Bloomeria: des NFT pour des causes environnementales

Portrait
Par · 09/09/2022

Une DAO (distributed autonomous organization), ayant choisi la technologie blockchain comme levier de son action en faveur de la préservation environnementale, a vu le jour tout début 2022, sous forme d’aisbl.

Son nom? Bloomeria.

Ses initiateurs? Laurie Delmer, responsable de projet chez Natagora ; Alice Jones, biologiste de formation ; et Thibault Dory, employé chez Dun & Bradstreet, plus particulièrement spécialisé en technologies IA et blockchain. Ils se sont découverts une volonté commune d’agir en faveur de l’environnement et, sans encore quitter leur emploi, se sont donc lancés dans cette nouvelle aventure.

Le but – ou le positionnement – de Bloomeria: développer et mettre à disposition une plate-forme et des outils permettant à des associations et ONG mais aussi à de simples groupements de citoyens de financer des projets de conservation de la nature, de reforestation, et de déployer des efforts afin de défendre, restaurer ou développer des espaces verts.

Le moyen? “Tokeniser” des arbres, des zones, des espaces verts, l’idée étant de permettre aux entreprises et aux particuliers d’acheter des jetons non fongibles (qui, pour la circonstance, seront par exemple qualifiés de “NFTrees“) représentant leur implication concrète dans des projets environnementaux.

A noter ici d’emblée que Bloomeria ne crée pas sa propre usine à NFT. Les NFT créés sont confiés à la plate-forme OpenSea et “exprimés” en crypto-monnaie DAI (plate-forme OpenSea). Technologie blockchain: Ethereum.

“Tokeniser” pour objectiver les projets environnementaux

Le choix de la technologie blockchain et des tokens est une voie où Bloomeria devra encore convaincre pour effacer ou atténuer les craintes que suscitent ces technologies (instabilité financière, risques de détournement, gabegie de ressources…).

“Le fait que nous ayons opté pour les NFT payables en DAI, une crypto-monnaie à valeur stable (1) est, en soi, une garantie de fiabilité de notre démarche”, déclare Laurie Delmer. “De même, le choix d’Ethereum a été fait dans une optique de meilleure préservation de l’environnement.” La blockchain étant associée – à juste titre – à une accusation de grosse consommation énergétique, le choix d’Ethereum et du protocole Polygon apparaît comme plus frugal et éco-responsable.

N’empêche qu’il y a encore tout un travail d’évangélisation et de conviction à faire. L’une des raisons, sans doute, pour lesquelles l’aisbl Bloomeria n’a pas encore réussi à convaincre d’acteur local de faire appel à elle, alors qu’une association portugaise et une autre aux Philippines ont déjà décidé de jouer cette carte.

Laurie Delmer (Bloomer): “La blockchain garantit la transparence totale des financements de projets. La blockchain, c’est l’implication de communautés, un retour de maîtrise pour le citoyen, un accès à un réseau international, de la collaboration et des échanges entre communautés…”

Notons ici que les NFT peuvent être payés, via la plate-forme OpenSea, soit en cryptomonnaie (DAI), soit en devise classique via carte de crédit. De quoi, peut-être, rassurer les donateurs. “Mais”, souligne Laurie Delmer, “si une entreprise veut être totalement transparente au sujet de son financement de projet environnemental, il vaut mieux qu’elle se crée un compte, obtienne une adresse blockchain et passe dès lors par l’achat de cryptomonnaie…”

En dépit des réticences, Laurie Delmer demeure fermement convaincue des avantages de la blockchain – en ce compris pour des causes environnementales. “La blockchain garantit la transparence totale des financements de projets et donc des réelles implications des individus et plus spécifiquement encore des entreprises, par exemple là où, jusqu’ici, il est souvent difficile pour elles d’apporter la preuve des actions entreprises et de la véracité et de l’utilisation des montants investis.”

Grâce au principe des NFT et du répertoire centralisé qu’implique la blockchain, tout le monde pourra vérifier la teneur des projets et des investissements.

Un NFT acheté génère en outre des droits pour son détenteur. En l’occurrence, un droit de vote, une “voix” au sein de la DAO, pour décider de l’évolution du projet, ou du choix d’autres projets dans lesquels investir…

Chaque NFT de Bloomeria comporte un ensemble d’informations. Non seulement en termes de valeur mais aussi des informations décrivant les arbres, zones, espaces ainsi défendus. Des informations telles que leur géolocalisation, des données biologiques et scientifiques… Par exemple, le type d’arbre, son historique de croissance, les caractéristiques de la zone…

Dans un deuxième temps (et cela pourrait se concrétiser avant la fin de l’année), le NFT comportera aussi des infos carbone. Plus spécifiquement la quantité de carbone absorbée par l’arbre ou la zone au fil du temps (estimation à 5, 10, 15… ans).

