En Marche (.be): numérique et nouvelles méthodes en bandoulière

Portrait
Par · 03/10/2017

Pour quoi parler d’En Marche Belgique dans Régional-IT? Pas pour des raisons d’analyse politique, bien entendu. Mais plutôt pour jeter un petit coup d’oeil sur les colorations numériques et les nouvelles méthodes de gestion que laisse entrevoir le mouvement. Tant d’un point de vue contenu “programmatique” (encore au stade du bourgeon) que d’un point de vue outils de contribution à l’élaboration de ce programme.

Chez En Marche, on veut transposer au monde de la politique – au sens d’organisation de la société – des concepts de développement agile, d’intelligence collective, de réflexion collaborative… en s’aidant des outils 2.0 à disposition.

Nouveau langage. Nouvelle grammaire?

La version belge du “mouvement” politico-citoyen En Marche, dont la petite graine a été mise en terre au printemps, n’est certes pas le seul à vouloir remettre l’initiative citoyenne au centre du débat et de la dynamique politique. D’autres partent de la même volonté. On pourrait citer le mouvement Tout Autre Chose, par exemple. Même les partis traditionnels tentent d’inclure une certaine dose de renouveau 2.0. A des degrés fort divers et souvent décevants.

En Marche, lui, se distingue quelque peu du lot par le fait que ses trois membres fondateurs (Jean-Yves Huwart, Régis Warmont, Olivier De Doncker) et plusieurs des ralliés de la première heure viennent du monde du numérique. Rien d’étonnant donc à ce que des outils collaboratifs et participatifs colorent les mécanismes qui se mettent tout doucement en place.

Des exemples? Les réunions des différents groupes de travail thématiques qui réfléchissent aux chantiers prioritaires et premières mesures “accrocheuses” à définir s’appellent des “meetups”. Le travail s’organise à l’aide de documents partagés et de messagerie Slack. Les personnes non encore impliquées dans le mouvement et qui voudraient contribuer ou soumettre leurs idées et réflexions sont invitées à le faire par le canal Internet évidemment, en envoyant leurs contributions via le site (du moins est-ce pour l’instant la méthode, qui devra nécessairement évoluer à terme). Cela vous surprendra-t-il par ailleurs d’apprendre qu’En-Marche.be s’est déjà doté d’un community manager…?

Crowd-politics

Demain, En Marche Belgique espère que cette notion de participation citoyenne active et multi-polaire imprègnera toute la chaîne des initiatives politiques et des prises de décision au bénéfice de la société dans son ensemble, que ce soit au niveau local, régional ou fédéral.

Le Parlement, dont la composition devrait idéalement être plus représentative de la composition de la société, serait promu Grand Décideur des axes plébiscités par la “foule” citoyenne et en délèguerait l’exécution au gouvernement.

En Marche Belgique veut également en finir avec le pilotage des politiques mises en oeuvre par les cabinets ministériels, “trop politisés, aux idées manquant de clarté et de transparence” et qui laissent beaucoup trop de place au poids de petits groupes d’intérêts.

“Actuellement, c’est souvent un petit groupe d’intérêts qui imprime la direction, loin du principe d’intelligence collective, sans discussion avec les gens de terrain”, déclare Jean-Yves Huwart. “Il faut en revenir aux fondamentaux, sans interférence.”

Autre souhait: privilégier une gouvernance des projets qui fasse plus de place aux réévaluations régulières. Par analogie aux “sprints” de développement agile, au concept de “pivot”. “Il faut pouvoir tenir compte des évolutions, accepter de se tromper. Il faut évaluer, corriger, sans attendre par exemple 10 ans avant de constater qu’il y a des faiblesses dans le Plan Marshall, un plan qui a eu ses mérites mais qui a été pensé à une époque pré-Internet.” Ou quasi…

Au sujet du Plan Marshall, les pilotes d’En Marche Belgique ont d’ailleurs une idée précise: il faut le remplacer (pas nécessairement en bloc et de manière abrupte), lui et tous les “plans verticaux et compartimentés”, en travaillant sur la base de l’intelligence collective. Décider d’une stratégie en topdown “n’est plus efficace aujourd’hui. Le Plan Marshall n’est somme toute que l’addition d’une série de petites mesures, de briques sans lien les unes avec les autres. Non mesurables.”

Le percolateur inversé

Ce que le mouvement propose? “Aborder les choses de manière plus ouverte, en se fixant et mesurant les objectifs. Le Parlement doit fixer les axes. Le pouvoir décideur et payeur, c’est le citoyen. Il doit donc être plus opérationnel. Il faut lui donner la parole, favoriser les échanges, la co-construction. Avec, bien entendu, un travail de synthèse et en proposant un cadre précis, un objectif commun défini au préalable.” Ici encore, en faisant appel à des applications et outils numériques.

