Thèse lauréate HERA “Sustainable IT” 2022: la place de la “durabilité sociale” dans les stratégies smart cities

Hors-cadre
Par · 12/05/2022

Les lauréats de l’édition 2021-2022 des HERA Awards Sustainable IT sont désormais connus. Lauréate de cette édition: Pauline de Kerckhove, étudiante à la Louvain School of Management de l’UCLouvain qui a choisi comme thème de son mémoire la dimension “intelligence sociale” du phénomène des smart cities.

Dans quelle mesure cette dimension est-elle prise en compte dans les projets et les stratégies, en support des autres finalités recherchées – environnementale, énergétique? Comment aussi la prendre en compte, l’évaluer?

Parmi les autres candidats aux HERA Awards “Sustainable IT” 2021, un autre mémoire a été nominé. En l’occurrence, celui de Louis Golard (Ecole Polytechnique de l’UCLouvain) qui s’est penché sur la consommation énergétique des réseaux d’accès radio mobiles. Partant d’une modélisation de la situation sur les réseaux 4G, il a produit une analyse prospective du déploiement de la 5G en Belgique.

Nous aurons l’occasion de vous présenter le travail de thèse du candidat classé second au terme du concours (voir encadré ci-contre) mais arrêtons-nous ici sur la lauréate Pauline de Kerckhove, étudiante à la Louvain School of Management où elle a suivi un master en sciences de gestion, à finalité spécialisée. Le thème de sa thèse: une “évaluation de l’intégration de la durabilité sociale dans les stratégies smart cities”.

Les “villes intelligentes”, on les aborde sous une multitude d’angles: optimisation de la mobilité, analyse des conditions de durabilité, focus sur l’efficience énergétique, sur les infrastructures, voire la gouvernance, participation des citoyens… Un axe manquait encore à ce kaléidoscope selon Pauline de Kerckhove: l’aspect social, l’analyse d’impact sociétal des projets, une dimension pourtant indissociable des finalités davantage économiques, organisationnelles, énergétiques, environnementales et autres.

“D’ici 2050, on estime qu’environ 70% de la population mondiale vivra en zone urbaine”, souligne-t-elle pour expliquer son choix de thème. “Pauvreté, changement climatique, inégalités ne sont que quelques-uns des défis auxquels nos villes seront confrontées dans le futur. Il est donc nécessaire de repenser la manière dont nous utilisons nos ressources et notre espace dans les villes afin de garantir une stabilité sociale, environnementale et économique pour tous”.

Pour présenter l’objet et la raison de sa thèse, elle explique également que “de nombreuses solutions innovantes émergent afin de répondre aux problèmes de durabilité et de modèle de ville intelligente. Le recours à la technologie comme support est de plus en plus préconisé afin de répondre aux objectifs de développement durable et de relever les défis de la durabilité urbaine. Cependant, l’engouement excessif autour de l’utilisation des nouvelles technologies, ainsi que la croissante inquiétude environnementale, ont conduit à la sous-estimation et donc à la sous-investigation de l’impact social de ces innovations intelligentes. Ce qui est paradoxal dans le cadre de la ville intelligente…”.

D’où l’objectif de son travail d’analyse: déterminer dans quelle mesure la ville intelligente bénéficie réellement au citoyen et, sur base d’exemples concrets belges de projets et de stratégies de ville intelligente, “évaluer dans quelle mesure les villes incluent cet aspect social dans leur transition”.

L’angle d’analyse choisi fait donc une place toute spéciale à la dimension sociale, prenant en compte une série de paramètres pour “mesurer”, comme l’explique Carlos Desmet, son promoteur de thèse (maître de conférences en Corporate Social Responsibility and Business Ethics Management à l’UCLouvain), “l’impact sociétal, le bien-être des citoyens. Parmi ces aspects, la sécurité, l’éducation, les formations ou l’accompagnement de la population par la ville, l’accès aux technologies numériques, l’accès à la santé, à des espaces verts…”

Nouvelle grille d’analyse

Pour les besoins de son mémoire, Pauline de Kerckhove a fait la synthèse de multiples sources documentaires (les publications sur ce thème sont nombreuses) pour en tirer une analyse à laquelle elle a ajouté quelques paramètres supplémentaires.

