Magic Loom: nouveau petit “spirou” de la production virtuelle

Portrait
Par · 24/02/2022

Magic Loom, “premier studio belge de production virtuelle”, a officiellement été baptisé à Charleroi ce 23 février. Pour être plus précis: à Marcinelle, dans les locaux de Dreamwall.

Pour lui donner naissance, quatre partenaires ont fait cause commune, appuyés par deux investisseurs plus institutionnels.

Côté partenaires: le studio de développement de contenus et projets immersifs PoolPio, d’origine bruxelloise mais disposant d’une antenne carolo depuis près de trois ans ; Dreamwall, de souche carolo, qui apporte son plateau, son expertise en matière de création (télé)visuelle ; Digital Golem, studio spécialisé en effets spéciaux pour le cinéma et le monde de la publicité (lui aussi d’origine bruxelloise) ; et l’antenne wallonne de K6 Media Group, centre de formation et de certification d’origine canadienne orienté compétences et profils pour créations 3D, animation virtuelle/immersive, motion capture et temps réel.

Il faudrait encore y ajouter l’Université de Mons, pour des solutions et compétences en capture des mouvements, et SoftCell Digital Solutions, du groupe HPE, choisi comme fournisseur des “bécanes” de calcul temps réel.

Côté investisseurs, les deux parrains sont Sambrinvest et WallImage.

Opportunité yin yang

Magic Loom se veut la synthèse, la rencontre, de deux mondes, de potentiels et d’“outils” technologiques venus du secteur du gaming et de celui de l’audiovisuel “classique”. Parmi les solutions qu’il utilise par exemple, la prévisualisation 3D en VR, le moteur de jeu Unread d’Epic Games. Depuis quelques années, le monde du cinéma a découvert tout le potentiel de tels outils (une autre solution très utilisée est celle de Unity Technologies) et s’en nourrit de plus en plus abondamment. Autres techniques:

Positionnement de Magic Loom: la production virtuelle temps réel de contenus (visuels) destinés à la fois au cinéma, aux producteurs de séries (pour diffuseurs, chaînes de télévision ou plates-formes du genre Netflix, Amazon, Disney…) ; la création de contenus et d’univers AR/VR/XR (réalité hybride, réalité étendue), eux-mêmes destinés à des finalités de récréation, de gaming, d’e-sport, voire de métavers.

La notion de “temps réel” ici s’applique à la (pré-)production de séquences cinéma ou de séries. Car, en réalité, tout une partie de ce qui est produit est du différé. Le “différé”, simplement, n’est plus celui que l’’on a connu.

Explication…

Le champ d’expertise de Magic Loom est celui des effets visuels numériques qui génèrent des plans, décors, contextes, univers “immersifs et photoréalistes”, sur et dans lesquels viennent se greffer, se superposer des captations et scènes réelles (d’acteurs par exemple). Les éléments, réels ou fictifs, sont assemblés, pré-visualisés, “corrigés” dans le moteur de jeu. Les “simulations” sont effectués à même la caméra avec juxtaposition/superposition des mondes réel et virtuel.

Tous les contenus virtuels, modulables et modifiables à l’envi en “temps réel” (c’est-à-dire au moment de la prise finale) sont pré-existants. Les producteurs n’ont plus qu’à les piocher, à les injecter dans la caméra. La gestion des contenus permet “de faire interagir des personnages et éléments réels avec les éléments 3D pour donner l’illusion d’une parallaxe”, explique Hervé Verloes, cofondateur de PoolPio et de Magic Loom.

Le “différé”, c’est donc ce socle virtuel préexistant, ces images – réelles ou de synthèse – qui doivent être prêtes, avoir été captées ou créées en amont.

Innovation locale

Au-delà des solutions logicielles pré-existantes sur le marché, Magic Loom compte exploiter des potentiels et créations ayant vu le jour localement. C’est le cas des développements issus de l’institut Numédiart de l’UMons. Notamment dans le registre de la capture de mouvements (motion capture) à l’aide de capteurs infra-rouge. Ou encore le dispositif mis en oeuvre dans le studio de Dreamwall qui consiste en un mur-écran et en un immense plafond fait de LED produisant des lumières de rebond qui fusionnent et prolongent le décor virtuel 2D pour obtenir un décor et des effets 3D. “Avec adaptation automatique de la position du décor sur l’écran en fonction de l’angle de vue adopté par la caméra”.

