LeanSquare: “viser la spécialisation et les dossiers plus robustes”

Portrait
Par · 26/02/2020

Après plus de cinq ans d’activités, LeanSquare, mi-accélérateur, mi-fonds d’investissement pour start-ups de la “nouvelle économie”, tire un bilan qu’il estime plus que satisfaisant. 13,1 millions d’euros investis dans quelque 48 dossiers, ayant entraîné un mouvement plus large de financement par divers acteurs atteignant un total de 74,7 millions. Et un afflux de start-ups, d’origine liégeoise ou non (en ce compris quelques-unes venant de l’étranger), qui s’est fait jour, venant chercher en “région ardente” aide financière, conseils et encadrement. Ses rencontres “One Hour Challenge”, qui permettent en un temps limité à un porteur de projet de venir présenter son dossier à un petit jury pour, éventuellement, déboucher sur un accompagnement, affichent plus de 250 rendez-vous au compteur. Autant dire que LeanSquare ratisse large pour alimenter son “funnel”. Et c’est sans compter d’autres canaux via lesquels des jeunes pousses peuvent se manifester…

Son avenir, LeanSquare le voit sous le signe d’une spécialisation croissante, d’un “renforcement de l’accompagnement post-investissement” et d’un effort davantage porté vers des dossiers “plus robustes”.

Voilà qui mérite bien un mot d’explication…

“Grandir mais aussi mûrir”

“Grandir mais aussi mûrir.” L’expression est de Laurent Burton, président du conseil d’administration de LeanSquare et membre du comité d’exécutif de NoShaq (ex-Meusinvest).

L’intention de l’accélérateur/fonds d’investissement est d’“avancer vers des investissements plus sélectifs et plus qualitatifs, plus ciblés, mais aussi plus intenses” et de sélectionner davantage des dossiers qualifiés de “robustes”.

C’est-à-dire? Ben Piquard, directeur de LeanSquare, replace cette évolution dans le droit fil de celle qui a prévalu depuis les débuts de l’initiative, à l’époque où elle était encore une des seules, en Belgique francophone, à s’intéresser aux stades pre-seed et seed des start-ups numériques.

Les acteurs s’étant entre-temps multiplié, LeanSquare a progressivement effectué un léger repositionnement vers le haut de la chaîne de création et de maturation des start-ups. Son début de stratégie de spécialisation (voir plus loin dans l’article) en est l’un des signes. Un autre est le chapitre “scale-up” qu’il inaugure.

“Expérience aidant, nous avons désormais une meilleure vision et compréhension des quatre phases de développement d’une start-up: formulation de l’idée – pré-test avec de premiers clients – transformation de ces premiers potentiels en un business plan véritable – organisation et structuration de la start-up pour la phase de croissance. Chaque stade nécessite une démarche et des outils différents.”

Ces outils, LeanSquare veut les déployer en sollicitant à la fois ses propres ressources et celles d’Eklo, nouveau nom du CEI Cide-Socran, acteur de l’accompagnement d’entreprises et de projets d’innovation (aide au développement, à la gestion commerciale et administrative…) mais aussi celles d’ID Campus. “Ensemble, nous avons toutes les composantes nécessaires pour proposer un ensemble de services plus structuré – depuis le stade de l’idée jusqu’à celui de la scale-up. Et nous disposons par ailleurs désormais d’une masse critique de start-ups pour lesquelles déployer ce genre de services.”

La structuration de cette offre élargie et davantage harmonisée de services, en collaboration avec Eklo, devrait voir le jour d’ici l’été.

Une premier exercice d’accompagnement “post-investissement” (en l’occurrence “post-seed”) a été effectué en collaboration avec Mad Kings, une agence spécialisée en “growth hacking & growth marketing”.

Autre aspect de son évolution sur la chaîne de valeurs, LeanSquare évoque sa volonté de “sélectionner des projets plus robustes”. “Sans pour autant oublier les autres”, souligne Ben Piquard. Mais l’intention est bel et bien de “sélectionner des projets plus matures, de mieux cibler, avec Eklo, l’accompagnement initial de start-ups et de projets débutants.

“On peut en effet se poser la question de savoir à quoi servent les 25 ou 50.000 euros d’un investissement de type pre-seed”, déclare Ben Piquard. “Ce genre d’investissement se justifie s’il s’agit de tester la capacité d’une jeune pousse à exécuter un volet de son parcours. Par exemple, trouver de premiers clients.

