Applis mobiles santé: 6 mois pour innover

Interview
Par · 26/01/2017

Quel regard portent divers acteurs et observateurs du secteur de la “santé 2.0” sur le “Point d’Action mobile health, programme-pilote d’applis mobiles qui se déroulera en divers points de la Belgique pendant la première partie de l’année?

Nous avons posé quelques questions à trois “profils” différents: Azèle Mathieu, directrice du cluster Lifetech.brussels; Vincent Keunen, fondateur et CEO d’A7 Software, start-up liégeoise qui a créé l’appli mobile Andaman7 (gestion par le patient de son dossier santé personnel et partage avec les professionnels de la santé); et Carole Absil, responsable du Medical Technology Club d’Agoria.

Sans oublier quelques réponses provenant d’un des conseillers de la Ministre Maggie De Block.

Régional-IT: Quels critères vous semblent devoir être pris en compte pour baliser le type de dispositifs médicaux et applis e-santé pouvant entrer en ligne de compte pour une “homologation” et un remboursement éventuel?

Vincent Keunen (A7 Software): La perspective à prendre en compte ne peut uniquement se limiter à celle d’une économie de coûts. C’est certes important mais il faut aussi raisonner en termes d’amélioration des soins. Un nouveau dispositif ou une application peuvent très bien s’avérer plus chers que les solutions existantes mais procurer une meilleure qualité des soins…

Carole Absil (Agoria): Les critères qui ont été mis en place dans le cadre du Point d’Action mobile health nous paraissent clairement objectifs et constructifs, dans le sens où ils sont en ligne avec les besoins médicaux actuels.

Le “quantified self” ou toute autre solution qui ne fait pas l’objet d’un suivi ou d’un échange avec un professionnel de la santé par exemple, ne rentre pas en ligne de compte. On se concentre donc sur les solutions encadrées par le corps médical ou qui constituent en soutien au corps médical. C’était, à nos yeux, nécessaire.

Carole Abril (Agoria): “Le “quantified self” ou toute autre solution qui ne fait pas l’objet d’un suivi ou d’un échange avec un professionnel de la santé par exemple, ne rentre pas en ligne de compte.”

D’autres critères qui nous paraissent importants pour une éventuelle homologation ou un remboursement:

  • la multi-disciplinarité : une application doit communiquer avec d’autres solutions ou prestataires
  • les aspects de sécurité de l’information, qui doit être garantie
  • la réutilisabilité des applications : elles ne doivent pas être spécifiques à un seul hôpital
  • les économies d’échelle
  • l’intégration avec les systèmes existants, à savoir la plate-forme e-Health, qui permet aux prestataires de soins de communiquer entre eux, et les dossiers médicaux électroniques
  • et l’utilisation de normes internationales.

On devra aussi voir comment, dans un deuxième temps, on implique la première ligne de soins dans le processus: les visions politiques devront s’aligner et il sera sans doute nécessaire d’investir encore davantage dans l’accompagnement numérique et la formation.

Pour Agoria, il est également important que les projets actuels ou futurs soient développés en collaboration avec l’industrie. Une entreprise, par définition, doit innover et investir. Elle est d’ailleurs généralement prête à le faire si un cadre, une vision politique et des objectifs sont clairement définis… ce qui est en cours. Un hôpital, pour sa part, a pour rôle de soigner et de fournir à ses patients ou à ses médecins médecins la meilleure technologie disponible.

Azèle Mathieu (Lifetech.brussels): Je trouve a priori intéressant que la démarche des projets-pilote soit placée sous le signe de la value-based medecine. Pour ce qui est des critères à prendre en compte, j’en vois plusieurs.

Azèle Mathieu (Lifetech.brussels): “l’appli doit être pré-validée cliniquement, ne pas représenter un coût additionnel pour le système de santé pris dans son ensemble.”

Une nouvelle solution doit permettre d’améliorer la qualité de la vie du patient et/ou celle du professionnel de la santé, en ce sens où le nouvel outil doit s’avérer plus pratique, efficace ou performant que l’existant.

Autres critères nécessaires: une validation clinique préalable, que la solution ne représente pas un coût additionnel pour le système de santé pris dans son ensemble, qu’elle soit économiquement viable et, pour les dispositifs médicaux, qu’ils respectent la réglementation de mise sur le marché, impliquant une démarche de certification qui ait été entamée.

Autre critère que j’estime important: la solution doit garantir une interopérabilité avec le réseau santé [Ndlr: l’un des “hubs” qu’il soit flamand, bruxellois ou wallon]. Dès l’instant où une appli ou un dispositif médical génère ou traite des données pertinentes pour les professionnels de la santé, il faut veiller à ce qu’il y ait intégration avec les mécanismes qui permettent l’échange et le partage des données, pour intégration des données venant de cette appli ou de ce dispositif dans le dossier patient électronique. Et cela, afin d’éviter que le médecin doive consulter plusieurs sources d’information pour disposer de toutes les données sur son patient.

Qui devra ou devrait pouvoir décider si une appli ou un dispositif a droit ou non au “label”, à la reconnaissance officielle des autorités publiques ?

Vincent Keunen (A7 Software): Mon espoir est qu’un comité consultatif voie le jour au sein duquel siègent par exemple les éditeurs de logiciels, des associations de patients, des acteurs neutres. Jusqu’ici – et on l’a encore vu pour le processus de labellisation des logiciels [Ndlr: gestion de dossiers médicaux électroniques], la démarche est encore très autoritaire, imposée d’en haut par le gouvernement. Un comité consultatif éviterait qu’il n’y ait qu’un seul point de vue.