Un volet non négligeable des activités du studio sera celui de formation professionnelle. Et ce, via l’un de ses partenaires fondateurs: K6 Animation Institute. Cette antenne locale, basée à La Hulpe, du canadien K6 Media Group, opère depuis environ un an comme centre de formation en animation et technologies temps réel (au programme, notamment, motion capture, formations aux outils Unreal, Maya, Blender…, programmation C++…).

Sa cible: les enseignants et les formateurs (écoles de 3D, jeux vidéo, effets spéciaux..) et les futurs professionnels.

Les cours sont donnés soit à La Hulpe, soit chez Magic Loom (pour le motion capture et la production virtuelle). Le studio carolo envisage par ailleurs de mettre du matériel à disposition des (hautes) écoles et universités belges. Notons encore que des liens ont d’ores et déjà été cités avec le centre de formation aux métiers numériques (secteur médias) Charlewood.

Un studio “touche à tout”

Profitant de cette convergence (de technologies et de pratiques) entre le monde du gaming, de la XR et de l’audiovisuel, PoolPio, on l’a vu, vise un panel diversifié de marchés et clients potentiels: producteurs de cinéma, de séries, de jeux, créateurs d’événements e-sport, spécialistes XR… 

Magic Loom se veut à la fois un lieu mettant moyens techniques et compétences à disposition pour des tournages et réalisations, et un prestataire de services “transversaux”, un panel de compétences variées et complémentaires que la jeune société espère pouvoir également exporter au-delà du territoire local.

Hervé Verloes (Magic Loom): “Nous ne pouvons pas nous permettre de nous concentrer sur un seul secteur comme peuvent le faire les gros studios étrangers.”

Le caractère hybride, multi-cible, du positionnement de Magic Loom est à la fois une force et une faiblesse, un positionnement original, pouvant ouvrir de multiples horizons, et un choix forcé. C’est en tout cas l’analyse qu’en fait son co-fondateur, Hervé Verloes.

Même si Magic Loom est en effet le premier studio belge de ce type, il est loin d’être le seul sur le marché. Selon le co-fondateur du studio, il en existe déjà quatre en France (dont trois basés à Paris, le quatrième à Marseille). Quatre studios également au compteur de l’Espagne, un pays qui, lui aussi, a une riche histoire de lieux de tournage cinématographique mais qui est par ailleurs… le pays choisi par un certain Netflix pour des productions.

Autres pays où des studios de production virtuelle ont déjà vu le jour: la Finlande, l’Allemagne, les Pays-Bas. La concurrence est donc nombreuse, menaçante et proche… “Raison pour laquelle il était essentiel de se lancer aujourd’hui. Dans cinq ans, la production virtuelle sera devenue l’un des modèles de production cinéma les plus répandus.”

To be or not to be…

Et face aux moyens plus importants dont disposent les homologues étrangers de Magic Loom, le studio carolo n’avait d’autre choix que de jouer la carte de la multi-compétence. “Nous touchons d’ores et déjà aux séries, aux courts métrages, à l’animation, à l’e-sport [Ndlr: un projet est en cours de montage avec Walga]… Nous ne pouvons pas nous permettre de nous concentrer sur un seul secteur comme peuvent le faire les gros studios étrangers. Nous sommes obligés de toucher à tout. Cela a ses avantages mais aussi ses inconvénients dans la mesure où cela nous oblige presque à être bon dans tout…”

Progresser vite

Hervé Verloes l’admet, il faudra rapidement engranger les clients et les projets. Il faudra aussi penser à financer plus solidement et durablement l’initiative. Pour l’instant, les moyens financiers réunis sont encore relativement modestes, au vu des technologies et domaine concernés – et de leur évolution rapide.

Moyens actuels: 1,2 million d’euros. Répartition: 600.000 euros en capital (dont 150.000 euros venant de Sambrinvest et 250.000 venant de Hervé Verloes et Boris Walravens, co-fondateurs de PoolPio) ; 300.000 euros en prêts convertibles (Sambrinvest et Wallimage jouant ici à parts égales) ; le solde (300.000 euros) étant constitué par du financement bancaire et du leasing. 

“Il faudra assez rapidement trouver de nouveaux fonds à la fois pour investir en R&D et pour assurer la robustesse opérationnelle de la structure”, déclare Hervé Verloes. “2022 est une année-test. La rentabilité n’est pas encore au rendez-vous. Nous devons prouver rapidement ce dont nous sommes capables.”

