NRB-Trasys: fusion par opportunité

Interview
Par · 12/08/2015

Début juillet, NRB annonçait le rachat de Trasys. Achat encore soumis à l’approbation des autorités belges de la concurrence mais qui devrait voir naître un nouveau petit major local sur la scène de l’IT. C’est d’ailleurs là l’objectif non voilé de NRB: “notre ambition est de devenir le premier partenaire IT belge dans tous les marchés verticaux — industrie, utilities, secteur public… — et dans l’ensemble du pays, selon une stratégie exclusivement belge.”

Trasys, anciennement une entité de Tractebel Engineering, est devenue une société indépendante en 2006 suite à un management buy-out appuyé par Ackermans & van Haaren et la CNP.

Prestataire de services IT, Trasys dessert plusieurs secteurs, à commencer par le secteur public puisque les institutions européennes sont l’un de ses principaux clients. Voir notre encadré ci-dessous. S’y ajoutent le secteur de l’énergie, des services d’utilité publique, l’industrie manufacturière, les services financiers et le secteur public belge.

Ulrich Penzkofer (NRB): “Notre priorité? Innovation, qualité, proximité pour les clients belges.”

Trasys en chiffres
  • chiffre d’affaires 2014: 74 millions d’euros, dont 24% réalisé à l’étranger
    • ventes auprès d’organismes internationaux (en ce compris – majoritairement – les institutions européennes): 65%
    • énergie et utilities: 16%
    • industrie manufacturière: 9%
    • secteur public belge: 7%
    • secteur financier: 3%

– effectifs: 730 personnes

Côté compétences, elle s’est spécialisée dans la consultance, l’ERP (SAP), les services de développement d’application, le contrôle de production, la gestion d’infrastructures IT (essentiellement pour Tractebel Engineering) et, depuis 2013, le développement de solutions orientées mobilité, cloud, analytique et sécurité. La société dispose en outre de l’accréditation PSF (Professionnel du Secteur Financier) qui lui permet de proposer des services au secteur financier grand-ducal.

L’acquisition par NRB semble être la résultante de deux volontés qui se sont croisées. D’une part, celle du groupe d’origine liégeoise de “devenir le premier partenaire IT belge sur l’ensemble des marchés verticaux et dans l’ensemble du pays.” De l’autre, le fait que Trasys ait été à la recherche d’une solution lui permettant de franchir une étape supplémentaire – ou de stabiliser son rôle sur le marché.

Chris De Hous: “s’adosser à un groupe industriel au sein duquel disposer de moyens, pour booster nos activités.”

Chris De Hous (Trasys): Depuis 2006, nous avons enregistré une croissance régulière, progressant chaque année de quelques pour-cents. Nous en étions arrivés à un moment où il s’agissait de déterminer ce qui serait mieux pour la société et son développement. Etre adossé à un groupe industriel au sein duquel nous disposerions de moyens, de notre savoir-faire, et où on pourrait booster nos activités, ou continuer dans un schéma d’investisseurs financiers. Nous avons choisi la première voie, pour garantir la poursuite du développement des activités et créer ainsi un important groupe belge.

Il faut savoir qu’Ackermans & van Haaren et la CNP ne sont pas des investisseurs financiers typiques. Ils ont aussi une vision industrielle et ils ont constaté que dans le contexte de l’évolution du marché, de la consolidation et des économies d’échelle importantes qui le caractérisent, il était beaucoup plus valorisant d’adosser la société à un groupe industriel.

En quoi la situation qui était la vôtre vous empêchait-elle de progresser par vous-même?

Chris De Hous: Parce que la croissance dans le secteur des services [IT] passe par la croissance en effectifs. Il y a une limite au nombre de personnes qu’on peut ajouter. On peut bien sûr le faire via des acquisitions mais le faire en ayant une petite taille, comme c’est le cas pour nous, est très dangereux parce qu’il y a beaucoup de risques associés.

Pour accélérer le développement, il fallait donc trouver un autre groupe industriel. Un acteur ayant plus d’accès client. C’est beaucoup plus intéressant et plus rapide pour multiplier les offres de services.

Quand vous parlez de renforcement de l’“accès client”, vous parlez de clientèle existante ou d’une extension de la clientèle?

Chris De Hous: Pendant les années de crise dans le secteur IT, nous avions décidé de nous concentrer sur nos clients existants, de générer plus de business avec eux, plutôt que d’aller chercher de nouveaux clients, ce qui exige des investissements plus importants.

