Omar Mohout: “tomber amoureux du problème, du besoin, pas de la solution”

Interview
Par · 10/05/2017

En marge de la sortie de son livre intitulé “From Idea to Product/Market Fit – an inspirational startup guide to turn ideas into action” (voir notre autre article), nous avons posé quelques questions à Omar Mohout sur les raisons de ce livre et sur la manière dont il perçoit quelques faiblesses typiques, lacunes ou a contrario opportunités pour les néo-entrepreneurs locaux ou l’écosystème qui se targue de les accompagner.

Pourquoi ce livre? A qui le destinez-vous?

Omar Mohout: Le fait est que je reçois, chaque jour, de 3 à 5 demandes de start-ups qui se demandent quelles sont les prochaines étapes ou démarches qu’elles doivent entreprendre, comment définir leur MVP (minimum viable product)… Impossible d’aller prendre un café 5 fois par jour avec elles…

J’ai donc décidé de rédiger un livre en y consignant mon expertise et mon expérience personnelle afin de répondre à toutes ces questions, en le structurant selon les trois grandes étapes de la vie d’une start-up: stade de l’idée ; construction d’un MVP ; trajet scale-up.

Ce livre s’adresse aux acteurs de l’écosystème des start-ups belge mais aussi à des personnes qui travaillent encore actuellement pour des entreprises et qui pensent à la possibilité de devenir elles-mêmes des entrepreneurs. J’ai travaillé pendant 3 ans à la rédaction de ce livre… Pour ce faire, j’ai collaboré avec CoStation pour identifier ce qui constitue les principaux obstacles et pierres d’achoppement – les “pain points” – des jeunes entreprises.

Qu’est-ce qui distingue réellement ce livre de tous ceux que l’on peut trouver sur le marché? Qu’est-ce que les lecteurs y trouveront qu’ils ne trouveront pas ailleurs?

Omar Mohout: Le livre n’est pas un ouvrage théorique. Je prend un exemple. Dans le monde des start-ups, tout le monde utilise l’expression “product/market fit”. J’ai tenté de donner des conseils très pratiques, loin des théories génériques. Avec des exemples concrets, pas uniquement américains mais aussi européens. Le but pour moi était de traduire la théorie et les exemples en “how to do it”, en un guide pour une mise en pratique.

Quelles seraient selon vous les faiblesses caractéristiques des start-ups belges que les conseils que l’on trouve dans votre livre permettrait d’aider à résoudre?

Omar Mohout: La Belgique a beaucoup d’atouts: des talents, de la créativité, de bons ingénieurs… Chez nous, en général, on est fort en technologie, en pertinence de produits mais on a des faiblesses en matière de ventes et de marketing. Or, c’est essentiel pour attirer des clients, générer des revenus et, ensuite, pour croître.

C’est l’un des points que je mets en avant dans le livre: ne jamais sous-estimer l’importance du volet commercial et marketing.

Le problème des start-ups belges n’est-il pas qu’elles manquent d’ambition par rapport à leurs homologues dans d’autres pays, qu’on rencontre souvent des idées qui ne se différencient pas suffisamment?

Omar Mohout: Il est certain qu’en Europe, et plus spécifiquement en Belgique, on est moins ambitieux qu’aux Etats-Unis, par exemple. Mais le fait est aussi que le contexte ne permet pas forcément d’être aussi ambitieux. Il y a moins de possibilités de croître. Je prends l’exemple de Netlog, une plate-forme de réseau social. En 2010, elle comptait 100 millions d’utilisateurs. C’était le site Internet n° 1 en Belgique, en Espagne, en Italie, dans de nombreux pays européens… Malheureusement pour eux, ils ont levé 5 millions d’euros [Ndlr: en 2007] là où Facebook a levé plusieurs milliards.

Netlog avait une bonne solution mais, aux Etats-Unis, on pense tout simplement plus grand qu’en Belgique ou en Europe.

Il est donc important de penser réseau, de former les gens à penser global, à tirer parti de l’assise internationale d’acteurs tels que CoStation qui, via son partenaire BNP Paribas, peut jeter des ponts partout dans le monde, trouver des partenaires, de nouveaux marchés…

Quels sont les ingrédients d’une “bonne idée”? Des centaines, des milliers d’idées voient le jour mais on a souvent l’impression qu’on retrouve toujours plus ou moins les mêmes, lors des Startup Weekends ou événements de ce genre…

Omar Mohout: L’idée que quelqu’un a, d’autres, en effet, les ont eues. L’essentiel est la qualité de l’“exécution” pour créer de la valeur. La question n’est pas de savoir si vous avez une bonne idée mais si vous pouvez traduire l’idée en un bon produit, en clientèle, en marché.

Des Startup Weekends, il y a en a en effet beaucoup, quasiment chaque semaine. La question est de savoir ce qu’on fait le lundi matin… Si l’on regarde ce qui s’est passé ces dernières années, parmi les centaines de hackathons qui ont été organisés, on a peut-être vu réellement émerger deux ou trois start-ups. Par exemple, Pictawall, data.be… Mais c’est tout.