Notamment parce que les concurrents sont nombreux à l’étranger et ont des moyens financiers sensiblement supérieurs à ce que permet encore à ce jour le terreau wallon (ou belge).

Hervé Verloes souligne d’ailleurs que convaincre les investisseurs fut un long et difficile travail de conviction depuis deux ans. Surtout du côté d’interlocuteurs venus ou familiers du monde du cinéma. A l’heure actuelle encore, les investisseurs qui sont le plus à l’écoute viennent du monde du gaming

Et c’est d’ailleurs vers eux et, plus spécifiquement, vers les fonds spécialisés, que se tournent tout d’abord ses regards pour cette prochaine levée de fonds qu’il dit déjà essentielle. 

Le travail “de pédagogie et d’évangélisation” est loin d’être terminé.

Du virtuel pour gagner du temps et de l’ampleur

Bien au-delà du fait de pouvoir jongler et manipuler décors et éléments de décors (ce qui, en soi, n’est pas nouveau), l’argument essentiel sur lequel jouent des sociétés telles que Magic Loom est de permettre des productions visuelles beaucoup plus rapidement. En évitant par exemple le déplacement d’acteurs, d’équipes de tournage, sur le terrain. De pouvoir créer et faire varier des scènes d’un simple “clic”. En voici quelques exemples cités par Hervé Verloes…

“Filmer un coucher de soleil (virtuel) dans le désert marocain, à 10 heures du matin, à Marcinelle”.

Faire basculer en temps réel un décor de nuit en décor de jour ou l’arrière-plan d’une forêt vers celui d’une grotte souterraine. En un quart de seconde.
“Filmer, en deux jours, 20 minutes de contenus pour une série télé qui, par des pratiques traditionnelles, aurait exigé le déplacement de 45 personnes sur le terrain pendant 10 ou 15 jours” (la série en question, l’un des tout premiers clients de Magic Loom, est la série néerlandaise Goldenwolven).

Première réalisations

Magic Loom, à peine sortie des cartons, a déjà quelques premières réalisations à son actif. La jeune société a ainsi généré les décors d’une série télé néerlandaise (Goldenwolven) ainsi que des prises virtuelles pour une websérie où l’on retrouve un certain Benoît Poelvoorde.
Citons encore, dans un autre registre, la réalisation d’un concert live en XR (Zwangere Guy).

Gain de temps aussi pour les prises virtuelles effectuées pour une websérie (Smartphone ICU) où l’on retrouve un certain Benoît Poelvoorde. “Pour les besoins de la série, il aurait fallu filmer 100 épisodes dans une cinquantaine de lieux différents… Magic Loom leur a permis de réunir tous les acteurs en même lieu, pendant un laps de temps restreint, avec tous les décors…”

Gain de temps, réduction des coûts de tournage et de production, accélération du lancement commercial des productions…
“Aujourd’hui”, souligne encore Hervé Verloes, “les séries sont tournées avec les mêmes dispositifs que les productions de cinéma. Il est dès lors important de pouvoir offrir aux séries belges [notamment] les mêmes potentiels que les grosses productions de type hollywoodiennes”.

Virginie Nouvelle, directrice générale de Wallimage, abonde dans le même sens: “La demande de contenus est en forte croissance. Avec, notamment, les plates-formes qui sont prêtes à investir massivement. En créant Magic Loom, le but est donc de se positionner comme early adopter.” Et de saisir ou de tenter de saisir la balle au bond. Tant qu’il en est encore temps…

“La concurrence entre les plates-formes de streaming et les studios de cinéma traditionnels”, raisonnent les parrains de Magic Loom, “entraîne une compression globale des ressources de production de contenu. Netflix, Disney+, Apple+ se tournent vers la production rapide de séries de fiction à haut budget, investissant de plus en plus de moyens dans la production européenne”. La Belgique, la Wallonie, veut sa part du gâteau.

Le moment où jamais… mais sans naïveté. Pour preuve, cette petite phrase des partenaires à l’initiative de Magic Loom: “Magic Loom se veut un first player [Ndlr: au sens d’early player], ce qui comporte un risque considérable; il faudra du temps pour que le marché adopte pleinement l’outil, et son succès dépendra également de l’attraction des incitants wallons pour les co-productions étrangères, dont le profil est plus propice à l’utilisation des studios virteels”.

A tous les étages de cette phrase on retrouve l’analyse que fait Hervé Verloes de la situation et de l’urgence qu’il y a à ses yeux, comme on l’a vu plus haut, de faire ses preuves rapidement…