Aujourd’hui, le marché commence à revivre, on pourrait le faire [Ndlr: chercher à étendre la clientèle] mais cela prend beaucoup de temps. Ce sera plus facile de se développer avec l’accès qu’a NRB, dans les mêmes secteurs, chez d’autres clients.

Trasys réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires auprès d’organismes internationaux. Est-ce une volonté délibérée?

Chris De Hous: Il y a un certain équilibre entre les activités pour les institutions et pour les autres types de secteurs, pris dans leur totalité. Les dynamiques sont très différentes. Du côté des institutions, on travaille par grands appels d’offres. Il faut opérer en consortium et nous avons développé dans ce domaine une compétence en termes de gestion des consortiums dont nous faisons partie. Du côté non institutionnel, il faut aller chercher les contrats.

Avant de décider de vous adosser à un partenaire industriel, aviez-vous la volonté de modifier cette répartition d’activités?

Chris De Hous: Non. Notre but est de maintenir notre position au niveau des institutions. Mais c’est un marché très concurrentiel avec une importante pression sur les marges. Nous voulions donc surtout croître dans l’autre registre. Mais la concurrence, la aussi, est bien présente et notre taille était un désavantage.

Chris De Hous (Trasys): “Nous voulions surtout croître dans le registre non-institutionnel. Mais la concurrence est là aussi présente et notre taille était un désavantage.”

Vous aviez rajouté un nouveau type d’activités en 2013, à savoir le développement de solutions de type “SMAC” (social, mobilité, analytique, cloud). Comment évoluait cette offre? Quelles priorités aviez-vous définies?

Chris De Hous: Ces activités avaient été confiées à un incubateur interne. Le commerce numérique figurait au départ parmi nos objectifs. Nous l’avons dé-priorétisé parce que le marché est déjà relativement saturé alors que les autres volets présentaient davantage d’intérêt.

On a surtout misé sur la mobilité, avec une solution basée sur les connaissances développées à l’occasion d’un projet effectué pour Vinçotte [Ndlr: échanges de données administratives entre équipes internes et externes dans le cadre des missions d’inspection – gestion des ordres de mission, accès aux documents, feuilles de présence, facturation] et que nous avons portée sur les technologies IBM.

Un autre axe important est l’analytique prédictif. L’analytique a même pris plus d’importance que les solutions de mobilité. Nous avons par exemple décroché un projet pour Cofely Services qui gère le service de bagages à l’aéroport de Zaventem. Le projet, actuellement en cours, porte sur la prédiction de problèmes dans la gestion des bagages.

On a constaté que, même si nous avons pu instauré un pipeline de projets, les ventes proprement dite sont un peu en retrait. L’expérience et l’accès qu’a NRB devraient permettre d’accélérer le processus par rapport à une démarche purement organique.

Ulrich Penzkofer: “devenir le premier partenaire IT belge dans tous les marchés verticaux et dans l’ensemble du pays”

Dans une large mesure, les deux sociétés sont actives sur les mêmes marchés. Y a-t-il dès lors complémentarité, synergie ou, au contraire, redondance?

Ulrich Penzkofer (NRB): Il y a trois ans, nous avons redéfini notre stratégie et nos priorités. Nous avons connu une croissance organique très importante, renforcée par de petites acquisitions additionnelles dans certains métiers. Ce fut le cas récemment dans le secteur de la santé [rachat de MIMS et de Ciges par le groupe Xperthis]. Dans le cadre de notre ambition de devenir le partenaire IT n° 1 sur le marché belge, l’opportunité de fusionner avec Trasys présentait bien des avantages.

Trasys se focalise sur les grands marchés verticaux (industrie, secteur public, banques-assurances, utilities…), tous secteurs également importants chez nous. Ensemble, on devient plus fort, on crée de la pérennité pour la société, de la pérennité et de la stabilité pour les clients.

En termes de portefeuille, notre ambition est d’être plus que jamais le one stop shop pour les clients, avec un portefeuille end to end. Cela inclut le consulting — excessivement important aujourd’hui pour que le client comprenne mieux l’évolution des technologies IT et du business et puisse adapter ses compétences —, le développement de logiciels sur mesure, l’intégration de packages – également très importante au vu de la complexité croissante — et l’outsourcing cloud (gestion de serveurs, architecture, sécurité, centre de calcul, archivage).

Ulrich Penzkofer (NRB): “il est essentiel d’unir ses forces pour avoir la capacité d’innovation nécessaire, dans un marché où les clients belges s’attendent à ce que nous offrions la même qualité d’innovation que les grands concurrents internationaux.”

