LeanSquare: on n’attire pas des start-ups avec du vinaigre

Portrait
Par · 13/09/2017

Investissement dans 6 nouvelles sociétés, diversification dans le processus de repérage des dossiers, lancement de parcours d’accélération à la fois plus trapus, plus thématiques et plus internationaux… LeanSquare continue de se réinventer. Petit bilan 2016-2017 avec Ben Picard, directeur de l’incubateur de start-ups.

Filiale de MeusInvest, LeanSquare présente un profil hybride, à la fois fonds d’investissement et incubateur/accompagnateur de start-ups “nouvelle économie” (numérique B2C).

La société continue de bousculer les genres (du moins à l’aune belge) en matière de repérage et d’intervention dans des start-ups. Elle ne cesse en effet de faire évoluer la manière dont elle alimente son “deal flow”, repère des projets prometteurs, des jeunes pousses dans lesquelles investir, dont elle tisse aussi des partenariats et jette des ponts vers l’étranger.

Dans la foulée de la présentation par MeusInvest de ses résultats 2016-2017 (en ce compris donc quelques chiffres concernant LeanSquare – que vous trouverez en fin d’article), nous avons fait le point avec Ben Piquard, son directeur, sur ce qui a par exemple poussé LeanSquare à se lancer dans des d’incubation plus thématiques dont le “Wallifonria MusicTech” fut le premier exemple cet été, ou encore sur la manière dont la recherche de “bons” dossiers est désormais menée. Entre autres choses.

Une heure pour jauger un projet

Depuis près de deux ans, LeanSquare a remplacé le principe des appels à projets par un mécanisme de sélection (potentielle) de projets moins cadenassé dans le temps. “Nous avions besoin d’un point de contact différent qui permettent mieux aux start-ups de venir vers nous”, souligne Ben Piquard.

Formule choisie: des sessions “One Hour Challenge”. Autrement dit, une rencontre d’une heure, avec un temps réservé au “pitch” du projet (une vingtaine de minutes), suivi par une séance d’échanges avec des professionnels, éventuellement des investisseurs et des journalistes qui tentent d’y voir plus clair dans les motivations de la start-up et la robustesse de son plan d’affaires.

“Cela nous permet de découvrir le projet. On se donne le temps d’un véritable échange.

Ben Piquard (LeanSquare): “Eviter les pièges des “pitchs” un peu trop rodés et convenus. Et faire gagner du temps à tout le monde… en se donnant plus de temps.”
photo:Vincent Duterne

Ce peut être le premier pas qui mènera à une logique d’investissement. Mais, pour des projets de moindre qualité ou pas assez mûrs, c’est l’occasion de les réaiguiller vers d’autres pistes, de leur donner quelques conseils.”

Toutes les sessions ne font donc pas forcément émerger un projet qui sera suivi et supporté par LeanSquare, voire par MeusInvest. Mais ces One Hour Challenge n’en alimentent pas moins une bonne partie du “deal flow” – environ deux-tiers des dossiers qui sont proposés au comité d’investissement viennent de cette formule. Le reste provient de contacts pris en direct, à l’initiative d’une start-up, ou des nouvelles activités thématiques (voir plus bas le programme “Convergences”).

29 de ces sessions One Hour Challenge ont été organisées en l’espace d’un an. De quoi passer en revue plus de 150 projets.

LeanSquare dit vouloir démultiplier cette formule en choisissant de nouveaux lieux de rencontres. Outre Bruxelles et Liège, des sessions One Hour Challenge s’organisent désormais dans le Brabant wallon, à la faveur du partenariat passé avec NivelInvest pour la création de l’incubateur numérique Digital BW LIEN. Une session a également eu lieu à Gand. Et LeanSquare n’en demeurera pas forcément là…

“Convergences”

Cet été, à l’occasion du festival Les Ardentes à Liège, LeanSquare organisait une semaine dédiée aux “music techs”, autrement dit à des projets faisant appel aux technologies numériques pour redessiner l’univers de la musique.

Une semaine de séances d’“accélération” (conseils, ateliers, échanges) doublée d’un hackathon, tous deux ouverts à des participants tant locaux qu’étrangers.

Parmi les partenaires de l’opération: le KIKK de Namur et le Théâtre de Liège. Les participants furent au nombre de 20, de 10 nationalités différentes, qui représentaient 9 start-ups dont un-tiers de wallonnes.

La nouvelle formule d’accélération [plus trapue puisque ne durant qu’une semaine] a deux particularités majeures: une focalisation sur un métier ou un secteur particulier et une dimension internationale. “Ces événements servent d’unité de temps, de lieu et d’espace permettant de créer de l’intensité tant en termes de communications que d’opportunités de contacts”, souligne Ben Piquard. “L’idée est de faire converger vers Liège une série de contacts, de convaincre des start-ups, des investisseurs, de grandes pointures des secteurs visés à venir chez nous. C’est la rencontre de plusieurs besoins.”

