Carole Absil (Agoria): “HealthTech Belgium est là pour faciliter le flux d’innovation”

Interview
Par · 08/02/2018

L’initiative HealthTech Belgium voyait officiellement le jour fin janvier. Objectif: servir de courroie de transmission et d’instrument de levier, au niveau trans-régional et fédéral, afin d’aider les projets innovants en e-santé de franchir plus facilement les étapes critiques de validation et de test. A noter que le “rayon d’action” de HealthTech Belgium couvre les solutions numériques (applis mobiles e-santé comprises) et les dispositifs médicaux mais pas le champ des biotechs et du pharma.

Comment cette “coupole” va-t-elle fonctionner? Quels sont ses objectifs prioritaires? Quels sont les chantiers et obstacles, existant notamment en termes de processus et cadres réglementaires, qui devront être surmontés? Entretien avec Carole Absil, d’Agoria, l’un des trois partenaires-clé de l’initiative.

A noter que nous avons également interrogé, en partie sur les mêmes sujets, Azèle Mathieu, directrice de Lifetech.brussels, pour un éclairage et une mise en perspective davantage régionale de ce que devrait être HealthTech Belgium, le rôle des différents partenaires et celui des autorités fédérales. A lire ici…

 

Régional-IT: Lors du lancement de l’initiative HealthTech Belgium, vous l’avez présentée comme “une coupole qui vise à mettre du liant entre ce qui existe déjà sur le terrain”. Le but est de faciliter l’étape de testing et de validation de marché par les porteurs de projets d’e-santé et health tech. Comment va fonctionner réellement cette “coupole”? Un comité sera-t-il mis sur pied auquel les porteurs de projets pourront s’adresser directement, et qui fera donc les recherches de bons contacts et les réorientera vers tel ou tel acteur de terrain ou organisme? Ou une seule personne jouera-t-elle ce rôle?

Carole Absil (Agoria): HealthTech Belgium n’est en effet ni un cluster, ni une organisation nouvelle. C’est un projet, un consortium (1). Le but est d’oeuvrer ensemble, sans barrières, de trouver une solution au fait qu’en raison de leur implantation géographique, les entreprises ne puissent s’adresser à des acteurs d’autres Régions pour bénéficier de certains services. On veut contrer l’immobilisme, faciliter le trajet de l’innovation pour un entrepreneur.

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(1) Voici les membres de ce “consortium” HealthTech Belgium, d’ailleurs ouvert à d’autres acteurs. Le trio d’initiateurs: Agoria, BeMedTech et l’ABDH (association belge des directeurs d’hôpitaux). Et les acteurs de terrain régionaux: MedTech Wallonia, Lifetech.Brussels, MedTech Flanders, BlueHealth Innovation Center et l’asbl In4Care.

Mon rôle, au sein du consortium, est de faire prendre cette mayonnaise. Je ne suis pas forcément la personne de contact unique mais je peux être la personne qui relaie, l’entry point, notamment pour des entreprises ou des porteurs de projets venant de l’étranger.

Il n’est toutefois pas question que je prenne le lead. Le but est que chacun soit responsable pour ce qu’il fait bien. Par exemple, BeMedTech est spécialisé dans l’accès au marché, les affaires régulatoires, l’accompagnement des entreprises en matière de remboursements, des procédures spécifiques à l’Inami…

L’association belge des directeurs d’hôpitaux (ABDH) est pour sa part chargée de coordonner, d’ouvrir des portes pour permettre le testing à grand échelle.

Il y aura bien entendu pré-analyse et sélection des projets, pour vérifier leur maturité.

 

A lire également, dans cette autre interview: la manière dont Azèle Mathieu, directrice de Lifetech.brussels, estime que ce “groupe-relais” devrait fonctionner.

 

Concrètement, à qui peut, en première instance, s’adresser un porteur de projet lambda, en un quelconque point du pays? Quel est son premier point de contact pour être aiguillé vers l’acteur qui est le plus à même de l’aider selon le stade d’évolution de son projet et ses besoins?

En tant que coordinatrice du projet HealthTech Belgium, je peux être cette porte d’entrée unique. Les indications seront clairement mentionnées sur le site Internet. Mais un porteur de projet peut tout aussi bien prendre contact par exemple avec BioWin [Ndlr: le Pôle de Compétitivité biotech wallon qui est membre de MedTech Wallonia], qui l’aiguillera vers l’acteur le plus adéquat.

Carole Absil (Agoria): “Pour promouvoir l’innovation, il faut challenger l’entrepreneur, faire en sorte qu’il soit habitué à tester dans des environnements différents. Un hôpital universitaire ne travaille pas forcément de la même manière qu’un hôpital général, qu’une maison de revalidation ou de repos. Il faut également pouvoir tester dans d’autres contextes de langue et de culture.”

 

Quelle est ensuite la deuxième étape? L’évaluation de maturité du projet? Et par qui?