Dans le cadre de cette ambition one stop shop, Trasys apporte énormément de valeur, en termes de consultance, de solutions, en ce compris des solutions spécifiques pour l’industrie, les utilities, où nous sommes aujourd’hui déjà présent mais où nous serons plus forts ensemble.

Là où il y a complémentarité, c’est du côté infrastructure et outsourcing où Trasys était peu présent alors que cela a été la base de notre croissance, chez NRB, ces dernières années.

Ensemble, notre portefeuille permet de proposer à tous les marchés importants une gamme complète, dynamique, avec l’ambition d’investir continuellement dans l’innovation.

Chris De Hous: “Notre certification PSF nous permet d’opérer sur le marché des services financiers luxembourgeois.”

Chris De Hous: Les deux sociétés sont très similaires mais très complémentaires. Même si on est présent dans les mêmes secteurs, on a peu de clients communs. Les portefeuilles, eux aussi, sont très complémentaires.

Ulrich Penzkofer: Nous avons une forte présence au niveau des applications mainframe mais c’est une niche, même si elle est importante. En termes d’applications sur mesure, nous sommes présents sur les scènes Java et .net. Nous avons créé Afelio [développement de solutions Web]. Notre présence en matière de SAP est moyenne, notamment dans les secteurs de la santé, de l’industrie et des utilities. Trasys a par contre une importante présence SAP, ce qui nous permet de devenir un acteur important. C’est important, non seulement pour l’ERP mais aussi pour le big data, la mobilité. Ensemble, nous pouvons également devenir très forts en matière Java pour développer des solutions Internet sur mesure.

Par ailleurs, le centre offshore de Trasys en Grèce permet désormais à la société fusionnée d’accéder à des compétences dans un pays qui peut offrir des tarifs plus avantageux. C’était un réel défi, jusqu’ici, pour NRB d’être compétitif face à la concurrence…

Chris De Hous: Notre certification PSF nous permet d’opérer sur le marché luxembourgeois, dans le secteur des services financiers. C’était aussi un désir de NRB de le faire. Cela favorisera son développement au Grand-Duché.

Quel est le secteur où Trasys apporte le plus à NRB?

Ulrich Penzkofer: En termes de volumes, clairement les institutions européennes où NRB, aujourd’hui, n’est pas du tout présent. Ensuite, les utilities où nous devenons un acteur important en Belgique. C’est un marché relativement petit mais très important avec des besoins énormes, un modèle qui change de manière radicale, et une dépendance extrême d’une IT performante. Ensemble, dans ce secteur, nous représentons un chiffre d’affaires d’environ 40 millions d’euros, ce qui nous place parmi les leaders en termes de volume. Nous avons également les compétences. Sans oublier que NRB a parmi ses actionnaires deux utilities — Sibelga et Tecteo pour qui, traditionnellement, nous avons fait presque tout — applications, transformation SAP, clearing house

Un secteur très concurrentiel avec de gros acteurs étrangers…

Ulrich Penzkofer: Oui mais qui ont comme désavantage de ne pas disposer de centre de compétences en Belgique. Le marché est pour eux trop petit pour qu’ils justifient cet investissement…

NRB, disiez-vous, poursuit une stratégie strictement orientée vers le marché belge. Or, Trasys réalisait, en 2014, 24 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. Quelle sera la stratégie à l’avenir?

Chris De Hous: Il y a deux raisons à notre présence à l’étranger. D’une part, certains de nos clients, agences de la Commission pour l’essentiel, sont basés à l’étranger. Par l’exemple l’EMA, l’Agence européenne du Médicament, à Londres, l’ECHA, Agence des produits chimiques, basée en Finlande… Une partie de nos revenus vient de ces contrats-cadre. D’autre part et dans une moindre mesure, nous suivons certains clients à l’étranger, par exemple L’Oréal.

Notre stratégie géographique était de suivre les clients, lorsque nous avions quelque chose à apporter. Il ne s’agit pas d’une volonté d’être présent en France, en Allemagne… Beaucoup de sociétés ont essayé de le faire mais se sont plantées parce que c’est très cher et que le succès est limité si on ne peut pas proposer un atout très différenciant…

Une présence à l’étranger si le delivery le justifie.

Ulrich Penzkofer: La même chose vaut pour NRB. Nous assurons le delivery en dehors de la Belgique si nécessaire. Nous avons par exemple réalisé une grosse implémentation SAP pour Eurogentec aux Etats-Unis. Nous avons des clients industriels ayant des activités à l’étranger.

