Un chercheur de l’UCLouvain jette un éclairage nouveau sur le phénomène des “fake news” lors de la présidentielle américaine

Hors-cadre
Par · 08/02/2019

Source: InaGlobal

Le sujet fait les titres depuis déjà longtemps: quelle influence les “fake news” ont-elles eue sur l’élection présidentielle de 2016? Un éclairage nouveau, scientifique, vient d’être ajouté à ce qu’on sait – ou présume – déjà grâce à une étude menée conjointement par Alexandre Bovet, chercheur à l’UCLouvain, et Hernan Makse, professeur au City College de New York, chercheur au département Complex Networks & Data Science Lab du Levich Institute et par ailleurs fondateur de la société Kcore Analytics.

L’angle sous lequel les deux chercheurs ont abordé le sujet est celui de la typologie des auteurs et relayeurs d’informations (fausses ou légitimes), la manière dont l’“infotox” est diffusée et décuplée, ainsi que certaines caractéristiques comportementales ou intrinsèques des communautés Twitter qui, dans le cadre de ces élections présidentielles, ont supporté l’un ou l’autre camp (Trump vs Clinton).

Pour les besoins de leur étude, les deux chercheurs ont analysé une énorme quantité de tweets: au total 171 millions de tweets, collectés durant les 5 mois qui ont précédé le jour de l’élection. De cette masse, ils ont finalement identifié et retenu 30,7 millions tweets, envoyés par 2,3 millions d’utilisateurs, qui contenaient un lien vers une source d’information – qu’elle soit “traditionnelle” et authentique ou qu’elle soit connue pour son amour de la désinformation ou suspectée de diffuser/relayer des “fake news”.

Ils ont alors analysé les flux d’informations provenant, d’une part, de sites Internet “qui ont été identifiés comme publiant de fausses informations” et, d’autre part, de sites d’informations traditionnels, d’orientations politiques diverses, se basant sur les faits”.

Cette analyse fouillée a permis de faire émerger certaines caractéristiques tantôt révélatrices, tantôt susceptibles de futures analyses et recherches socio-politiques.

Le “poids” des fake news

Parmi les 30,7 millions de tweets passés au crible, 25% comportaient des informations et/ou un lien relayant vers un site d’informations connu pour diffuser régulièrement des informations fausses ou de type conspirationniste (10%) ou “extrêmement biaisées” (15%). 

Voici la définition que les deux chercheurs donnent de la notion de “fake news”: “information fabriquée qui propage des contenus mensongers ou qui déforment ou falsifient grossièrement de réels bulletins d’informations, le tout étant partagé sur des plates-formes de réseaux sociaux.”

Les “informations extrêmement biaisées” sont pour leur part des informations provenant de “sites plus controversés qui ne publient pas forcément des informations fabriquées de toutes pièces mais qui déforment les faits et peuvent éventuellement s’appuyer sur de la propagande, des informations décontextualisées ou des opinions présentées comme des faits.”

Constat – et confirmation par rapport à ce que d’autres avaient déjà affirmé: “les fausses informations se caractérisent par une diffusion plus rapide et plus large que des informations véridiques, essentiellement en raison de l’attraction que provoque le côté nouveauté des fausses informations.”

Autre confirmation: les sources ou diffuseurs de fake news sont nettement plus actifs que leurs homologues qui ne créent ou ne relaient que des faits objectifs. Leurs taux de publication sont en moyenne deux fois supérieurs à ceux des utilisateurs qui, pendant les cinq mois analysés, ont relayé vers des sources d’informations centristes ou de gauche.

Par ailleurs, pour la diffusion, les inconditionnels des fake ou biaised news s’appuient souvent sur ce que les deux chercheurs appellent des “non-official clients”. Autrement dit, des systèmes douteux ou non identifiés, des bots ou encore des applications qui permettent de gérer aisément divers comptes Twitter.

Les bots malveillants

En raison de l’activité plus marquée de systèmes “non-officiels”, les deux chercheurs supputent “une présence anormale de bots” au sein des réseaux de diffusion de fake news. 

D’autant plus que si des bots ont également été utilisés pour diffuser des informations légitimes, le taux d’activité des bots chargés de propager de fausses infos a largement été supérieur à celui de leurs congénères respectueux des faits!

Les bots se sont montrés deux fois plus actifs que des expéditeurs ou diffuseurs en chair et en os. 