Ceux des start-ups, désireuses d’échanger avec des pairs, de rencontrer de futurs partenaires potentiels (commerciaux ou financiers), de se projeter à l’international. Et ceux de MeusInvest/LeanSquare, toujours en quête de nouveaux dossiers potentiels mais aussi d’une visibilité et d’un champ d’action qui dépassent nos frontières.

“On entre en quelque sorte dans le champ du marketing collaboratif. Pour Music Tech, Musimap [l’une des start-ups financées par LeanSquare] a joué un rôle instrumental majeur, en faisant jouer ses propres contacts, en attirant d’autres start-ups. Chacun de son côté [Musimap et LeanSquare] n’aurait pu réussir un tel événement. C’est du shared marketing entre les start-ups, leurs investisseurs et la communauté des influenceurs.”

Convaincre les acteurs étrangers de s’intéresser à Liège pour que les start-ups locales se frottent à d’autres réalités. Et préparent leur propre parcours d’internationalisation.

Quant à l’ouverture à l’international – via la nationalité des porteurs de projet participants mais aussi des professionnels métier, observateurs et investisseurs potentiels invités -, elle n’est pas une spécificité qui ne caractérisera que la première édition dédiée aux music techs. Le même fil conducteur sera suivi à l’avenir. Pour plusieurs raisons.

“Nous avons en portefeuille des start-ups qui ont un potentiel de classe internationale et qui sont prêtes à jouer le jeu du partage, de la mutualisation. Ces échanges avec des acteurs venus d’ailleurs est une manière de se mettre le pied à l’étrier pour vendre à l’international.

Les sociétés belges sont condamnées à exporter. Pour ce faire, il est important de susciter l’intérêt et d’attirer des acteurs étrangers à venir faire un tour chez nous.

Pour les start-ups, c’est aussi l’occasion d’être inspirées par des homologues étrangères. Cela ne peut qu’avoir un effet rafraîchissant sur nos start-ups. Et, dans le chef de LeanSquare, le but est de diversifier notre portefeuille.”

Bilan de Wallifornia Music Tech?

“L’événement nous a amené de nouveaux dossiers d’investissement potentiel”, déclare Ben Piquard. “La décision a d’ores et déjà été prise d’investir dans au moins 2 start-ups et 2 autres dossiers sont à l’étude”. Des dossiers tant belges qu’étrangers.

Sur base de l’expérience, jugée positive, de MusicTech (même s’il est encore prématuré de procéder à une évaluation concrète, chiffrée, des possibles retombées économiques), LeanSquare projette de répéter l’exercice – jusqu’à 3 ou 4 ans par an – en choisissant à chaque fois une autre problématique.

Comment se décideront les choix de thème des futurs événements “Convergences”? Il y a, d’une part, l’impact potentiel pour l’économie locale, la présence sur le territoire liégeois de suffisamment d’acteurs engagés sur le terrain choisi, mais aussi la perspective d’un regain de visibilité de l’invest et de sa filiale LeanSquare. On l’a vu, le but est de créer des ponts et des liens avec d’autres acteurs à l’étranger – qu’il s’agisse de start-ups, d’industriels, de fonds d’investissement. Et de mettre Liège sur la carte du monde dans les thématiques choisies.

Mais le choix se fera aussi dans un esprit de différenciation. Des programmes d’accélération thématiques deviennent la norme. “Il faut attirer et convaincre les start-ups en leur proposant d’accéder à des choses qu’elles ne trouveront pas ailleurs.”

Dès lors, quels sont les thèmes potentiels pour l’avenir? L’e-santé (ou un pan spécifique de l’e-santé), la logistique mais aussi quelque chose de plus “exotique” à savoir les “beer techs”. Beer comme dans bière – mais oui ! – qui pourrait monter en épingle l’engouement pour les micro-brasseries.

Un élément de décision est également la situation de quelques start-ups locales prometteuses: potentiel à l’international, processus en cours pour de nouveaux tours d’investissement… Dans le cas de MusicTech, HLO/Playground et Musimap, par exemple, sont toutes deux engagées dans un processus de recapitalisation.