Il en résulte une nouvelle grille d’analyse qui tient compte de différentes “dimensions”: environnement, qualité de vie, démographie, gouvernance, inclusion sociale… Une analyse déclinée en indicateurs et sous-indicateurs permettant d’établir un “score” pour chaque ville. 

Source: CIRB.

S’aidant de cette grille, elle a procédé à l’analyse des initiatives prises par certaines “villes intelligentes” belges, passant en revue les difficultés rencontrées, les bonnes pratiques mises en oeuvre. Elle a limité son exercice d’analyse aux projets de grandes villes ((Bruxelles, Charleroi, Liège, Mons, Namur, Anvers, Gand, Bruges) et sans réellement formuler de recommandation.

Le but était plutôt de déterminer dans quelle mesure les projets mis en oeuvre à ce jour, ou les stratégies définies, intégraient peu ou prou la dimension sociale, l’aspect humain dans leur démarche de transition. Ou, pour reprendre son expression, le degré d’“intelligence sociale” présent dans les projets et stratégies.

Son constat? Certes, la dimension sociale s’immisce dans les réflexions et les stratégies des villes étudiées mais elle achoppe encore souvent sur des difficultés qui restent à résoudre: fragmentation et déséquilibre dans la manière dont différents groupes socio-économiques bénéficient des projets smart city, manque de données fiables pour évaluer le degré d’avancement et d’efficacité des projets, manque de précision et d’outils de mesure et de comparaison (“rendant difficile toute évaluation de ce vers quoi ces stratégies mèneront les villes belges à l’avenir en termes d’inclusion”), absence d’exemples de réussite, faiblesse des budgets disponibles qui freine encore l’émergence de projets, manque aussi de connaissances au niveau des décideurs publics… 

Or, la nécessité de prendre en compte et d’inclure la dimension sociale est bien documentée et est une réalité qui s’imbrique dans bien d’autres “dimensions” de la ville intelligente. Notamment, pour n’en citer que deux, l’acceptation et l’appropriation de la notion de démocratie participative, et les enjeux environnementaux pour lesquels l’auteur rappelle que “certaines recherches considèrent que la dimension sociale du développement durable est le ciment qui rassemble les gens pour résoudre les problèmes environnementaux et permettre la croissance économique.”

Il est ainsi intéressant de voir dans quelle mesure les villes pensent à faire bénéficier tous les groupes socio-économiques, tous les quartiers, des infrastructures et/ou services destinés à améliorer le fonctionnement de la ville, le respect de l’environnement, les “performances” énergétiques.

De même, le type d’outils participatifs qui sont mis à disposition (que ce soit pour proposer des projets, intervenir dans le cycle de décision, évaluer les politiques menées) influe également sur la qualité de l’implication sociale.

La base d’un futur outil?

Dans son appréciation du travail d’analyse effectué par Pauline de Kerckhove, le jury des HERA Awards a estimé que “ce mémoire pourrait constituer un outil de prise de conscience des acteurs des smart cities et être utilisé comme guide de recommandations à l’usage des smart city managers ou des bourgmestres, du pouvoir politique”.

A condition d’étoffer la réflexion et le cadre d’évaluation par le biais de la prise en compte de certains indicateurs environnementaux et économiques supplémentaires. Notamment pour renforcer la grille d’analyse en y incluant des indicateurs supplémentaires (densité d’habitat, critères supplémentaires dans la catégorie bien-être environnemental…).

Il sera sans doute également intéressant de confronter la grille d’évaluation à la réalité, voire aux spécificités, d’entités moins importantes que les huit grandes villes qui ont servi de base à l’étude effectuée par Pauline de Kerckhove.

 

Olivier de Wasseige (président du jury): “Ce mémoire était intéressant du fait qu’il se concentre sur l’aspect de durabilité sociale des smart cities, une variable, moins mesurable, plus qualitative que quantitative, trop peu prise en compte dans les stratégies de développement durable des smart cities, une problématique qu’on envisage trop souvent sous un angle purement numérique. Il ne faut pas que les smart cities deviennent quelque chose de purement technologique, créant plus de problèmes, réduisant la qualité de vie pour les citoyens.”