Cortex Machina: un projet de “brain-to-computer interface” qui mise sur le “knowledge inside”

Portrait
Par · 10/06/2022

Interpréter les signaux qu’émet notre cerveau pour piloter un équipement informatique, une interface, une fonctionnalité, pour adapter (quasi-)automatiquement le scénario qui se déroule sous les yeux de l’utilisateur ou le type d’interaction, d’information qu’on lui propose. Cela semble tenir du rêve, de la science-fiction, voire – pour certains – du transhumanisme.

Les progrès réalisés à la fois dans le domaine des capteurs, de l’intelligence artificielle et des neurosciences en rapprochent toutefois de plus en plus la perspective. Jusqu’à en faire un nouveau champ d’innovation.

Et c’est sur ce terrain qu’un quatuor de jeunes ingénieurs, pour la plupart issus de l’UCLouvain, a décidé de se positionner pour lancer Cortex Machina et un projet de casque BCI (brain-to-computer interface) permettant de capter, de détecter les “sentiments” de l’utilisateur. “La lecture des signaux EEG, ça existe depuis 100 ans”, rappelle Romain Pecher, cofondateur et CEO de Cortex Machina. “Toutefois, leur interprétation automatique n’est réellement devenue possible qu’il y a environ 10 ans. Et ce n’est que très récemment, que des solutions sont devenues accessibles…”

“Brain inside”

Il aurait sans doute été vain pour la start-up Cortex Machina de se positionner sur le seul terrain du matériels – casque et/ou capteurs -, tant la concurrence est déjà rude et tant l’engouement pour le 3D, l’immersif, le métavers (et concepts consorts) rajoute encore de l’essence sur le feu.

Le terrain des applis? Peut-être. Mais là aussi, il aurait fallu batailler ferme pour imaginer la “killer app” qui permettrait de se différencier du lot. Pour émerger et demeurer en tête de gondole.

Aussi la jeune équipe a-t-elle décidé d’un positionnement à la fois plus transversal et plus fondamental – plus universel aussi.

Son casque ne sera en quelque sorte que la pointe émergée de l’iceberg et viendra “habillé” de logiciels et de potentiels d’interprétation basés sur l’apprentissage automatique (machine learning). L’éventail de potentiels pourra intéresser divers publics: API, SDK, programme plug-and-play auto-calibrant…

La livraison d’un SDK BCI (Cerebellum), sous licence libre, avec jeu d’API, permettra ainsi aux concepteurs d’intégrer un potentiel de contrôle cérébral à leurs scénarios. Exemple pour les concepteurs de jeux vidéo (en tous genres): rendre le scénario adaptable en temps réel selon la nature des sensations, sentiments et réactions de chaque individu.

Le but est de fournir aux développeurs ou encore aux concepteurs de casques un “produit” plug-and-play. Soit la jeune société néolouvaniste fournira un “kit”, incluant casque, API et SDK, modèle IA d’interprétation des émotions, soit elle fournira uniquement le volet logiciel. 

Le casque Vortex imaginé, doté d’un système d’interface cérébrale (BCI) se veut polyvalent, s’adaptant potentiellement à l’usage qu’on en fera – depuis un ustensile classique pour gamer, vierge de tout capteur EEG, qui se contente d’assurer les fonctions audio-vidéo requises, jusqu’à un instrument de décryptage de sentiments et de pilotage d’environnement, ayant donc une capacité d’interprétation des données, en temps réel.

Pour son côté “plug-and-play”, le casque a été conçu de telle sorte à être utilisable sans manipulation ou adaptation tarabiscotée à chaque tête ou à chaque cas d’usage. “Pas besoin de connaître les arcanes du cerveau pour positionner les électrodes au bon endroit”, souligne Romain Pecher. “Le repositionnement des électrodes se fait automatiquement, selon la morphologie de chaque utilisateur”. A la manoeuvre, une assistance logicielle qui conseille l’utilisateur sur le bon positionnement en fonction des résultats d’une analyse d’impédance et de signaux captés lors du visionnement d’images (“le module logiciel que nous avons développé marchera dans la majorité des cas”).

Le quatuor insiste sur le côté “facile et flexible” qu’aura son produit: “un jeune de 15 ans, ayant suivi une formation de trois mois en Python, pourra aisément en faire quelque chose…”

“Brain store”

“Nous avons sciemment choisi ce positionnement stratégique”, explique Julien Quertain, cofondateur et directeur financier, “afin de pouvoir viser un marché le plus vaste et divers possible. Cortex Machina ne développera pas de “contents”, de jeux… Notre but est de développer de la technologie.

Le logiciel que nous fournirons fera la connexion entre le modèle (machine learning) et le contexte. Un développeur pourra l’utiliser pour ses propres applis.

Perceptif mais non intrusif

Le fait de pouvoir capter, comprendre et “exploiter” les signaux cérébraux pour en dédire des émotions et sentiments pour ensuite adapter le contexte virtuel (ou non) dans lequel évolue l’utilisateur fait évidemment surgir le spectre de l’exploitation sauvage de ces données particulièrement personnelles et sensibles.
Cortex Machina tient dès lors à souligner que tous ses développements et tous les “produits” qu’elle mettra à disposition de développeurs, de concepteurs de dispositifs matériels, de concepteurs d’applis, de jeux ou de contenus, seront strictement respectueux des préceptes de vie privée et de confidentialité.
Une promesse: “L’utilisateur final aura le contrôle total de ses données. Au final, ce sera l’utilisateur qui décidera lui-même de qui il donne ou non accès à ses flux de données
Nous mettrons en oeuvre les couches de sécurité nécessaires. A commencer par de l’anonymisation et par une maîtrise du degré d’accès qu’on permettra à un créateur inscrit sur la plate-forme BrainFix d’avoir par rapport aux données. La calibration de nos serveurs fera en sorte qu’un tiers – par exemple un fournisseur de casques – n’aura pas accès aux données interprétées.”

