Educode: quelles nouvelles recettes pour enseigner l’ouverture et l’audace?

Interview
Par · 22/08/2018

Du 26 au 29 août, Bruxelles accueillera la première édition du colloque international EduCode. L’occasion, espèrent les organisateurs, d’amener “professeurs, directeurs d’écoles, parents et étudiants, chercheurs et toute personne intéressée par l’enseignement et le numérique, à réfléchir à l’usage du numérique dans l’enseignement et à l’importance de s’initier à la pensée informatique et à la programmation en classe.”

Sujet à la fois vaste et bien dans l’air du temps.

Mais pourquoi un tel colloque et que peut-on en attendre? Nous avons posé quelques questions à celui qui en est l’une des principales chevilles ouvrières, Nicolas Pettiaux, maître-assistant à l’Ecole supérieure d’Informatique de la HE2B (Haute Ecole Bruxelles-Brabant).

Adresse du colloque: Bozar (23 rue Ravenstein à Bruxelles) et ISIB-Institut Supérieur Industriel de Bruxelles (150 rue Royale).
Plus d’informations (programme, orateurs, animations…) et inscriptions via le site de l’événement.

Regional-IT: Pourquoi cet événement Educode? Pourquoi en avoir ressenti le besoin?

Nicolas Pettiaux: Comme citoyen d’abord et enseignant ensuite, je “vis” la transformation numérique de la société et je suis persuadé que les “institutions où l’éducation est structurellement organisée” – à savoir les écoles, maternelles, primaires, secondaires, supérieures et les universités – qui sont des micro-sociétés, ne vivent pas assez, comme acteurs responsables, les transformations qui sont désormais nécessaires.

En tout cas, pas assez activement, structurellement. Bien sûr, la formation de base (savoir lire, écrire, s’exprimer, compter, poser des questions et être curieux de tout) est essentielle et ne doit pas être remise en question. Mais la société évolue et il faut activement compléter la formation, intégrer de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences pour rester adapté.

De très nombreuses personnes, l’Académie royale, Agoria, de nombreuses enquêtes disent qu’il manque de très nombreux emplois liés au numérique, qu’il faut développer les compétences de tous et en particulier celles des jeunes, notamment au codage.

C’est un peu un cercle vicieux: très souvent, les professeurs enseignent comme ils ont eux-mêmes appris. Comment feront-ils pour changer? Ils disent ne pas avoir assez d’occasion de se former. Comment faire? La seule solution: proposer des formations pratiques et des conférences de réflexion sur le sujet.

Pour paraphraser Georges Marshall, pour des changements tels que le réchauffement climatique ou les transformations de la société induites par le numérique, qui impliquent de les prendre en compte et – surtout – de faire ce qui est nécessaire, nos esprits ne sont pas “performants”.

C’est là quelque chose qui se situe dans le futur. Cela nous oblige à faire des sacrifices et cela aura un coût incertain. EN termes de futur, ce serait plutôt le présent, mais nous aimons penser que c’est le futur.

Ensuite, il n’y a pas d’ennemis à combattre, en tout cas à proximité ou de manière visible, pas d’intention malveillante. Face à des ennemis intérieurs ou extérieurs, nous sommes très motivés. Ici, sur le climat ou la transformation numérique de la société, des changements qui sont progressifs et dans lesquels nous sommes immergés, il n’y a ni ennemi, ni intention de nuire.

Quand je conduis ma voiture, quand je prends l’avion, quand je consomme des aliments ou des produits qui viennent de loin, voire dont la production a exploité des gens, que j’utilise le smartphone sans me rendre compte qu’il me contrôle (ou les acteurs qui sont derrière), jamais je n’ai d’intention de nuire à qui que ce soit.

Et si d’aventure je prends conscience de la nocivité de mon comportement, je suis tenté de refouler ce savoir qui me tend un miroir de responsabilité. C’est comme cela que se forme un silence socialement construit.

Or, nous sommes chacun maître de notre destin. Comme père, enseignant, citoyen qui se veut responsable et qui est, même sans le vouloir, un modèle, je veux agir pour améliorer un peu mon destin et celui de mes semblables.

A qui s’adresse EduCode? Autrement dit, quels “profils” de participants espérez-vous attirer?