L’analyse du projet se fait avec les autres partenaires. Toutefois, avec l’expérience, il est possible de déterminer très rapidement où en est la société.

Si lors de l’évaluation, on constate que le projet relève plus de l’idée que de la conceptualisation concrète, on pourra l’orienter vers le WeLL [le living lab e-santé wallon] ou, si c’est un projet néerlandophone, vers le BlueHealth Innovation Center. [Ndlr: avec toutefois la volonté, comme indiqué plus haut, d’effacer les frontières linguistiques]

Si le projet est déjà plus mature, au stade du prototype, on pourra lui proposer l’accélérateur ou envisager le testing. On va alors contacter divers hôpitaux pour valider l’opportunité de tests, déterminer s’ils adhèrent à l’idée du projet ou non, leur faire rencontrer l’entreprise… [Ndlr: le “on” étant a priori l’ABDH, association belge des directeurs d’hôpitaux]

 

Quelles sont les prochaines étapes et priorités pour HealthTech Belgium ?

Dans l’immédiat, le plus important est d’accorder les agendas [des différents partenaires]. Une composante “idéation” ou “ramp-up” a déjà démarré en Flandre. L’accélérateur [le MedTech Accelerator, qui accueille 16 projets venus des trois régions] a démarré sa nouvelle session début février… On ne pourra sans doute organiser un trajet fluide qu’à partir de 2019. Pour l’instant, il s’agit surtout de mises en contact et en réseau.

Carole Absil (Agoria): “travailler sur la création d’un comité d’experts nationaux qui puissent faciliter le travail des comités d’éthique, faire une pré-analyse des dossiers pour les proposer aux comités d’éthique locaux.”

Les agendas de tous les acteurs seront également publiés sur le site Internet pour une meilleure visibilité et cohérence.

 

Côté très concret: trois des seize projets démarrant à l’accélérateur sont potentiellement mûrs pour du testing. Il faut donc leur trouver des propositions de tests.

En parallèle, le trio d’organismes nationaux [Agoria, BeMedTech et ABDH] va travailler sur la création d’un comité d’experts nationaux qui puissent faciliter le travail des comités d’éthique [qui, dans les hôpitaux, décident ou non d’accepter un projet pour testing]. Ces experts pourront faire une pré-analyse des dossiers pour les proposer aux comités d’éthique locaux.

Certains comités d’éthique, par exemple, ne se sentent pas à l’aise lorsqu’il s’agit de donner un avis sur un projet lié au big data. Si un comité d’experts pouvait déjà mâcher le travail, apporter un premier avis, cela pourrait faciliter l’adhésion de certains comités d’éthique et accélérer le testing en évitant au porteur de projet de devoir présenter son dossier à plusieurs reprises.

Nous sommes en discussion avec différentes autorités fédérales, avec les cabinets des Ministres De Croo [agenda numérique] et De Block [santé publique] pour essayer de concrétiser cela.

Une autre priorité est l’internationalisation puisqu’en dehors de l’aide à des projets belges, on veut aussi attirer l’innovation d’autres pays. On prépare une action de sensibilisation vers l’Europe pour présenter la valeur ajoutée de notre initiative et des start-ups. Le but est d’attirer des entreprises pour qu’elles créent de l’emploi chez nous et ne se limitent pas, comme c’est souvent le cas, à ouvrir un bureau de vente ou à déléguer deux lobbyistes auprès de la Commission européenne…

Troisième axe prioritaire: la communication, pour faire parler des projets, pour encourager les hôpitaux à faire de l’intrapreneuriat, pour pousser les entrepreneurs, les CEO, pas forcément dans le secteur de la santé, à être davantage des ambassadeurs de ce qui se fait chez nous, à consacrer du temps aux start-ups, à leur ouvrir leur réseau de contacts, à challenger leur modèle business, à les conseiller sur tel ou tel point, à les présenter à un collègue, à un éditeur IT…

 

Si la volonté est d’attirer aussi des start-ups et des projets étrangers, cela implique-t-il que l’accélérateur sera ouvert à des projets venant de l’international?

C’est une possibilité. Il faudra bien entendu régler le problème du financement.

 

Peut-on imaginer que le fédéral prenne la main dans de tels cas [chaque Région ne finançant que l’accompagnement de projets locaux]?

Je ne peux pas le dire. On doit également se dire qu’il suffit d’avoir un bon business model… Si on propose à un entrepreneur de bénéficier de testing et d’être accéléré, il doit également y mettre du sien… Tout ne doit pas être gratuit. Par définition, un entrepreneur doit être prêt à prendre des risques.

 

Quel rôle précis compte jouer Agoria et quelles sont ses intentions – que ce soit pour animer l’écosystème ou pour peser sur les décisions à prendre au niveau fédéral ou vis-à-vis de divers acteurs (traditionnels, institutionnels…) de l’e-santé/medtech ?

