Liégeois. Starter en e-santé. Témoignage d’un expat’…

Interview
Par · 23/06/2016

Le Liégeois Julien Penders est l’un des deux fondateurs de Bloom Technologies, société orientée e-santé qu’il a créée à San Francisco avec son acolyte américain Eric Dy. L’objet connecté, doublé d’une appli, mis au point est un dispositif de surveillance personnalisé de grossesse, baptisé “Belli”. Nous vous en avions déjà parlé.

Si nous reparlons aujourd’hui de Julien Penders et de sa société, c’est en raison des progrès réalisés ces derniers mois dans le processus de lancement du produit et des enseignements qu’il en a tirés et qu’il désire partager avec les autres néo-entrepreneurs.

Le Belli devrait entrer en phase de commercialisation à grande échelle, sur le marché américain, vers la fin de l’année. Une arrivée en Europe est prévue d’ici environ un an.

Ces derniers mois, le projet a été récompensé à l’occasion de plusieurs concours de start-ups – notamment l’Extreme Tech Challenge (avec un jury de haut vol où figurait notamment Richard Branson) – et boucle en ce moment une phase d’accélération au sein du Hax Boost de San Francisco.

L’occasion de faire le point sur tout cela avec Julien Penders, de retour pour quelques jours en Belgique.

Régional-IT: Quels furent les moments forts, les faits marquants de ces six derniers mois? 

Julien Penders: Nous avons clairement connu une accélération ces six derniers mois. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons déjà sortis du chaudron qu’est cette phase intense de lancement. La réflexion sur ce qui a été fait et sur l’avenir n’est pas terminée.

Je retire trois points essentiels de ces six derniers mois.

Première chose: la confirmation de l’importance de la “traction”. Le produit a été lancé, en petite série, en janvier 2016. Les futures mamans ont dès lors pu le commander via notre site. En mode “early access program”, ce qui confère un sentiment d’exclusivité, d’être parmi les premières à avoir accès à la technologie.

Avec le recul, ce fut pour nous une très bonne chose de commencer à vendre très tôt. C’est le principe du MVP. Le produit doit être stable, ne doit pas crasher tout le temps mais il ne doit pas être parfait… Toutes les fonctionnalités du produit ne sont pas encore finalisées mais le fait d’avoir des clients permet d’avoir un feedback, par ailleurs très honnête, très sincère et très efficace.

Cela nous a permis d’accélérer la validation du produit, la finalisation de son développement.

Deuxième point: nous continuons à explorer de nouvelles fonctionnalités, plus cliniques et techniques, qui seront proposées sur les prochaines générations du produit. Cela nous permet d’aller démontrer le potentiel technologique devant des investisseurs et d’autres personnes, d’engendrer de l’engouement pour la technologie et son applicabilité à d’autres stades de la grossesse.

Commercialiser le produit très tôt, sans qu’il soit forcément parfait, permet d’avoir un feedback très sincère et très efficace, et d’accélérer la finalisation de son développement.

Le troisième point concerne un facteur qui fut révélateur pour moi. Il s’agit de l’importance du positionnement de la société comme opinion leader, comme leader dans son domaine.

Nous avons eu la chance de remporter l’Extreme Tech Challenge, qui nous a placé sous les feux des projecteurs et nous a procuré une importante visibilité dans les médias. Cela permet d’accélérer et d’amplifier notre traction, de renforcer l’équipe – nous engageons 4 personnes supplémentaires, en Belgique et aux Etats-Unis…

Pourquoi avoir postulé à ce concours Extreme Tech?

Il est toujours important pour une start-up d’être visible au sein de la communauté des investisseurs. C’est vrai quand on lève des fonds mais c’est tout aussi important, sinon plus, quand on n’en cherche pas. Parce que c’est la meilleure manière de devenir visible aux yeux des investisseurs. Pour établir une relation, un contact. Quand on aura besoin de fonds, on pourra les recontacter. Ils nous auront déjà suivi et nous connaîtront…

Construire cette relation quand on n’a pas besoin de cash est plus facile et plus fructueux…

C’est dans cette optique là que nous avons postulé à plusieurs concours: l’Extreme Tech Challenge, le Launch, le Vator Splash Health challenge d’Oakland… C’est parfois une affaire de chance mais il ne faut pas hésiter à continuer à postuler, postuler, postuler… jusqu’à ce que la chance nous sourie.

