BeNovate: greffer une innovation venue d’ailleurs

Portrait
Par · 25/10/2012

Une entreprise, confrontée aux réductions budgétaires, à la brutalité des contraintes économiques, à la rigueur des processus à instaurer en interne, a-t-elle encore le temps d’innover? Peut-elle encore s’appuyer sur des ressources internes pour le faire? En appeler à des ressources externes exige toutefois un modèle nouveau qui ne va pas sans défis.

C’est sur ce terrain que se positionne la société de consultance BeNovate.

Lors d’une interview, Patrick Crasson, co-fondateur de BeNovate, expliquait que le rôle d’innovateur, voire de pionnier technologique et opérationnel, que l’on avait confié un temps au directeur informatique (ou CIO, Chief Information Officer), était de moins en moins réaliste dans le contexte actuel de rationalisation et de contraintes. Un fonctionnement de l’informatique en mode “utility” ou “commodity” se marie en effet mal avec une volonté de rénovation et d’innovation. La standardisation l’emporte sur l’improvisation. “La première priorité, pour ces entreprises, est de contrôler les coûts et d’assurer la survie. La culture de l’entreprise est devenue une culture “no risk”. Peu propice aux changements que sous-entend toujours l’innovation.” Et pourtant celle-ci “demeure essentielle, prépondérante puisqu’elle est le moteur de relance de l’entreprise, apte à lui ouvrir de nouvelles opportunités”, soulignait-il. Contraint à la rigueur et au réalisme, le CIO ne peut donc pas pour autant sacrifier une réflexion et une planification dynamique à long terme. Sans quoi l’avenir et la compétitivité future de sa société pourraient être remis en cause. Pas question non plus de brider l’inventivité ou le dynamisme de tel ou tel projet ou département qui a besoin de plus de liberté d’action, de plus de moyens. “Une grande entreprise n’est jamais, dans sa totalité, en récession. Il y a toujours quelques business units qui sont dans des cycles décalés, plus positifs, qui sont en phase de croissance, qui peuvent décrocher de nouveaux clients.” Mais leur donne-t-on la possibilité de “puiser dans les ressources d’autres business unitsplus malades?”

“Extrapreneurship”

Mais comment alimenter ce qu’on pourrait appeler l’innovation fondamentale sans mettre en péril les efforts de rationalisation? BeNovate, société de consultance dont Patrick Crasson est l’un des fondateurs, milite pour l’externalisation de l’innovation technologique et opérationnelle. Sous l’appellation d’“extrapreneurship” (lisez: l’entrepreneuriat externalisé), la méthode prônée consiste à conseiller et à supporter des entreprises afin qu’elles identifient un partenaire extérieur, détenteur des compétences et capacités d’innovation ciblée dont elle a besoin, et s’allient à lui “éventuellement de manière toute provisoire. En injectant ce sang nouveau, il redevient possible d’alimenter les business units ou les projets qui l’exigent. Cela permet à un mécanisme de se mettre en oeuvre pour “alimenter” les axes ou entités de l’entreprise qui ont besoin d’un mode de fonctionnement et de progression autre que l’utilitarisme et la rationalisation à court terme.” L’innovation, le ballon d’oxygène sur lequel l’entreprise pourra bâtir son avenir devrait donc, aux yeux de BeNovate, venir de l’extérieur: “l’IT reste un moyen sûr de garantir l’innovation. Et il y a, sur le marché, une multitude de start-ups qui inventent et proposent des solutions ready to use. Il s’agit donc de favoriser l’innovation externe au travers de nouvelles structures”. C’est le concept d’extrapreneurship qui permet à l’entreprise, même en période où tout est orienté commodity, de se doter d’une capacité de renouveau et de progrès, afin que l’IT reste ou redevienne un instrument d’enablement.

Patrick Crasson (BeNovate): “Il y a, sur le marché, une multitude de start-ups qui inventent et proposent des solutions ready to use.”

Même si elle en avait les moyens ou la volonté, maintenir en interne l’innovation (informatique) n’est pas considéré comme la meilleure chose à faire par BeNovate. En cause: l’accélération des cycles. “Plus question de consacrer 6 mois à l’analyse de la stratégie. Il faut le faire en 6 semaines. De même, la phase de veille permettant d’identifier une solution est raccourcie. Et on n’a plus deux ans pour déployer un projet. Il faut le faire en 6 mois, sinon l’opportunité de croissance est passée.”