Notre premier rôle est de faire en sorte que cette “mayonnaise” prenne bien. Ce qui est crucial dans cet écosystème, c’est que tous aient la même volonté, que la confiance persiste entre les partenaires. Il y a de très belles choses dans les Régions mais cela reste au niveau régional… Notre rôle est donc de booster afin qu’ils continuent à le faire mais en plus grand.

Notre rôle sera aussi de prendre les entrepreneurs par la main pour une croissance à l’international. Nous organisons déjà des missions à l’étranger pour de grandes sociétés et des PME. Demain, on prendra aussi des start-ups pour leur ouvrir des portes.

Carole Absil (Agoria): “Le rôle de l’ABDH sera de faciliter le testing et de conscientiser les hôpitaux, au niveau de l’administration et de la direction médicale, sur le fait que le changement doit passer par l’innovation.”

Pour ce qui est des décisions à prendre par les autorités fédérales, on travaille étroitement avec BeMedTech en vue de rendre les processus plus faciles, afin que l’entrepreneur ait davantage de visibilité sur la réglementation en vigueur, les étapes à suivre. Par exemple, pour l’introduction d’un dossier de certification de dispositif médical.

J’ai également déjà évoqué le sujet du groupe d’experts à constituer. Ce n’est pas une condition sine qua non mais cela ferait gagner du temps. Dans la perspective de la constitution de réseaux hospitaliers, si rien ne change, on pourrait avoir plusieurs comités d’éthique dans un même réseau… [sous-entendu, avec les risques de blocage ou de débat que cela pourrait provoquer]

Carole Absil (Agoria): “On travaille étroitement avec BeMedTech en vue de rendre les processus plus faciles, afin que l’entrepreneur ait davantage de visibilité sur la réglementation en vigueur, les étapes à suivre.”

Une autre mesure à prendre se situe dans le domaine du mobile health. L’un des points d’action de la présente législature est de travailler sur une réglementation en la matière. Il y a là un travail de clarification sur ce qu’est la “santé mobile”, sur les différences entre applis wellness et applis à finalité médicale qui, elles, doivent être certifiées CE, répondre à une série de critères, tels que l’authentification, la bonne interopérabilité avec d’autres systèmes, le GDPR, l’échange de données avec les réseaux de soins… Elles doivent avoir une réponse du fédéral sur un possible remboursement, s’il est “prescrivable” ou non… Il y a là toute une réflexion, tout un travail à faire et qui est d’ailleurs déjà en cours. Les résultats devraient arriver dans le cours de la législature.

 

Quel rôle devrait jouer l’Agence du Médicament (l’AFMPS, Agence fédérale des médicaments et des produits de santé), quelle devrait éventuellement être son évolution en termes de rôle, étant donné que le remboursement est, en matière de med tech, une sorte de nerf de la guerre – au-delà de la phase testing… 

L’Agence a clairement un rôle. Le fait que les agences vont fusionner à terme, va également faciliter les choses. [Ndlr: Carole Absil se réfère ici à l’idée de fusion entre l’AFMPS, l’Inami et le SPF Santé publique. L’idée initiale de “fusion” semble toutefois avoir du plomb dans l’aile, au bénéfice d’une recherche de plus grandes “synergies”].

Le processus de certification, de mise sur le marché est quelque chose qui est bien organisé mais qui, dans le cas de dispositifs innovants, doit pouvoir aller plus vite. Ce sera aussi notre rôle de challenger les acteurs…

 

Dans l’état actuel des choses, le concept de tests de dispositifs e-santé et de financement de ces tests est-il mis à mal ou freiné par le cadre légal existant? Qu’en est-il des “devices” ou solutions remboursables?

Tout dépend de la technologie. Par ailleurs, même ce qui sort du cadre de remboursement doit pouvoir être testé. Aujourd’hui, tout dépend de la bonne volonté de chacun. Chacun connaît quelqu’un qui va pouvoir aider, etc. A terme, ce n’est pas matériellement tenable. Il faudra donc changer les choses, via notamment le Comité des experts, travailler sur les mentalités, sur la fluidité du flux d’innovation, sur la rapidité au niveau des autorités publiques.

 

Faut-il imaginer d’autres formes et partenaires de financement ?

Pourquoi pas! Souvent les entrepreneurs basent leur modèle business sur le potentiel de remboursement de leur produit. Mais il y a d’autres business models. Les clusters ont là un rôle majeur à jouer, pour ouvrir les yeux des entrepreneurs sur le fait qu’il y a d’autres modèles que le remboursement.

Vu la progression des coûts de la sécurité sociale, il faut aussi pouvoir penser à d’autres modèles. Et une même solution peut s’appuyer sur plusieurs business models. Une solution pourrait par exemple être remboursable, par la sécurité sociale, dans certains cas bien précis, pour certains patients rentrant dans certains trajets cliniques. Par contre, dans un contexte préventif, elle pourrait justifier l’intervention d’une assurance complémentaire. Ou, dans le cadre d’une entreprise, être intégrée à un programme d’avantage extra-salarial, comme cela a déjà été imaginé pour une appli de coaching pour arrêter de fumer…