Vision sur un certain crowdfunding. Bon grain? Ivraie? Distinguo difficile

Hors-cadre
Par · 22/03/2017

Gare à la perversité cachée du modèle économique de la plupart des acteurs du crowdlending et de l’equity based crowdfunding. Telle est la mise en garde que formule le consultant Carl-Alexandre Robyn (cabinet Valoro) dans sa dernière rubrique – que vous pourrez lire ici. Les particuliers, encouragés par des mécanismes fiscaux à suivre la voie qui leur est tracée, voire recommandée au travers de certains messages officiels, risquent-ils de devenir les “dindons de la farce”?

La mise en garde et l’analyse auxquelles se livrent l’auteur ne manqueront pas de susciter des réactions, des étonnements. Pour vous aider à mieux comprendre ce qui l’amène à un tel regard sur le crowdlending et l’equity-based crowdfunding, nous avons demandé à Carl-Alexandre Robyn de préciser le cadre et le contexte de son analyse.

Son analyse ne laisse-t-elle aucune place à quelques différences et exceptions? Toutes les plates-formes, tous les acteurs doivent-ils atterrir dans le même sac? N’y a-t-il réellement pas moyen de comparer et de dissocier le bon grain de l’ivraie (ou du moins bon grain)? Certaines plates-formes (belges, notamment) ne donnent-elles pas plus de garantie (conseils, mises en garde, transparence…) que ne le laisse entendre son texte?

Voici ses réponses.

“Séparer le bon grain de l’ivraie dans le secteur opaque du crowdfunding est un travail de trop longue haleine. L’étude de l’association française de défense des consommateurs UFC-Que choisir [Ndlr: qui fut l’un des documents de référence pour l’analyse effectuée par l’auteur] est une première tentative à grande échelle. De mon côté, je n’ai procédé que par sondage aléatoire, sans valeur scientifique. J’ai pris au hasard l’une ou l’autre plate-forme belge et plusieurs plates-formes françaises mais toutes (une soixantaine) uniquement dans les niches du crowdequity et/ou du crowdlending. Mon propos ne porte donc ni sur le donation-based crowdfunding ni sur le reward-based crowdfunding.

Carl-Alexandre Robyn: “Mon but, en relevant les problèmes, les pièges, les périls que font courir les plates-formes à la foule des particuliers, est d’éveiller leur esprit critique.”

En outre, comparer reste un exercice malgré tout subjectif: ainsi un petit investisseur peut se satisfaire d’une information que vous estimez vous insuffisante, et vice versa.

Par ailleurs, les informations obligatoires (mentions légales) publiées sont souvent invérifiables en pratique. Toutes les plates-formes ne calculent pas de la même façon leur taux de défaut ou leur taux d’incidents. Il n’existe ni référentiel officiel du métier de crowdlending ou de crowdequity, ni de charte qualité pour chacun de ces secteurs.

Ainsi, quand une plate-forme se prévaut d’une “sélection rigoureuse” dans le choix de ses projets, par une “équipe d’experts”, il faut la croire sur parole puisque le processus de tri et le choix des compétences nécessaires pour jauger un projet sont à la seule discrétion de la plate-forme. Petit exemple: l’ancienne gérante d’une crêperie normande (2,5 équivalents temps plein) venue s’installer en Belgique pour suivre son petit ami fait désormais partie des “experts” d’une plate-forme belge pionnière…”

On attend le législateur…

“Les prescrits de la FSMA ne portent que sur la forme des informations obligatoires à fournir au public, pas sur le fond. Donc la FSMA ne peut matériellement pas vérifier la qualité de l’information publiée (elle n’en a ni le temps, ni les moyens en effectifs).

Les plates-formes belges ne se distinguent guère de leurs consœurs françaises: elles n’offrent ni plus de garanties, ni plus de transparence, ni plus de flexibilité…

Voici quelques points litigieux que j’ai étudiés (et détaillés dans mon livre):

– les conseils prodigués

– les services annexes payants

– les statistiques publiées

– les services proposés dans le package de la plate-forme

– les tarifs d’intermédiation

– le discours marketing

– la communication sur la dilution (dans le cadre du crowdequity)

– l’évaluation du projet par la plate-forme

– la proposition financière faite au particulier prêteur/investisseur

– la procédure de sélection des projets”

Un petit classement, malgré tout?

“Si j’établissais un podium plus ou moins “officiel”, on me reprocherait de toute façon le caractère subjectif de ma classification. Et les moins bien lotis seraient tentés de me poursuivre en justice pour diffamation, surtout s’ils sont individuellement nommés.

C’est au particulier prêteur/investisseur d’établir lui-même une comparaison entre les plates-formes. Pour ce faire, il peut utiliser les points de comparaison cités ci-dessus.

Dans nos études respectives (UFC-Que choisir? et mon opus) citent nommément les plates-formes étudiées sur base de données factuelles mais sans aller jusqu’à établir une classification (ou un podium). L’association française de défense des consommateurs a envoyé une mise en demeure à plusieurs plates-formes françaises ayant pignon sur rue et clairement identifiées dans son étude. Mon livre étrille abondamment les méthodes discutables de la plate-forme la plus en vue en Belgique: MyMicroInvest.

Mon but, en relevant les problèmes, les pièges, les périls que font courir les plates-formes à la foule des particuliers, est d’éveiller l’esprit critique de ceux-ci: qu’ils réfléchissent à ce qu’il y a derrière les promesses (ambiguïté et surenchère du discours marketing) qui leur sont faites.”


Documents de référence
  • Jérémy Vachet: “Le crowdfunding: mutation ou mirage pour l’entrepreneuriat?”, Etude de l’observatoire Alptis, novembre 2015.
  • Etude UFC-Que choisir: “Les placements participatifs : des placements risqués au potentiel moindre que le Livret A ?”, février 2017.
  • C.-A. Robyn: “ Crowdfunding : la face obscure du rêve”, (ISBN : 978-2-87496-339-1) Edition Edipro.eu, mars 2017.