Plus vite dit que fait, bien entendu. Les quelques premières – et bien modestes – tentatives de demander au citoyen de participer à la vie de la “cité”, à l’élaboration de politiques, ne sont pas forcément soldées par une réussite. Pensez par exemple au Printemps du Numérique, ce portail créé par l’AdN sur lequel le simple citoyen ou le professionnel lambda pouvait venir poster ses idées, propositions de transformation numérique de la Wallonie. C’est à peine si 300 “contributions” ont été récoltées et encore, nombre d’entre elles venaient-elles de gens du “sérail”…

Jean-Yves Huwart: “Quand on n’implique pas le citoyen, quand il ne co-construit pas, il ne peut y avoir d’appropriation.”

Question de manque d’habitude? Manque de visibilité et de promotion de l’exercice? Inertie? Attentisme? Je-m’en-foutisme? Jean-Yves Huwart y voit surtout un problème de méthode: “il n’y a pas eu de curation, de vision, d’objectifs clairs expliqués dès le départ, d’explication de ce qu’on ferait des contributions.

Dans ce genre d’exercice, il est essentiel d’encadrer, d’interagir. Le fait que ces éléments aient été absents prouve qu’il y avait un manque de sincérité dans la démarche. Idem pour le manque d’ergonomie…”

La démarche utilisée pour préparer le Pacte d’Excellence ne le convainc pas plus. “On a surtout fait appel aux représentants des corps intermédiaires traditionnels, avec une synthèse des intérêts des uns ou des autres, dans une logique qui reste top down. On n’est pas parti d’une page blanche. On n’a pas pris comme point de départ ce qui compte vraiment, la réalité actuelle: les contenus numériques, la participation entre élèves et enseignants, les neurosciences, la logique d’inclusion, les nouvelles pédagogies plus positives…

Il faut davantage partir des signaux et des contributions de tous, même si cela part dans tous les sens. Via le principe de curation et en recourant à des rapporteurs, on peut en arriver à quelque chose de nouveau et d’innovant.

Les choses nouvelles doivent se créer collectivement, de manière endogène, mais on manque d’audace.”

S’il doit y avoir place pour des curateurs (ou mécanismes de curation) et des rapporteurs, ces derniers, aux yeux des “Marcheurs”, ne doivent plus rien à voir avec les habituels “experts pointus qui rédigent des rapports de 500 pages”. A nouveau, les outils “modernes” sont appelés à la rescousse: “il faut faire en sorte de visualiser les données, de recourir à la vidéo pour synthétiser et faire comprendre les résultats aux citoyens.” Pour mieux préparer le débat qui se déroulera à l’étage supérieur…

Numériser la société

Le début de programme qui continue de se concocter chez En Marche laisse déjà apparaître quelques priorités. Parmi elles, la numérisation de la vie publique et celle des parcours scolaires “pour un libre accès au savoir”.

Côté démarches et services publics, “plus rien ne devrait justifier de devoir se rendre à un guichet.” Il faut aussi accélérer l’évolution vers les open data, souligne Jean-Yves Huwart. Rien d’étonnant dans sa bouche, lui qui, voici quelques années, organisait le premier hackathon wallon consacré à ce thème.

On reste, à son goût, beaucoup trop à la traîne en Wallonie en la matière: “peu de jeux de données, une opacité sur les moyens de les gérer, l’impossibilité de les visualiser, de les intégrer avec d’autres.

Par sa structure-même, le portail [Ndlr: opendata.digitalwallonia.be] prouve que tout cela est encore vu comme une contrainte. Il faut absolument accélérer le mouvement, convaincre les premiers concernés que les open data vont rendre les administrations plus efficaces, leur permettront de repérer les problèmes plus rapidement, de mieux satisfaire le citoyen. Elles doivent devenir le pilier de base du fonctionnement de l’administration.”

Pour ce qui est de la “numérisation des parcours scolaires”, En Marche Belgique milite pour “une réflexion majeure” qui tienne compte des nouvelles réalités: multiplicité des contenus disponibles en ligne, principe des classes inversées… Il s’agit, selon le mouvement, de permettre aux apprenants d’“accéder eux-mêmes aux contenus qui les motivent le plus. L’école, elle, agit sur la mise en oeuvre des savoirs collectifs, dans une démarche plus explicative. Il faut en finir avec l’enseignement dans la douleur, avec des contenus arides…”