Non seulement les bots sont de fabuleuses machines à matraquage de fausses infos mais ils sont en outre conçus pour cibler des utilisateurs influents, “en utilisant des mécanismes de réponse et de mention”.

Les articles de type “vérification des faits”, eux, se retrouvent totalement noyés dans la masse et n’ont donc pas le même impact.

Qui sont les “locomotives”?

Qui est à l’origine de la diffusion des informations faisant l’objet des tweets – fake news comprises?

L’exercice de qualification auquel se sont livrés les deux chercheurs leur a permis de déterminer que le type et l’enchaînement de sources et de relais furent différents selon que l’on se situait dans le “camp” Clinton ou dans le “camp” Trump.

Du côté démocrate, ce sont des influenceurs “authentiques”, clairement identifiés et validés – en l’occurrence des influenceurs relayant classiquement des informations de nature centriste ou tendant à la gauche -, qui ont influencé les activités (envoi et relais de messages) des supporters d’Hillary Clinton.

A l’inverse, ce sont les fans de Donald Trump eux-mêmes et leurs activités qui ont été source de fake news, relayées et propagées ensuite par des diffuseurs influents.

Le site qui a été la principale source d’informations (fausses comprises), à l’extrême droite de l’échiquier des sites d’informations, fut – sans surprise – Breitbart News. Son score pendant les 5 derniers mois de la campagne présidentielle? Pas moins de 1,8 million de tweets (sur les 30,7 millions analysés dans le cadre de l’étude).

Par ailleurs, les membres de la campagne de celui qui allait devenir président ont aussi été plus actifs que les membres de l’équipe d’Hillary Clinton. “Parmi les principaux diffuseurs d’informations, nous avons relevé davantage d’utilisateurs liés à l’équipe de campagne de Donald Trump, qui plus est, à des postes plus élevés en termes d’influence, que ce ne fut le cas pour l’équipe d’Hillary Clinton. Cela révèle le rôle direct plus important qu’a joué l’équipe de Trump dans la diffusion d’informations sur Twitter.”

Des communautés elles aussi assez différentes

L’étude a également identifié des différences de comportement ou de structure des réseaux de diffuseurs qui se créent via Twitter. “Les utilisateurs qui diffusent des fake news forment des réseaux plus étroitement connectés, caractérisés par une connectivité moins hétérogène, que les utilisateurs évoluant dans des réseaux de diffusion d’informations, centristes ou de tendance de gauche.”

“Les sources d’informations centristes ou de gauche correspondent à des réseaux plus importants en termes de nombre de noeuds et de destinataires, ce qui est le signe d’une portée et d’une influence plus importante sur Twitter. Toutefois, les réseaux de re-tweet correspondant à des sources d’informations fausses ou extrêmement biaisées sont plus denses. […] Cela prouve que même si les utilisateurs propageant des informations fausses ou extrêmement biaisées sont moins ombreux, ils sont non seulement plus actifs que la moyenne mais aussi davantage connectés à un plus grand nombre d’utilisateurs que leurs homologues qui opèrent au sein de réseaux d’informations classiques.”

Le “profil” des sources, lui aussi, est sensiblement différent – chose qui n’étonnera sans doute personne: “les principaux diffuseurs de sources d’informations traditionnelles sont des journalistes ou des personnages publics disposant d’un compte Twitter vérifié. Par contre, un grand nombre de diffuseurs de fake news ou d’informations extrêmement biaisées sont des utilisateurs inconnus, non vérifiés, ou des utilisateurs dont les comptes Twitter ont été supprimés [après l’élection].”

Or, ce que les deux chercheurs ont également pu établir, c’est que ces comptes soudain effacés “étaient extrêmement actifs, avec un nombre médian de tweets de 2.224, là où le nombre médian de tweets par utilisateur, dans l’ensemble de l’échantillon, est de… 2”.

La présence de comptes “non vérifiés” (faux comptes, bots, vrais utilisateurs mais se cachant sous une fausse identité…) est clairement plus marquée dans les rangs des sympathisants (de droite) de Donald Trump. “Ils sont par contre absents parmi les principaux diffuseurs d’informations centristes ou de gauche.”

Les résultats détaillés et documentés de l’étude des deux chercheurs ont fait l’objet d’un article publié dans le magazine Nature.