Participer à tous ces concours n’est-il pas trop lourd en termes de temps à y consacrer?

Cela prend en effet beaucoup de temps mais, quand je vois où on en est aujourd’hui, je crois que si on n’avait pas eu cette visibilité, on en serait sans doute arrivé au même point en termes de produit et de traction mais on n’aurait pas bénéficié de ce facteur d’amplification qui est apporté par la visibilité médiatique.

Il faut certes se focaliser sur l’amélioration et le développement du produit mais il ne faut pas négliger l’importance de la visibilité. Et certains entrepreneurs font cette erreur.

Il faut se faire reconnaître en tant que société. Une start-up, ce n’est pas un produit. C’est une société, c’est une marque qui se développe. Faire connaître la marque, la société, est extrêmement important. Aussi important que le produit. Il faut avancer sur les deux fronts. Si on ne travaille que sur le produit, le risque de se planter est grand…

Vous recherchez, j’imagine, avant tout de la visibilité sur le marché américain ou pensez-vous aussi à une visibilité internationale?

Absolument. Notre priorité, aujourd’hui, est clairement le marché américain. On recherchera de la visibilité en Europe en deuxième partie de 2017. Nous voulons y introduire le produit fin 2017, début 2018. A ce moment-là, on recherchera des partenaires, des investisseurs pour nous aider à étendre le business en Europe. L’Asie viendra ensuite, en 2018.

Vous disiez engager 4 nouvelles personnes, en Belgique et aux Etats-Unis. Quels profils recherchez-vous?

Nous venons d’engager une spécialiste en études cliniques, qui travaillera à l’hôpital de Genk (Limbourg) [Ndlr: pour rappel, Bloom Technologies a un pied en Belgique – son bureau est établi au coeur-même de l’hôpital de Genk, un pied aux USA]. Elle nous permettra d’accélérer le développement de nouvelles fonctionnalités et de nous assurer qu’elles sont validées cliniquement avant de les lancer sur le marché consommateurs.

Nous engageons aussi deux développeurs mobiles, un pour Android, l’autre pour iOS.

Les tests cliniques s’effectuent-ils des deux côtés de l’Atlantique?

Non, essentiellement en Belgique. C’est ici que se font les développements de nouvelles caractéristiques, ainsi que la validation clinique. Aux Etats-Unis, nous sommes plus orientés levée de fonds, marketing, gestion de communauté et service clientèle.

Avec le recul, n’aurait-il pas été possible de développer et de lancer le produit en Europe? L’évolution, le parcours aurait-il été différent?

L’orientation que nous avons prise est due à un état d’esprit différent. Aux Etats-Unis, les futures mamans sont habituées à devoir payer de leur poche la prise en charge de leur grossesse. En Europe, on se repose davantage sur son médecin et la sécurité sociale.

Cette différence d’état d’esprit à un énorme impact sur le type de business model qu’on doit avoir pour aborder le marché américain ou le marché européen.

Si on devait venir aujourd’hui en Europe, on n’adopterait sans doute pas une approche consommateur mais plutôt une approche plus médicale. On travaillerait avec des obstétriciens, des gynécologues pour qu’ils recommandent le produit au patient.

Si on se place sous l’angle de la rapidité d’impact et la visibilité, quelle est la meilleure approche? L’approche via le monde médical n’est-elle pas plus rapide?

Je ne crois pas que cela aurait été vrai aux Etats-Unis. La FDA nous retarderait d’un an. Un an pendant lequel on ne pourrait donc pas vendre. Or, nous sommes les premiers à proposer ce genre de produit. Nous n’avons pas de concurrent. C’était donc super important de nous positionner comme le premier sur le marché.

A l’avenir – mais il faudra le vérifier -, lorsque nous aurons l’approbation de la FDA, le facteur croissance pourrait être plus rapide. On n’opérera plus alors en vente directe au consommateur mais en mode B2B2C, avec un potentiel d’acquisition de clients plus rapide si, par exemple, un gros hôpital recommande notre produit.

Mais dans le monde des start-ups, on n’a pas l’éternité devant nous. On doit prendre des décisions qui permettent de démontrer l’intérêt pour la technologie. Surtout quand il s’agit d’un nouveau produit, il faut montrer qu’il y a un nouveau marché. Nous n’avions tout simplement ni le temps, ni les budgets pour passer par la case FDA…

Le projet vient d’intégrer l’accélérateur Hax Boost à San Francisco. Qu’en attendez-vous?