Les idées sont peut-être bonnes mais il faut les démarrer le lundi… La plupart des participants ont un boulot, sont encore aux études.

Ce genre d’événement, c’est amusant, cela inspire, motive, mais sans que l’on passe à l’acte.

Un autre élément est que les personnes qui sont à l’origine de sociétés telles que data.be ou Lindacare ont un point en commun: ce sont des entrepreneurs expérimentés.

 

Omar Mohout: “Des Startup Weekends, des hackathons, il y a en a en effet beaucoup, quasiment chaque semaine. La question est de savoir ce qu’on fait le lundi matin…”

Un “first time entrepreneur” éprouvera plus de difficultés. Il a besoin de beaucoup plus de soutien. Pas seulement dans la phase start-up mais surtout dans la phase scale-up.

Créer un MVP est relativement simple mais croître est un défi beaucoup plus important. Et, en la matière, il y a très peu de personnes ou d’organismes qui ont les compétences nécessaires pour accompagner les entrepreneurs. C’est l’un des points sur lesquels se concentre par exemple CoStation.

Quelles sont les compétences qui manquent éventuellement en Belgique pour former des gens pouvant justement aider et accompagner les porteurs de projets et les néo-entrepreneurs? Est-ce là le chaînon manquant?

Omar Mohout: A l’heure actuelle, la plupart des personnes qui procurent de l’accompagnement, la plupart des mentors, sont des hommes de terrain qui, sur base de leur expérience, procurent de l’input aux entreprises. C’est une bonne chose mais qui reste limitée en termes d’éventail couvert. Leur expérience demeure trop spécifique pour pouvoir espérer apporter un support et un accompagnement à n’importe quel type de start-up, quel que soit leur secteur d’activités.

[ Ndlr: une nouvelle fois, dans le cours de cette interview réalisée en duo avec Wouter Remaut, directeur de CoStation, Omar Mohout signale qu’à l’avenir l’incubateur va travailler davantage sur cette problématique. Pour les besoins des scale-up, il va en effet mettre davantage l’accent sur l’échange d’expériences et la mise en commun de compétences entre mentors et coachs ayant des compétences en marketing, RH, levée de fonds… “pour organiser et professionnaliser la démarche d’aide au scale-ups”. Des formations et mises à niveau seront donc sans doute organisées dans cette optique. ]

Dans votre livre, au chapitre “founder / market fit”, vous indiquez que l’une des conditions de réussite pour une start-up est que le fondateur de la société ait une connaissance préalable du secteur auquel s’adresse le produit, la solution. N’y a-t-il pas là une contradiction avec la volonté, l’espoir d’une start-up de susciter une “rupture”? Ne vaut-il pas mieux partir d’une vision sans a priori pour renouveler, dépoussiérer un secteur?

“Essayer de créer le plus vite possible un retour utilisateur (feedback loop) avec le marché.”

Omar Mohout: Tout dépend des règles du jeu auxquelles on veut appliquer une “disruption”.

Prenons un exemple. Imaginons deux start-ups. La première est lancée par un jeune de 19 ans qui sait très bien programmer et veut transformer le secteur des assurances. La deuxième est l’initiative d’une personne de 45 ans qui a une expérience de 20 ans dans ce secteur et qui voit une opportunité à saisir.

Le jeune de 19 ans qui veut développer une appli partira d’un point de vue commodity. La personne qui a 20 ans d’expérience identifiera mieux non seulement les problèmes mais aussi les opportunités. De mon point de vue, une expérience sectorielle, aujourd’hui, a beaucoup plus d’importance qu’une capacité à programmer.

Autre point important: quelqu’un qui veut lancer une start-up pour “bousculer” un secteur doit être prêt à s’accrocher à ce secteur pendant les 10 prochaines années. C’est là un engagement particulièrement important…

Pour conclure, si vous deviez pointer, parmi tous les conseils que l’on peut découvrir dans votre libre, les 3 ou 4 conseils-clé, essentiels, quels seraient-ils?

Omar Mohout: Le premier — dans la phase Idéation — serait de “tomber amoureux du problème, du besoin, pas de la solution”. Essayer d’abord de bien comprendre le problème à résoudre. La formalisation d’une solution ne vient qu’après.

Deuxième conseil, une fois qu’on a décidé quel serait le problème à résoudre: “good is better than perfect”. Autrement dit, ne pas vouloir à toute force proposer un produit qui soit d’emblée parfait. Il ne faut pas y travailler des années et vérifier indéfiniment si le marché est prêt. Il vaut mieux définir un MVP et essayer de créer le plus vite possible un retour utilisateur (feedback loop) avec le marché. Procéder par itérations, pivots, améliorations incrémentales.

Troisième point: lorsqu’on est prêt à entamer la phase de croissance (scale-up), quant on estime avoir suffisamment de feedback, de clients, il faut notamment tenir compte d’une règle importante qui est celle de la rétention. Avoir suffisamment de clients, d’utilisateurs est important, mais cela n’a aucun sens si leur nombre diminue rapidement. Si vous ouvrez un resto et que les gens n’y viennent manger qu’une seule fois, vous n’avez pas de business…

C’est là une condition essentielle pour pouvoir commencer à croître.