Par contre, un investissement qui ne sert qu’à “acheter du temps” au lieu de tester réellement un scénario, une étape de la progression, est une perte de temps. Avec Eklo, nous voulons mieux accompagner ces phases initiales. Et nous travaillons également plus étroitement avec le réseau Be Angels. Leurs business angels peuvent non seulement apporter les premiers tickets seed ou pre-seed mais ils accompagnent également les jeunes entreprises en jouant les entrepreneurs en résidence, qui les aident à se focaliser sur les bonnes choses.”

La collaboration entre LeanSquare et le réseau Be Angels devrait donc se resserrer à l’avenir (il y a déjà participation croisée au niveau de leurs comités de sélection respectifs).

Spécialisation sectorielle, en partie par opportunisme

Un autre fer que LeanSquare a mis au feu depuis quelque temps est celui de la “spécialisation thématique”. La logistique et les “music tech” furent les deux premiers domaines sur lesquels il s’est focalisé. 

Les sphères “music tech” et “media tech” ont ainsi représenté près de 26% des décisions d’investissement prises (en termes de valeur) pendant l’exercice 2018-2019 (voir encadré ci-dessous).

Hasard ou volonté déclarée d’en faire un axe d’activités? Opportunisme? Nécessité? Stratégie à long terme?

Réponse de Ben Piquard…

LeanSquare: un portefeuille multi-thème

Si l’on se concentre sur la répartition thématique des décisions d’investissement prises pendant l’exercice 2018-2019, le classement se présente comme suit:
– projets et start-ups orientés RH (gestion des ressources humaines): 22,4% (1,27 million d’euros ; 4 dossiers)
– music tech: 16,4% (927.000 euros ; 4 dossiers)
– prop tech: 14,1% (800.000 euros ; 3 dossiers)
– media tech: 9,4% (530.000 euros dont 100.000 sous forme de prêts ; 3 dossiers)
– studio: 8,8% (500.000 euros dont 150.000 sous forme de prêts ; 2 dossiers)
– e-commerce: 8,8% (500.000 euros dont 100.000 sous forme de prêts ; 2 dossiers)
– fin tech: 6,2% (350.000 euros ; 2 dossiers)
– divers: 5,9% (337.000 euros, en totalité sous forme de prêts ; 3 dossiers)

“L’évolution du portefeuille de LeanSquare s’est fait à la fois de manière naturelle, spontanée, en fonction des dossiers qui nous arrivaient mais aussi selon une volonté qui est la nôtre de nous spécialiser. La multiplication des acteurs sur le terrain seed/pre-seed et le fait que les entreprises, elles aussi, s’intéressent de plus en plus au phénomène start-up [Ndlr: pour les incuber ou accompagner en interne ou par leurs propres moyens] poussent tout naturellement des acteurs tels que LeanSquare à se spécialiser.

Ce sera sans doute encore davantage le cas demain, sous l’impulsion de l’Europe et de sa stratégie S3 [Smart Specialisation Strategy] mais aussi en fonction du souhait émis dès 2018 par le gouvernement wallon qui invitait les acteurs de l’écosystème local à lancer davantage d’opérations de type spécialisation.”

Les premiers choix de spécialisation – music tech, media tech – se sont fait, dès 2017, “en fonction des ressources et compétences que nous avions. Un peu aussi par la force des choses, dans la mesure où le hasard a voulu que nous ayons eu, en portefeuille, trois sociétés orientées music tech. Il était dès lors logique de mutualiser les réseaux, d’organiser un accompagnement et de fédérer des acteurs pour mieux accompagner ces jeunes pousses, en ce compris dans leurs ambitions à l’international.” On connaît la suite:  partenariat avec le festival Wallifornia, sélection et accompagnement de start-ups participantes dans le cadre d’un programme d’accélération d’une dizaine de jours, programme Wallifornia On Tour, en collaboration avec l’Awex, pour du réseautage avec d’autres écosystèmes européens similaires… 

Dans l’optique adoptée par LeanSquare dans ce domaine, il y a clairement un chevauchement entre secteur musical “4.0” (équipements et instruments nouveaux, production et diffusion de musique, applis, gestion…) et “médias” (un concept à comprendre selon l’angle “canal de communication / diffusion / interaction”).

Un exemple: les applis de gestion des communautés de fans, qui sont désormais pour les musiciens et groupes un outil indispensable pour monétiser leur métier ou leur passion. “Ils ne gagnent plus leur vie en passant à la radio. Il faut organiser des concerts et, pour cela, savoir où se trouvent leurs fans. On est donc très proche de la notion de media. Les KPI à connaître sont très semblables: nombre et degré de fidélité des followers, nombre d’interactions, de vues, d’achats in-app, gestion des notifications…”

A noter que la notion “media tech” empiète sur diverses thématiques voisines ou déclinaisons. LeanSquare a ainsi déjà mis un orteil du côté de l’e-sport ou du gaming

WeCargo décollera-t-il?