Pour un prochain événement HealthTech, LeanSquare/MeusInvest pourra également appuyer sa démarche sur quelques start-ups prometteuses telles qu’A7 Software (solution de dossier personnel Andaman7) ou Bloomlife Technologies (dont LeanSquare/MeusInvest est devenu l’un des investisseurs en 2016 relire notre article). L’événement pourrait se faire en partenariat avec le festival ImagéSanté organisé à l’initiative d’acteurs tels que le CHU de Liège, l’ULg, la Province ou encore le Pôle Mecatech, afin de lui donner une visibilité plus internationale.

Et les retombées locales?

Est-ce justifié pour la filiale d’une invest d’investir dans des start-ups étrangères?

On l’a vu, au moins deux des dossiers de start-ups estampillées “music tech” dans lesquels LeanSquare envisage d’investir sont étrangères. Parmi elles, la lauréate de l’événement Wallifornia Music Tech, la berlinoise Mood Devices.

L’établissement d’une antenne voire d’une société sur le sol wallon (liégeois, en l’occurrence) n’étant pas une condition sine qua non pour octroyer un financement, quelles retombées pour l’économie locale peut-on espérer de ces mises de fonds?

“Il faut une connexion”, reconnaît Ben Piquard. “Une contribution, une cohérence avec notre programme Convergences. Mais des retombées, il y en a. Ne serait-ce que par la création d’opportunités professionnelles pour des développeurs, par exemple, que des sociétés telles que Bloomlife Technologies peuvent trouver chez nous à prix nettement plus avantageux qu’en Californie. Il y a de vraies opportunités d’offshoring dont la Belgique bénéficiera.”

Et les rerombées peuvent prendre d’autres formes: la création potentielle d’une équipe locale par Mood Devices ; le développement de nouvelles solutions entre des projets d’ici et d’ailleurs. Ou encore, “le fait pour nous de siéger au conseil de consultance de sociétés californiennes, d’assurer une présence dans la Silicon Valley, de créer des opportunités d’échanges voire de partenariats entre nos start-ups en portefeuille et des sociétés de là-bas.”

Un petit exemple – encore purement rhétorique – de future solution: un lien entre la solution de Marker et celle de Pingpad. Marker, start-up financée par LeanSquare, a développé une solution de suivi des travaux de développeurs et de problèmes de développement émaillant des projets Web. Pingpad, basée à Palo Alto dans la Silicon Valley, a été créée notamment par Ross Mayfield, l’ancien patron de Socialtext et ex-vice-président de Slideshare. Elle a imaginé une appli qui fait office de module d’extension destiné à l’outil de collaboration temps réel Slack et qui permet d’organiser une multitude de flux créés dans diverses plates-formes – Slack, wikis, Google Docs, Trello…

Exemple encore rhétorique de maillage entre Liège et la Silicon Valley mais pas si imaginaire que cela. D’une part, parce que LeanSquare se prépare à une (certes modeste) injection de capitaux dans Pingpad. D’autre part, parce que Marker a déjà retenu l’attention de Trello (solution de développement de projets en ligne), l’un des “flux” que veut organiser Pingpad. Le monde est petit…

LeanSquare en quelques chiffres récents

Dernier bilan chiffré des activités de l’incubateur (au 30 juin 2017)?

  • 34 start-ups financées, dont 11 pour des interventions de type seed capital (amorçage)
  • certaines de ces start-ups ont fait l’objet de plusieurs interventions (amorçage suivi d’un premier tour d’investissement, voire une 2ème opération d’amorçage; parfois aussi, un 2ème tour de financement en raison de la croissance). Cela donne un total de “dossiers” ou “tours d’investissement” de 39, présentés au groupe MeusInvest, et 36, si on limite le spectre aux dossiers “purement LeanSquare”
  • total investi: 20 millions d’euros levés depuis 2013, répartis comme suit: LeanSquare: 4,5 millions ; MeusInvest (groupe): 7,5 millions ; privés: 12,5 millions

L’exercice 2016-2017 fut particulièrement chargé pour LeanSquare:

  • 13 prises de participations au capital ; 10 interventions sous forme de prêts
  • nombre de sociétés concernées: 21
  • 6 nouvelles sociétés entrées au portefeuille: BeTrail (mesure individualisée de la performance pour accros des courses et parcours de trailing), Côté Clair (agence de web design), PanoramaMe (promotion de sites touristiques en mode crowdsouring), Preesale (ticketterie en-ligne pour événements Facebook), SocialCom (communications sur réseaux sociaux pour PME), VisiTurn (optimisation de “trafic” clients sur les sites e-commerce)
  • aucune “exit”
  • valeur totale des décisions d’investissement prises: 2,7 millions d’euros (dont 1,2 million déjà “exécutés” – autrement dit, le processus a été finalisé, acte notarié compris)
  • 4 prises de participations et 4 opérations de prêts bien que décidées doivent encore être “exécutées”.  [ Retour au texte