Pour eux, nous avons une petite filiale dans les pays où c’est nécessaire pour le delivery. Pas pour adresser les marchés locaux. Nous avons aussi des gens qui travaillent en Scandinavie, en Amérique latine, aux Etats-Unis…

La seule réelle activité nationale concerne le Luxembourg. Et elle sera maintenue.

Combien de personnes pour l’instant au Grand-Duché?

Chris De Hous: Une trentaine.

NRB va-t-elle désormais développer une stratégie pour le Grand-Duché?

Ulrich Penzkofer: Nous allons essayer de pénétrer davantage le marché luxembourgeois, même s’il est modeste. Mais c’est un marché intéressant…

Chris De Hous: Les institutions européennes et le marché financier sont les deux grands secteurs. Sans oublier quelques clients industriels – Arcelor, Goodyear… NRB a des offres de services spécialisées dans le secteur de la finance. Nous essaierons de développer davantage nos activités.

“En croissance organique, nous visons une croissance au minimum deux fois supérieure à celle du marché.”

Le groupe fusionné pèse désormais plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. Comment voyez-vous l’évolution future? Quels sont vos objectifs, à quel terme?

Ulrich Penzkofer: Je suis convaincu que nous allons poursuivre dans le sens d’une croissance organique, avec un focus sur les problématiques majeures des clients — le cloud, l’infrastructure IT, le big data, la mobilité… Nous allons renforcer les marchés qui sont synonymes, pour nous, de croissance. Géographiquement, c’est la Flandre. Notre proposition est clairement industrialisée: nous voulons proposer les solutions qui procurent les meilleures conditions de prix, de qualité et d’innovation.

En Flandre, le potentiel de croissance se situe surtout du côté de l’industrie.

En Wallonie, la possibilité de croissance est également importante, dans l’industrie. C’est une nouveauté pour NRB puisque nous n’y étions pas présent, voici 3 ans. Il y a beaucoup de choses à faire, au cours des prochaines années, en termes de croissance organique, pour renforcer notre position.

Le deuxième levier est celui des acquisitions. Dans un marché qui voit beaucoup de fusions et d’acquisitions, année après année, qui est caractérisé par une forte consolidation, on ne peut pas essayer de garder sa position uniquement par la croissance organique. Les concurrents deviennent tellement importants que nous devons faire de même.

Ulrich Penzkofer (NRB): “Dans un marché caractérisé par une forte consolidation, on ne peut pas essayer de garder sa position uniquement par la croissance organique.”

Nous l’avons fait, aujourd’hui, avec Trasys. Mais cela va continuer. S’il y a des opportunités, NRB a une solidité, une équipe de management, une base de clients, une structure, un portefeuille… qui rendent possible cette croissance par acquisitions. Soit ponctuelles, avec rachat de petits acteurs, avec des compétences très ponctuelles, ou, s’il y a des opportunités, des acteurs plus grands, plus horizontaux.

En termes de croissance organique, nous voulons avoir une croissance au minimum deux fois supérieure à celle du marché.

Ce contexte, avec de nombreuses acquisitions et fusions, n’implique-t-il pas des risques? Faut-il absolument suivre le mouvement? Est-ce justifié, est-ce tenable pour une société telle la vôtre?

Ulrich Penzkofer: Il y a toujours un risque. Mais si on regarde les acquisitions qu’a faites NRB depuis 2010, elles ont toujours couronnées de succès. NRB a complètement changé sa présence en Belgique, son agilité, son portefeuille, son approche d’innovation et c’est clairement— partiellement mais de manière significative — grâce aux acquisitions qu’a faites le groupe.

Le tout est de bien préparer et sélectionner les acquisitions. Les équipes de management doivent être très professionnelles… Si on est conscient des risques, on peut les gérer.

Avant fusion, Trasys employait 730 personnes. Tout le monde sera-t-il repris ou des choix devront-ils être faits?

Ulrich Penzkofer: Nous allons essayer de trouver une place pour tout le monde. Ce que j’ai dit lorsque je suis arrivé chez NRB reste vrai: dans un marché aussi concurrentiel, où aucune position n’est éternelle — parce que le marché évolue, les clients changent, les projets se terminent —, il faut demander aux employés d’être agiles, flexibles et d’apprendre toute leur vie. Si cette approche est là, il y aura toujours une place chez NRB-Trasys.

Chris De Hous: Le groupe est en plein essor, avec de nombreuses filiales. Il y a donc pas mal d’opportunités…