Pour ce faire, Bloomeria s’appuiera sur des données fournies par les associations environnementales locales (où les projets seront déployés), sur des données scientifiques et sur un modèle de calcul basé sur une méthode développée par le Département américain de l’énergie, modèle qui tient par exemple compte du taux de séquestration annuel par type d’arbre.

Premiers projets – portugais et philippin

Parmi les premières associations séduites par l’idée et l’approche Bloomeria: RM.Terra, association portugaise de défense des arbres, active dans la plantation de forêts vivrières (“food forests”), autrement dit de zones forestières combinant essences d’arbres résistant au feu et arbres fruitiers (ou autres finalités). 

L’achat (plantation et gestion) de 26 arbres a ainsi été financé via la création de NFT. Ces derniers fournissent à quiconque veut consulter l’objet de l’investissement, un ensemble d’informations: espace, date de plantation, géolocalisation précise (individuelle), photo de la pousse… Et, donc, à terme, informations décarbonation.

 

Appel est lancé à des artistes belges pour illustrer des NFT éco-patrimoniaux dans le cadre d’un projet philippin.

 

Autre projet: celui d’une association philippine qui oeuvre en faveur de la conservation de terres ancestrales locales. Les terres de communautés indigènes sont en effet menacées notamment par des projets immobiliers. Pour lutter contre le défrichement intensif qui menace, leur projet consiste à racheter des terres. Et cela passe donc par des NFT, chaque NFT équivalant ici non pas à un arbre mais à une zone verte.

Pour les besoins de ce projet, Bloomeria lance d’ailleurs un appel à des artistes belges afin qu’ils mettent leur imagination et créativité au service de l’illustration de ces NFT éco-patrimoniaux.

Prochaines étapes?

Depuis son lancement par son trio de fondateurs, l’aisbl Bloomeria a participé à un programme Kernel de Gitcoin. Outre un accompagnement en conseils de huit semaines, cela lui a permis de lever quelque 20.000 euros auprès de 700 contributeurs.

Depuis quelques mois, elle s’est en outre fait membre du tout jeune écosystème Walchain et est accompagnée par le BEP (Bureau économique de la Province de Namur) qui lui fournit des conseils sur sa structure, son plan d’action, les priorités à définir, les contacts à nouer en vue de partenariats, voire de financements…

“Galerie” de NFTrees, illustrées par des artistes…

Prochaine étape: trouver justement des partenaires et du financement pour engager au minimum une personne à profil marketing, potentiellement pour rémunérer les fondateurs et leur permettre de se dégager, ne serait-ce que partiellement, de leur emploi actuel. Et pour financer le développement d’un l’outil graphique ou encore celui de nouvelles fonctionnalités token. 

D’un point de vue “produit”, Bloomeria prépare en effet une interface graphique destinée à visualiser les contenus des NFT (pour les rendre davantage compréhensibles par le tout venant) ainsi que les implications des différents donateurs, qu’ils soient particuliers ou entreprises.

Dans un avenir proche (d’ici la fin de l’année), chaque société qui achète un ou plusieurs NFT pour financer un projet confié à Bloomeria disposera ainsi d’une page personnelle, interactive, qui retracera et permettra de visualiser toutes les actions entreprises. 

Quel modèle économique?

De statut aisbl, Bloomeria n’est donc pas là pour faire du profit. Mais il lui faut bien évidemment financer et asseoir son existence. Quel est dès lors son modèle économique?

L’aisbl prélève une commission de 10% [potentiellement négociable projet par projet] sur chaque NFT acheté. “Le reste va au projet environnemental lui-même et sert à rétribuer l’artiste qui illustre le NFT.”

Le même niveau de commission sera prélevé en cas de revente ou d’échange du NFT. Mais ce prélèvement “servira exclusivement à financer nos frais de vérification de la bonne gouvernance du projet environnemental concerné – vérification de la conservation à long terme, pérennité du projet… – et pour financer le travail de reporting des associations locales chargées du suivi.”

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(1) Le DAI est ce qu’on appelle un “stablecoin”, une crypto-monnaie qui promet une stabilité de valeur via adossement à une devise fiduciaire, la valeur de cette dernière étant traditionnellement assurée par un cours légal imposé et contrôlé par un Etat.