Plus que par le passé, l’éducation est aujourd’hui permanente, tout au long de la vie… même si elle est principalement structurée entre 3 et 25 ans. Le système ne changera que si un assez grand nombre d’acteurs – nous sommes tous ces “acteurs” – décident de changer, car cela implique de passer par de l’inconfort et des efforts.

Les enseignants, comme les autres, continueront de faire ”comme on a toujours fait”. Ils changeront quand ils devront, poussés par les parents et, surtout, par les enfants qui, en 2018, veulent des enseignements plus motivants, plus participatifs, sans doute plus concrets que par le passé.

Je suis persuadé que le système ne changera que si suffisamment d’acteurs de l’éducation passent à l’action. Voilà pourquoi tous – les enseignants qui jouent un rôle essentiel, les enfants qui jouent un rôle central, les directions, membres des équipes de support, tous ceux qui ont un rôle administratif, les décideurs politiques, les syndicats … – sont invités à la première journée de lundi 27, où l’objectif est de sensibiliser et faire réfléchir.

La journée du 28 s’adresse surtout aux enseignants qui ont besoin de davantage d’aide et de soutien. Idem pour le 29 quand ils échangeront leurs expériences en étant, j’espère, entendus par les décideurs.

Par catégorie ou type de profil, qu’est-ce que les participants peuvent espérer retirer d’EduCode?

A coup sûr, pour tous, de la matière à réflexion, interrogations, débats et échanges. Pour les apprenants, parents et enseignants, des contenus et des expériences librement adaptables, partageables, immédiatement utilisables dans leurs explorations quotidiennes, autour de la table à manger comme dans les classes ou à bien d’autres occasions.

Pour eux aussi, j’espère, la compréhension que ce n’est pas si difficile que cela – comme monsieur Jourdain avec la prose,-, que les situations-problèmes abordables par des approches de résolution de problèmes dites algorithmiques sont en fait très courantes. Que cela demande sans doute un peu d’effort, comme tout apprentissage.

Que proposera la conférence – ateliers, exposés, débats, démos, témoignages, échanges entre participants… ?

Le lundi 27, il y aura des exposés courts, typiquement 15 minutes, destinés à faire réfléchir, et deux tables-rondes, pour échanger sur des expériences dans différents pays, différentes circonstances, et apprendre des essais des autres.

Un spectacle interactif de 1h30 démontrera que les approches de type résolution de problème algorithmique sont amusantes, très nombreuses, abordables dès le plus jeune âge et jusqu’au plus grand âge,

Il y aura aussi des témoignages avec des enfants qui viennent expliquer ce que le numérique leur apporte comme gain de confiance en soi, de motivation, de situation de mise en œuvre concrète, avec du plaisir au centre de l’apprentissage.

Une conférence plus longue permettra de réfléchir plus en profondeur et de voir plus loin. Elle sera donnée par Richard Stallman, le créateur de la licence qui a donné lieu à celle de Wikipedia et à l’idée des logiciels libres. Il est titulaire de plus de diplômes de docteur honoris causa que personne d’autre que je connaisse, l’auteur d’un modèle à côté duquel plus aucune société ne peut passer. C’est aussi quelqu’un dont les valeurs et l’éthique ne sont pas solubles dans la facilité et l’argent. Ce qui est essentiel pour moi.

Comment et pourquoi les orateurs ont-ils été sélectionnés?

En fonction d’abord des actions qu’ils ont menées, des textes qu’ils ont écrits, de ce qu’ils ont fait et réalisé. Et du fait qu’ils et elles veulent le partager librement.

Nous avons fait beaucoup pour mettre en avant les femmes, autant que les hommes. Selon moi, on approchera des solutions quand il y aura autant de femmes que d’hommes qui étudient les sciences et l’informatique et les mettent en œuvre dans leurs activités quotidiennes.

Autre oratrice, Marie-Martine Schyns, la ministre de l’Enseignement, pour qu’elle nous dise ce qui a été réalisé effectivement dans la transformation du paysage scolaire en particulier vis-à-vis du numérique et qu’elle réponde aux questions que le public est d’ailleurs invité, dès maintenant, à soumettre via le wiki ouvert à tous, prévu sur le site.

