an” jusqu’en 2020
équipe IT: une quarantaine de personnes ; dont 32 développeurs (en Roumanie) ; on y trouve par ailleurs 5 analystes et plusieurs ingénieurs système
– superficie des entrepôts (stockage et colisage): 7.600 m2 (la construction d’un nouveau bâtiment de 20.000 m2 est “sérieusement” envisagée – toujours à Wandre, près de Liège).