Dans ce même esprit, il faudrait un cadre qui soit ouvert aux petites sociétés et aux start-ups qui n’ont pas la possibilité de monopoliser le temps de l’un de leurs collaborateurs pour faire du lobbying ou de siéger aux délibérations. Il faudra trouver un mécanismes pour que ces petites structures soient bien représentées.

Carole Absil (Agoria): L’AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé) sera en charge de cette évaluation. Agoria s’engage pour sa part à informer l’industrie, en collaboration avec les acteurs publics, sur les do’s and don’ts.


Qui décidera si une appli ou un dispositif a droit ou non au “label”, à la reconnaissance officielle des autorités publiques ? Voici ce qu’en dit le cabinet De Block, dans l’état actuel des choses, par l’intermédiaire d’Eric Van Der Hulst, conseiller “externe” auprès du cabinet: “L’évaluation s’effectuera par le biais des mêmes canaux que celle des autres remboursements: Inami, Comité de l’Assurance… Les applications mobiles devront par contre disposer d’une validation (label) avant de pouvoir être intégrée à un modèle de remboursement.”


Qu’est-ce que la perspective d’un remboursement par la sécurité sociale implique non seulement pour la promotion du secteur mais aussi pour les “modèles” économiques des solutions développées ?

Vincent Keunen (A7 Software): Cette perspective d’un remboursement est positive pour la promotion du secteur, ne fut-ce que psychologiquement. Il faudra voir quel seront les bénéficiaires des remboursements – les hôpitaux, les médecins ou les patients – mais si ce sont ces derniers qui en sont les bénéficiaires, ce serait positif dans la mesure notamment où les médecins seraient alors plus enclins à encourager leurs patients à recourir aux nouveaux types de dispositifs.

“Vincent Keunen (A7 Software): “Il serait intéressant que le principe du remboursement favorise une nouvelle approche de la médecine via le remboursement d’applications innovantes favorisant une médecine davantage orientée patient.”

La perspective d’un remboursement et d’une labellisation des solutions e-santé facilitera leur vente. Mais, a contrario, il y a un risque de voir s’installer une tendance à un prix imposé.

On l’a vu lorsque le gouvernement a annoncé que les médecins qui se dotent d’une solution de gestion électronique du dossier patient recevraient un remboursement annuel de 800 euros.

On a alors vu les éditeurs de logiciels existants aligner leurs prix – à la baisse ou à la hausse – vers ce chiffre.

Carole Absil (Agoria): Il existe plusieurs modèles business dans le secteur de la santé, dont le remboursement. Toutefois, baser son modèle uniquement sur un hypothétique remboursement n’est pas spécialement la meilleure chose à faire. Tout simplement parce qu’il faut avoir les reins solides pour “tenir le coup” pendant peut-être plusieurs années avant qu’un remboursement ne soit effectif

Le cadre qui va être mis en place va permettre une clarification sur de nombreux points. Il s’agira notamment d’étudier les délai d’octroi du remboursement. Le but est que cela soit le plus rapide possible mais on sait par expérience que les retards administratifs sont vite au rendez-vous… Ce sera là également un point d’attention nécessaire lors des projets-pilote.

[NdlR: d’autant plus que le rythme d’évolution technologique est totalement incompatible avec les longueurs et lenteurs administratives. Si les procédures habituelles ne sont pas rénovées, l’accord de remboursement risque souvent de venir bien longtemps après que l’appli ait “pivoté” ou changé de nature à la faveur d’une mise à niveau, d’une réorientation fonctionnelle, d’une mutation technologique…

Signalons également à cet égard que l’on attend l’arrivée d’une nouvelle Directive européenne en matière de “dispositifs médicaux”, une notion qui englobera les applications mobiles, et qui déterminera le cadre dans lequel les Etats pourront définir leurs principes de remboursement.]

Eric Van Der Hulst: “La Belgique peut être pionnière si nous respectons l’agenda – projets-pilote en 2017 et évolution vers les remboursements en 2018.”

En quoi la Belgique se démarque-t-elle à cet égard de ce qui se fait (ou non) déjà ailleurs ?

Carole Absil (Agoria): La Belgique va certainement faire un grand pas en avant par rapport à ses confrères européens. Nous avons été tout un temps à la traîne – par exemple par rapport à la France qui a reconnu légalement l’acte de télémédecine, il y a plus de 6 ans. Mais, comme avec la plate-forme eHealth à l’époque, nous allons faire un pas de géant, avec une bonne méthodologie, une bonne coordination, une bonne vision.

Eric Van Der Hulst (cabinet De Block): Plusieurs pays européens, ou régions, se penchent actuellement sur cette question. Les pays scandinaves s’inscrivent en pointe en matière. Les Pays-Bas, eux aussi, sont très actifs et quelques régions autonomes ont déployé des initiatives similaires.

La Belgique peut se poser en pionnier si nous réussissons à respecter l’agenda – projets-pilote en 2017 et évolution vers l’intégration dans le système de soins et vers les remboursements en 2018.

Il reste bien entendu de nombreux défis à relever, tant d’un point de vue clinique, économico-budgétaire que technique et juridique mais on y travaille…