Le positionnement de Cortex Machina passe par la création d’une communauté de créateurs et de développeurs. Une communauté qui, dans un premier temps, devrait essentiellement être teintée de gaming. “Pour nous, pour nos début, le gaming sert de catalyseur. C’est un espoir de vitalité. Cette cible est à même de nous mettre le pied à l’étrier. Nous diversifierons plus tard, selon le degré d’intérêt détecté dans tel ou tel secteur”, déclare Julien Quertain.

Grâce à et pour “alimenter” la communauté de développeurs et de créateurs que la start-up espère voir se constituer autour de son projet, Cortex Machina envisage déjà de créer une “app store” répondant au nom assez évocateur de BrainFix, où l’on pourra venir piocher des casques, des logiciels, des applis, et “où les créateurs indépendants pourront vendre leurs contenus”.

Ce qui nous amène au modèle économique qu’envisage Cortex Machina… La start-up espère dégager une partie de ses revenus de la vente de ses casques (qui, à terme, devraient exister en diverses versions) mais elle compte vivre aussi et surtout grâce à ses développements technologiques et logiciels. En ce compris, via un prélèvement lors de tout accès au serveur et à la plate-forme BrainFix, selon un tarif variant sans doute selon un taux d’utilisation.

Jeu optimisé de capteurs… et d’émotions

Le système BCI à électrodes EEG imaginé par Cortex Machina comporte, en l’état actuel, 8 capteurs.

“Nous avons imaginé un casque incluant un minimum de capteurs tout en fournissant un maximum d’informations pertinentes”, souligne Gordon Preumont, CTO de Cortex Machina. “Et ce, afin de garder le prix du casque le plus bas possible, tout en garantissant une qualité de résultat, en termes de données et d’applications potentielles.”

“Il est vrai que plus on insère de capteurs, plus on peut capter de choses”, ajoute Romain Pecher, “mais il faudra, à nos yeux, une vraie raison pour multiplier le nombre de capteurs.”

Le casque imaginé peut détecter et “interpréter” six émotions de base, “génériques” (c’est-à-dire non influencées par des spécificités culturelles): joie, peur, exaltation…

Des versions plus sophistiquées, comportant davantage de capteurs, sont toutefois envisagées: “en recourant à de la calibration, on peut distinguer 26 sentiments.” D’autres cibles de marché, plus spécifiques ou spécialisées, seront dès lors envisageables – du côté des chercheurs, de la médecine…” En recherche médicale, il faudrait sans doute imaginer un casque comportant 64 capteurs, voire plus. Mais le coût serait plus que sensiblement augmenté…”

Parcours balisé

Les quatre fondateurs – Romain Pecher, CEO, Julien Quertain, directeur financier et profil juridique de l’équipe, Gordon Preumont, responsable technologique, et Benjamin Duval, en charge de la stratégie marketing – planchent sur leur idée depuis quelque temps déjà. Progressant systématiquement en puisant des conseils auprès de programmes d’accélération, “pour tester l’idée”, réussissant à convaincre quelques business angels (“non belges mais présents sur le territoire”), investissant eux-mêmes dans le projet, s’hébergeant au Open Hub de Louvain-la-Neuve, tissant des contacts (notamment en adhérant à l’association Walga).
En réussissant aussi – preuve du sérieux du projet – à franchir la première étape de sélection de l’accélérateur européen E.I.C., qui relève d’un programme du Conseil européen de l’Innovation (l’accélérateur se donne pour objectif de “soutenir les start-ups et les PME innovantes présentant des projets à fort potentiel et hautement risqué pour les aider à développer et à mettre sur le marché de nouveaux produits, services et modèles commerciaux innovants susceptibles de stimuler la croissance économique”).

Trois des fondateurs de Cortex Machina. De g. à dr.: Gordon Preumont, Julien Quertain, Romain Pecher.

Au stade de cette première étape de sélection, le programme européen ne procure pas d’aide financière aux start-ups sélectionnées mais leur fournit du coaching, de l’accompagnement dans divers registres (en ce compris la stratégie et la démarche marketing).

Par contre, les projets qui passent les deux tours de la sélection ont droit à une aide financière plutôt appréciable, qui prend la forme pour partie de subsides et pour partie d’investissements en capital.

Le calendrier futur de Cortex Machina, même s’il pourra connaître quelques aménagements, est tracé pour les quelque trimestres à suivre… Un MVP est planifié “dans les 6 à 9 prochains mois”. Entre-temps, sans doute d’ici la rentrée de septembre, le quatuor espère avoir récolté une manne suffisante de feedbacks auprès de sa communauté naissante.

La démarche se veut pragmatique: en fonction de ces feedbacks mais aussi en procédant par sprints, encadrés par l’Open Hub, et en segmentant le projet en spocs, l’équipe reverra potentiellement son tableau de marche, voire ses finalités. Des contacts sont par ailleurs préservés avec l’UCLouvain, réservoir potentiel d’apports en R&D. Et des contacts ont également été noués avec l’UMons et avec Epitech, école d’informatique français reconnue qui a ouvert un campus à Bruxelles. “C’est intéressant pour nous d’avoir un lien et du feedback potentiel des étudiants…”