Patrick Crasson (BeNovate): “Alimenter les entités de l’entreprise qui ont besoin d’un mode de fonctionnement et de progression autre que l’utilitarisme et la rationalisation à court terme.”

En dépit de ses (gros) moyens, une (grande) entreprise ne pourrait donc plus, aux yeux de Patrick Crasson, rivaliser avec la rapidité des start-ups. “Les start-ups ont souvent mis plusieurs années à trouver une solution. Aucune entreprise ne pourra le faire plus vite. A quoi sert d’ailleurs de réinventer la roue?”

Et d’ajouter: “le département informatique d’une entreprise n’est d’ailleurs plus là pour faire joujou. Il n’est pas le département R&D au service du business…” Patrick Crasson relève d’ailleurs une certaine constante dans le type d’entreprises qui se tournent vers ce modèle d’innovation par partenariat extérieur: “il s’agit souvent d’entreprises qui ont procédé à trois ou quatre programmes d’optimisation et de rationalisation. Elles sont au bout du rouleau et sont conscientes qu’il leur faut essayer une nouvelle méthode. Elles ont besoin d’un accompagnement, de conseils pour réapprendre l’entrepreneuriat, mais en externe. Cela présente divers avantages pour elles: une meilleure gestion du risque, peu d’impact sur l’entreprise, une gestion du changement réduite à sa plus simple expression et… pas de syndicat sur le dos. L’entrepreneuriat se fait d’abord en laboratoire, en externe. Avec possibilité de le réintégrer si cela marche.”

Redéfinir le moule

BeNovate joue dès lors les conseillers et les marieurs. Son carnet d’adresses (pardon: son “écosystème”) comporte quelque 150 start-ups dont les associés de BeNovate ont analysé le projet, le business plan, la capacité opérationnelle à “délivrer”. Ils les repèrent, tant en Belgique qu’à l’étranger, en participant à des jurys qui évaluent des projets, en investigant du côté des incubateurs. A l’occasion d’ateliers organisés en interne, au sein de grandes entreprises à la recherche d’une solution IT innovante spécifique, BeNovate détermine la nature exacte de ce besoin, effectue un matching avec les start-ups de son carnet d’adresses qui pourraient correspondre et organise un “start-up day” dans l’entreprise-cible. C’est là que l’union entre Goliath et David se fera. Et elle peut prendre diverses formes, selon les souhaits ou préférences des deux parties: alliance ponctuelle, collaboration spécifique sur un projet bien balisé, investissement ou prise de participation par Goliath, voire création d’une nouvelle entité commune. “L’avantage est que tout se fait en opex. Si la “jointure” échoue, on arrête tout. Sans frais. Sans casse.”

La Belgique risque de subir une hémorragie de start-ups qui s’en iront, sous d’autres cieux, chercher des conditions de croissance et de réussite plus favorables.

Pour alimenter et orchestrer cet écosystème d’extrapreneurship, BeNovate “joue” sur quatre tableaux. Ses clients sont en effet à la fois:

  • des start-ups, à qui elle apporte des conseils en termes de business plan (“tant financier, business que technologique”), de stratégie de croissance, de recherche de financements…
  • des incubateurs (belges mais aussi étrangers), qu’elle aide à sélectionner des start-ups en quête d’hébergement; start-ups qu’elle accompagne d’ailleurs, en qualité de coach, au cours du trajet d‘incubation
  • des investisseurs (profil: des family offices, banques d’investissement, capital-risqueurs) pour qui elle preste des services de due diligence, d’analyse de business plan; il arrive aux associés de BeNovate de siéger au conseil d’administration des sociétés dans lesquelles ces investisseurs mettent des fonds
  • de moyennes et grandes entreprises (profil: des sociétés possédant plusieurs business units, souvent de stature internationale) auprès desquelles elle intervient pour définir la stratégie d’innovation stratégique, pour passer des partenariats et lancer des projets ou initiatives avec des start-ups.

