Eric Haubruge (Jobs@Skills): “Ré-agencer les pédagogies et les mentalités”

Interview
Par · 15/03/2019

Pourquoi une structure telle que Jobs@Skills se justifie-t-elle? En quoi le contexte de l’emploi et des compétences a-t-il changé ou promet-il des défis nouveaux que les anciennes “recettes” pédagogiques ne pourraient résoudre? Petit entretien avec le professeur Eric Haubruge, président du conseil d’administration de Jobs@Skills (voir notre article consacré à cette structure) et par ailleurs conseiller Innovation du recteur de l’ULiège.

Il nous parle des recettes indispensables, selon lui, à la mise en oeuvre des nouvelles formations aux compétences numériques de demain, tous secteurs confondus. Restructuration des compétences et des formations, collaborations entre acteurs jusqu’ici concurrents, collaboration avec les entreprises et fédérations d’entreprises, nano- et micro-masters “à la carte”…

 

Regional-IT: En quoi le contexte a-t-il changé et qu’apporte Jobs@Skills pour y répondre?

Eric Haubruge: Il y a une chose dont je suis intimement convaincu, c’est que le développement économique tel qu’on le connaît aujourd’hui, en l’occurrence son lien de plus en plus étroit avec le numérique, dans tous les secteurs – biotech, santé, industrie, alimentaire… -, rend nécessaire de déployer les formations en parallèle, en simultanéité, avec le développement économique. Il n’est plus possible de développer une filière d’activité sans plan de formation. Les compétences nécessaires évoluent trop vite, freinent le développement économique si ce plan de formation n’est pas au rendez-vous.

Auparavant, un acteur économique développait ses activités puis s’en allait chercher des ressources et les formations s’adaptaient a posteriori.

Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Pour le monde de la formation, cela implique d’être plus à l’écoute du monde économique.

 

Quel genre de collaboration ou d’entente cela implique-t-il pour une structure telle que Jobs@Skills ou pour un acteur de la formation?

Pour nous, cela implique de travailler beaucoup plus, notamment avec les fédérations professionnelles afin d’avoir un impact important lorsque l’on change les choses. En Belgique et en Wallonie, le tissu économique est surtout constitué de petites PME. On ne peut donc pas réellement établir des relations entreprise par entreprise. Cela a par contre du sens de travailler, de faire passer les formations par des structures qui les rassemblent – les fédérations, les clusters, les Pôles de Compétitivité. Et ce, afin d’aller plus vite.

Un autre élément-clé de la réussite est de créer des structures, telles que Jobs@Skills, où les acteurs de la formation eux-mêmes se rassemblent. Par le passé, il y avait beaucoup de concurrence entre organismes de formation, universités, Hautes Ecoles, privé, public… Or, ce dont il faut se rendre compte, c’est que certaines compétences ne sont présentes que dans les universités, d’autres dans les Hautes Ecoles, d’autres encore au Forem…

Il faut réunir tout le monde, assembler ces compétences au sein d’une même structure afin d’être plus réactifs vis-à-vis des attentes des entreprises.

Les formations qui seront fournies le seront aussi en divers endroits – 5 heures à l’université, 5 heures au Forem, 5 heures dans une autre structure… C’est nécessaire pour obtenir quelque chose d’optimal.

 

Les mentalités évoluent-elles à cet égard?

Oui, énormément. Chez Jobs@Skills par exemple, nous avons tout d’abord construit en collaboration avec le Forem. Depuis peu, l’Ifapme s’est joint à l’initiative parce qu’il détient des compétences spécifiques non présentes ailleurs, notamment dans le domaine de la construction. Les caractéristiques de chacun rendront formations et compétences plus efficaces.

 

Un autre élément auquel vous accordez beaucoup d’importance est la rapidité. Est-ce une autre caractéristique des nouvelles démarches pédagogiques?

L’argument de la rapidité est plutôt une volonté de la part de Jobs@Skills. Mais elle n’est pas encore une réalité dans tous les secteurs.

Autant il est vrai qu’en matière de formation tout au long de la vie, il est essentiel de rassembler un maximum d’acteurs, il est également vital de pouvoir puiser dans un répertoire de formations le plus large possible. Or, il se fait que de nombreuses formations existent déjà. Il s’agit de les rassembler dans une base de données des compétences, de décomposer ces formations et de les reconstituer à la carte.

Cette déconstruction/reconstruction de contenus de formation porte un nom: voici venir les “nano-” et “micro-masters”. “Des morceaux de cursus qui sont assemblés pour reconstruire quelque chose à la carte. Cela se fait actuellement surtout dans le monde anglo-saxon…

On choisit et combine deux MOOC, un cours, un SPOC… Ce sont souvent des cours à distance.

A terme, ces “nano-masters” pourront être rassemblés en (vrais) masters. Donnés par les Hautes Ecoles et les universités, ils sont très rémunérateurs pour ces acteurs dans la mesure où ils visent un domaine spécifique.”

Prenons l’exemple de l’automatisation et de la robotisation. Les compétences nécessaires sont, d’une part, purement techniques mais, d’autre part, ont aussi trait aux relations homme-machine, à des soft skills tels que la psychologie, les ressources humaines… La rapidité, c’est aussi aller chercher ailleurs des morceaux de compétences dont on a besoin. Une fois encore pour être plus réactifs vis-à-vis des entreprises.

 

Y a-t-il une spécificité belge, ou locale, dans le contexte de ces nouvelles démarches pédagogiques?

On ne peut pas réellement parler de nouveauté en termes d’outils de formation. Chez Jobs@Skills, nous utilisons certes des outils de pointe, tels que la réalité virtuelle ou augmentée, mais ils existent de manière assez généralisée sur le marché.

Par contre, c’est vrai que nous avons la particularité d’utiliser une grande diversité de ces outils (SPOC, classes inversée, AR/VR…) et de pouvoir compter sur les multiples capacités locales.

Ce qui fait davantage notre spécificité, c’est le modèle d’incubation que nous avons développé: incuber des formations, avec de l’accompagnement…