Jean-Claude Marcourt, ministre de la Recherche et de la formation des enseignants, est aussi inscrit au programme car il se préoccupe du futur de notre société par nature et parce que c’est à ses yeux assez important pour qu’il nous soutienne.

Quel résultat espérez-vous du colloque? Quelle suite en attendez-vous?

En premier lieu, que lesdits acteurs, n’aient plus peur d’essayer la nouveauté, en ce compris dans la classe et dans toute circonstance dans leur vie. Qu’ils fassent confiance aux enfants pour leur apprendre des choses, en ayant confiance en leurs propres capacités à aider les enfants en les guidant.

Si auparavant, il était assez clair que la connaissance était dans des livres et dans la tête de ceux qui savent, il est assez clair aujourd’hui qu’au moins le mirage de la connaissance est dans Internet, lui-même accessible grâce au smartphone connecté qui n’est jamais très loin.

Si avant, il était difficile et cher d’accéder à l’information et ensuite aux compétences pour l’utiliser, aujourd’hui l’information est facilement accessible et il faut plutôt apprendre à trier, à se poser les questions qui permettent de garder celles qui servent et jeter assez tôt celles qui encombrent. Il s’agit de comportements, de compétences qu’il va être compliqué de l’acquérir. Mais que c’est possible à tout âge.

Nicolas Pettiaux (EduCode): “Des comportements, des compétences qu’il va être compliqué de l’acquérir. Mais que c’est possible à tout âge.”

Autre résultat espéré: que le numérique soit vu comme un extraordinaire moyen pour trouver du plaisir et de la motivation à apprendre, de nouvelles pistes et de nouveaux outils pour découvrir le monde, pour apprendre à le gouverner, pour reprendre confiance en soi et pour apporter du concret là où il manque – ce qui est un besoin pour de très nombreux apprenants.

Autre espoir: que les gens essayent, développent de nouvelles expériences qu’ils veulent partager. Qu’ils soient convaincus qu’avec Internet, on copie toujours et que la connaissance n’a de valeur que si elle est partagée.

J’espérerais, mais ce sera sans doute trop difficile, que les gens comprennent que dans le nouveau monde numérique, la règle est l’abondance (les œuvres sont électroniques, leur copie a un coût marginal strictement nul une fois que la connexion à Internet est payée) et non plus la rareté.

Que, dès lors, les anciennes lois de l’économie des biens matériels (où le coût de production n’est jamais nul puisqu’il s’agit de mettre en œuvre un processus matériel) n’ont plus lieu d’être et que la solution trop simpliste qui est de recréer artificiellement la rareté (par des outils de gestion des restrictions numérique, par des lois de copyright ou de droit d’auteurs, qui servent beaucoup plus les intérêts des intermédiaires que des créateurs) est simplement incompréhensible pour les jeunes et donc inacceptable.

Une loi acceptable est une loi dont on comprend qu’elle établit un équilibre raisonnable. Ici, force est de constater que l’équilibre est rompu puisqu’il existe des acteurs privés aussi puissants que des états ou qui, en très petit nombre, accaparent la majorité des revenus des efforts de tous.

En quoi jugerez-vous que l’événement aura été un succès ou, a contrario, une occasion, un rendez-vous manqués?

L’événement est déjà un succès puisque beaucoup de gens rencontrés se disent intéressés. L’ambition est énorme, la présence du numérique à l’école et de la formation à l’usage des outils numériques et de la réflexion algorithmique est encore assez faible. Si nous avons plus de 100 participants, chaque jour, on serait content. Bien sûr, on souhaite beaucoup plus.

Une dernière pensée ou remarque?

J’aimerais citer François Elie (chargé de cours à l’université de Poitiers et président de l’Adulait-Association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres pour les administrations et les collectivités territoriales): ça va être compliqué d’utiliser des outils, qui sont faits pour ne pas être partagés, pour apprendre aux élèves à partager. Ça va être compliqué d’enseigner à des élèves comment il faut protéger ses données en utilisant des réseaux sociaux qui sont faits justement pour les capturer. Bref, apprendre l’ouverture avec ce qui est fait pour fermer, c’est compliqué !