Autre opportunité (en raison de la proximité géographique de l’aéroport de Liège): le monde de la logistique. C’est là, potentiellement (la décision doit encore être prise après bilan des premières actions et concertation avec l’aéroport), le deuxième axe de spécialisation de LeanSquare.

Ben Piquard (LeanSquare): “Comment choisir une spécialisation? Selon les atouts et assets locaux et selon la légitimité opérationnelle que l’on peut avoir.”

Dans ce domaine toutefois, ce n’est pas (ou pas encore?) l’accélérateur qui est à la manoeuvre. “Nous avons proposé notre méthodologie, l’apport de notre réseau, à l’aéroport. Le lead leur revient. Avec 5 ou 6 start-ups positionnées sur le terrain de la logistique, nous pouvons commencer à initier une collaboration avec l’aéroport mais l’évaluation de l’événement WeCargo doit encore se faire. Si l’aéroport y voit un intérêt, il y aura un prolongement dans le sens de cette spécialisation.” 

La première activité déployée dans ce domaine a eu lieu à la mi-novembre 2019. Nom de baptême: WeCargo / Airport Innovation Lab. Objectif? Notamment “faciliter les rencontres entre start-ups et industriels de la logistique” et “susciter un deal flow national et international de projets de qualité dans lesquels investir”.

Bref bilan chiffré de l’événement: quelque 200 entreprises participantes, venues de 28 pays (avec un invité-phare: la Chine) ; 18 exposants ; 10 start-ups participantes ; 450 visiteurs.

Et ensuite?

Quelles autres thématiques sectorielles LeanSquare pourrait-il choisir à l’avenir? “On n’en manque pas”, déclare Ben Piquard. “C’est plutôt une question de temps, de volume, de ressources et d’arbitrage.”

L’un des choix qu’il estime “évident” est celui de l’e-santé. Pour plusieurs raisons: l’existence de start-ups, les liens de collaboration tissés par elles ou d’autres acteurs avec les hôpitaux de la région, notamment pour des tests cliniques ou une mini-incubation, certains fonds d’investissements NoShaq (Epimède, White), mais aussi l’orientation nouvelle – “vers une offre davantage structurée de services” – d’Eklo (voir plus haut dans l’article) et son catalogue de conseillers versés en (e-)santé/biotech.

Une autre “cible” de spécialisation pourrait être l’industrie. Notamment en raison du nombre de sociétés dans lesquelles Meusinvest/NoShap a mis des billes et qui sont, pour un certain nombre, des terreaux potentiels d’où peuvent naître des projets “’2.0” ou qui peuvent accueillir et faire maturer de jeunes pousses.

Dans cet axe, les responsables de LeanSquare évoquent dès lors la piste du “corporate venturing”, qui concerne des start-ups “actives dans le secteur secondaire ou assimilé [qui tisseraient des liens ou s’inséreraient dans le tissu industriels d’acteurs tels que] John Cockerill (ex-CMI) et d’autres industriels.”

 

Ben Piquard (LeanSquare): “Nous faisons du kayak sur une rivière qui bouge et évolue sans cesse. Le tout est de capter et de rester sur la vague, en restant par ailleurs pertinent par rapport à ce qu’attendent les start-ups.”

 

A cela s’ajoute – toujours potentiellement – deux autres domaines thématiques que Ben Piquard évoque… en pointillés et au conditionnel.

D’une part, les éditeurs de logiciels B2B qui pourraient bénéficier d’un accompagnement en mode mise à l’épreuve et validation par des acteurs tels que NSI et NRB – par ailleurs partenaires de l’accélérateur (entrée au capital, mise à disposition de coaches, co-sélection de dossiers…).

D’autre part, ce que Ben Piquard appelle la Greta Generation. Lisez: de jeunes pousses se positionnant sur le terrain de l’impact sociétal et du développement pérenne/durable. “Liège est une terre de coopératives. A l’avenir, il ne sera de toute façon pas possible de faire de l’économie sans cette notion d’impact. Nous avons d’ailleurs investi dans une première société de ce genre [Solarly – stations solaires et services énergétiques pour régions reculées en Afrique sub-saharienne] mais c’est là une piste de spécialisation qui est encore en-dessous du radar”.

Il manque encore, pour en faire un axe de spécialisation, davantage de start-ups en portefeuille et des moyens, sans doute, pour structurer une réelle approche en ce sens.