La moitié des start-ups figurant aujourd’hui dans le carnet de BeNovate sont belges. “Le vivier belge va encore s’étoffer”, estime Patrick Crasson “mais moins vite que celui que nous bâtissons à l’étranger (France, Allemagne, Luxembourg).” A ses yeux, d’ailleurs, la Belgique pourrait subir une petite hémorragie de start-ups qui s’en iraient, sous d’autres cieux, chercher des conditions de croissance et de réussite plus favorables. D’autant plus que “les frontières [en matière d’innovation technologique] n’existent pas. Notre implantation à Luxembourg n’est d’ailleurs pas étrangère à ce constat. L’esprit international y est plus prononcé et attire beaucoup de sociétés au Grand-Duché. Le pays a beaucoup investi dans les datacenterset les télécoms. Cela facilite les accès et c’est très intéressant pour les start-ups.”

Start-ups captives?

Ce modèle du mariage de raison, ne serait-ce que temporaire, entre une grande entreprise et une start-up fait surgir la question de l’intérêt qu’ont les deux parties à se glisser dans ce moule. Si l’avantage de “Goliath” est évident (une compétence pointue existante, exploitable immédiatement, comblant une lacune ou un besoin interne, sans devoir investir de longs mois en R&D ou développement), l’intérêt est sans doute moins évident pour la start-up qui, tout compte fait, risque fort d’y perdre son autonomie, sa singularité et son âme… “En fait”, raisonne Patrick Crasson, “la start-up se rend compte, un jour, que ce qui compte réellement c’est de rentabiliser son idée, son innovation. C’est de générer du vrai business. Et, à cet égard, une grande entreprise est synonyme de maturité, de marché potentiel et de réseau de contacts. La start-up a en outre le choix de la formule: soit vendre sa technologie à la grande société, soit lui ouvrir son capital, soit encore créer une joint venture. Notre rôle, en tant que BeNovate, est de les aider à concrétiser les choses et à faire en sorte que ce soit du win-win pour tout le monde.” Jusqu’ici, les “matchmakings” demeurent très classiques: “80% des partenariats en restent au stade du projet ponctuel. Mais on assistera sans doute à l’avenir à une importante évolution vers des entrées au capital ou des joint ventures”, estime Patrick Crasson. “Jusqu’à devenir les formes majoritaires de partenariat. La gouvernance des entreprises est en effet appelée à évoluer afin de permettre davantage ces formules d’extrapreneurship. Les entreprises prendront le pli. Elles donneront davantage de liberté à certaines initiatives externes, peut-être en créant une nouvelle structure-satellite. Ou en préservant l’autonomie d’une initiative interne [de type intrapreneurship].”

Un tiers-lieu d’innovation

Ce “laboratoire d’entrepreneuriat externe”, pour reprendre l’expression de Patrick Crasson, ne peut toutefois, selon lui, être une entité totalement déconnectée de l’entreprise. Le germe doit d’ailleurs d’abord s’implanter en interne… “Il faut commencer par mettre en place une structure “innopreneuriale” au sein-même de la société, avant de nouer des contacts avec une start-up.” Autrement dit et au minimum, désigner une personne qui sera responsable de l’“expérience”, ayant suffisamment d’autorité pour le faire, qui soit donc en liaison directe avec le conseil d’administration ou la direction. Cette “structure innopreneuriale” sera le “réceptacle nécessaire pour générer, en accord avec le CEO et le CIO, les conditions adéquates pour le passage à l’étape suivante.” Profil du responsable de cette structure? “Il s’agit rarement du CIO mais ce dernier doit faire partie de la structure en raison de son rôle de veille technologique. Le responsable aura de préférence un profil orienté business et sera placé assez haut dans la hiérarchie. Avec des compétences ou un intérêt marqué pour la technologie et avec mandat explicite pour faire de nouvelles choses. Il jouira d’une autonomie par rapport à l’équipe de direction et fera rapport directement au board. Il aura la charge d’identifier les potentiels d’innovation, tant internes qu’externes, et deviendra éventuellement la personne responsable de la future acquisition ou fusion [avec la start-up]. Outre le CIO, la structure inclura également idéalement un business architect et un change manager. Dernière question que nous avons posée à Patrick Crasson: quand doit se situer cette étape de la “ré-internalisation” de l’innovation ou du processus d’entrepreneuriat au sein de l’IT de l’entreprise? Réponse: “à terme, mais pas trop tôt pour ne pas tuer l’innovation. Ce qui compte avant tout, c’est de créer une nouvelle valeur ajoutée, un nouveau marché. Il ne faut pas s’inquiéter de savoir si ce qui se crée est ou non réintégrable à terme. Car la cohérence future viendra via la couche data…”