Le programme [de 40 jours] est presque terminé. Cet accélérateur s’adresse à des sociétés qui disposent déjà d’un produit et qui désirent le lancer sur le marché.

Nous avions trois buts. Tout d’abord, établir notre chaîne logistique. Le modèle est celui d’un abonnement, avec réexpédition du produit quand la future maman n’en a plus besoin. La chaîne logistique n’est donc pas simple. L’accélérateur nous a permis, en 15 jours, d’obtenir tous les contacts nécessaires.

Julien Penders: “dans le monde des start-ups, on n’a pas l’éternité devant nous. On doit prendre des décisions qui permettent de démontrer l’intérêt pour la technologie.”

Deuxième point: le marketing, surtout le marketing digital. Objectif: accéder rapidement à des techniques de growth hacking qu’on ne connaît pas forcément.

Troisième élément: “tâter le terrain” au niveau du retail. Pas évident dans un modèle d’abonnement et de location, qui n’est pas forcément compatible avec un modèle retail. Nous avons pu entrer en contact avec Target, avec Brookstone et tous les grands retailers USA. Non pas pour signer des contrats mais pour comprendre leur approche et déterminer s’il y a des possibilités de travailler ensemble plus tard.

Couronné à l’Extreme Tech Challenge. Remise du prix, par Richard Branson, à Eric Dy, partenaire de Julien Penders.

Un conseil que je donnerais aux autres start-ups, c’est de ne pas entrer dans un accélérateur juste parce que c’est cool ou sympa. Ce serait une perte de temps.

Il faut avoir, a priori, quelques questions bien précises auxquelles on veut obtenir une réponse.

Ce qu’on a acquis en 40 jours au Hax Boost nous aurait sans doute pris 3 mois si on l’avait fait par nos propres moyens.

Vous avez choisi de vous expatrier mais en gardant un pied des deux côtés. Un conseil aux autres start-ups?

Il faut viser l’équilibre. Je ne pense pas qu’il faille s’expatrier totalement aux Etats-Unis. Il faut un équilibre, avec une société qui garde un bureau en Belgique et une façade aux USA. L’équilibre dépend de chaque société mais un bon exemple est Showpad, qui le fait très bien. L’équipe de développement est à Gand. Tout ce qui est commercial, marketing, levée de fonds, est aux Etats-Unis.

Cet équilibre est une réelle opportunité pour un entrepreneur belge par rapport à un entrepreneur américain qui n’a pas cette connaissance des talents et des réseaux en Belgique… Il faut encourager l’exploitation de cette opportunité. On ne se rend pas toujours compte de cette force. Or, c’est là quelque chose qu’il faut exploiter beaucoup mieux.

Quelles sont justement, à vos yeux, ces potentiels spécifiques, existant en Belgique, dont on n’a pas assez conscience?

La première opportunité est l’accent aux talents. On a de très bonnes universités, des ingénieurs très bien formés. Et le marché de l’emploi est beaucoup moins compétitif. Quand je dois engager un  ingénieur de talent à San Francisco, je suis en concurrence avec Google, Facebook, Apple, Uber… C’est quasi impossible. Je vais payer extrêmement cher et je n’aurai qu’un niveau plus que moyen. Ici, en Belgique, j’ai des gens de super-qualité, qui sont emballés par l’idée de travailler dans une start-up qui a cette dualité belge-américaine, qui leur donne un exposition internationale…

Les prochaines étapes pour Bloom Technologies et le produit?

La première étape est la préparation du lancement du produit à grande échelle fin 2016. Nous allons graduellement augmenter le volume de vente, tester les différents canaux d’acquisition des consommateurs.

Côté produit, nous ajouterons rapidement de nouvelles fonctionnalités pour couvrir les besoins des futures mamans pendant le deuxième et ensuite le premier trimestre de la grossesse.

Le fait est que nous avons commencé par des fonctions destinées au dernier tiers de la grossesse parce que la demande qui venait des futures mamans était d’obtenir une aide et des conseils en matière de contractions. Le premier produit est un produit d’éducation qui les aide à comprendre ce qu’est une contraction et à la différencier d’autres choses, et à l’accompagner jusqu’au processus d’accouchement.