Sylvie Ponchaut (BioWin): “Davantage d’ambition pour ne pas passer à côté d’opportunités”

Hors-cadre
Par · 16/01/2019

Fin 2018, BioWin avait placé sa conférence annuelle sur le thème de l’intelligence artificielle. Un choix qui n’avait rien d’anodin. Non seulement, c’est un thème très “tendance” mais c’est aussi un sujet qui devient d’une brûlante réalité.

Un choix qui s’imposait, aux yeux de Sylvie Ponchaut, directrice de BioWin, en raison de l’impact majeur que ces technologies auront sur tous les acteurs du secteur – du pharma aux dispositifs médicaux en passant par les sociétés spécialisées en e-santé ou en solutions hospitalières – et, peut-être surtout, du retard que le marché belge, wallon en particulier, accuse dans le domaine de l’appropriation de ces nouvelles technologies. L’Intelligence Artificielle (IA) est du nombre.

Lors de notre entretien avec Sylvie Ponchaut, en ce début janvier, elle met d’emblée le doigt sur ce qui lui apparaît comme le sujet névralgique: “nous avons d’excellentes universités. La recherche en matière d’intelligence artificielle est une réalité depuis déjà plusieurs décennies. Mais si nous avons de bons chercheurs, la masse critique est encore faible, beaucoup trop faible, dans ce secteur et il y a une réelle pénurie d’initiatives.” Notamment du côté public…

“Le but de notre BioWin Day était donc notamment d’attirer l’attention des autorités publiques sur le fait que quelque chose se prépare, qui n’a rien d’un petit phénomène, et pour lequel nous sommes insuffisamment préparés.”

Moyens, ambition et initiatives

“Comme l’ont fait la France ou le Canada, il serait utile de définir quelques grandes initiatives en matière d’intelligence artificielle appliquée au monde de la santé et du biotech. Il y en a trop peu en Belgique. Nous avons besoin d’un véritable plan stratégique au niveau fédéral mais aussi d’un alignement des initiatives de recherche entre niveau fédéral et régional.

Sylvie Ponchaut (BioWin): “Nous avons besoin d’un véritable plan stratégique au niveau fédéral mais aussi d’un alignement des initiatives de recherche entre niveau fédéral et régional.”

Dans ce domaine, rien ne s’est encore réellement concrétisé. La période que nous traversons actuellement [Ndlr: chute du gouvernement fédéral, perspective d’élections tant fédérales que régionales] est sans doute propice pour faire passer le message et demander aux (futurs) gouvernements qu’ils se saisissent réellement de ce sujet.”

Quid des moyens? Et des ambitions?

A l’échelle modeste qui est celle de la Région, ou même de la Belgique, on se trouve dans le très classique problème de l’oeuf et de la poule. Tout le monde (ou presque) a conscience qu’il faut mettre en oeuvre un projet ou un cadre ambitieux mais avec quels moyens? Or, si on n’a pas l’impression que des moyens existent ou peuvent être mobilisés, l’ambition – généralement – baisse pavillon. 

Aux yeux de Sylvie Ponchaut, toutefois, il n’y a pas à hésiter: “quand on a chez nous des chercheurs et des académiques tels que Hugues Bersini, Benoît Macq, Damien Ernst ou Thierry Dutoit, quand on a un acteur tel que l’IMEC [Ndlr: avec lequel une collaboration wallonne s’amorce – voir plus loin], on doit être ambitieux. Tout simplement parce qu’il y a des retombées à la clé. Nous ne pouvons pas passer à côté des opportunités.”

Elle appelle dès lors de ses voeux un “grand plan IA, qui définisse un cadre de recherche suffisamment financé et attractif pour empêcher les chercheurs de partir vers d’autres cieux.” Happés notamment par les GAFA…

Mais pas question d’attendre benoîtement – et plus ou moins indéfiniment – qu’un tel plan sorte des limbes (la chute du gouvernement fédéral n’a évidemment rien arrangé du côté des travaux du groupe de travail IA). “Au niveau régional, il faut avancer et se structurer car il faudra du temps pour que les choses se cristallisent. Nous continuons donc d’avancer, notamment par le biais d’appels à projets. Nous développons une politique des petits pas pour avancer, là où il est nécessaire d’apporter de la structure et de bâtir une masse critique.” 

Moderniser les processus

Une autre requête que Sylvie Ponchaut adresse aux responsables régionaux concerne l’efficacité et la réactivité des procédures en place. “Les instruments imaginés pour la recherche, les appels à projets, ne sont pas adaptés.”

Elle prend l’exemple des projets de recherche dits collaboratifs qui doivent impérativement être portés conjointement par quatre acteurs – deux industriels et deux entités académiques. “Cela a certes du sens dans le cadre de grands projets mais beaucoup moins dans d’autres. Notamment en matière d’e-santé et d’intelligence artificielle.”

Elle milite donc pour réduire le nombre à trois. Histoire de rendre la chose plus gérable, efficace et rapide.

Dans une optique de collaboration trans-frontalière (voir plus bas), elle voudrait également voir se concrétiser des projets de recherche impliquant son pôle wallon et un homologue étranger, avec participation d’une PME ou start-up.

Sylvie Ponchaut (BioWin): “L’efficacité d’une Région se mesure aussi à l’efficacité de ses processus. Et là, il y a clairement des choses à améliorer.”

Autre critique, celle adressée aux délais d’acceptation, par les instances gouvernementales, des projets de recherche pré-analysés et acceptés au sein d’un Pôle de compétitivité. “On en est pratiquement à 18 mois. C’est impensable quand on est face à des technologies qui progressent aussi vite que l’intelligence artificielle, pour reprendre cet exemple. Ou quand nous accusons autant de retard que c’est le cas pour nous…

Les processus doivent s’adapter aux besoins des secteurs et à la rapidité avec laquelle les secteurs seront touchés [par les nouvelles technologies]”.

Trouver des “appâts” pour favoriser des vocations

Si la “masse critique” fait défaut en termes de recherche, elle est également absente sur le terrain (commercial et industriel) dans nombre de créneaux pourtant identifiés comme porteurs et nécessaires. Sylvie Ponchaut évoque notamment les créneaux de l’e-santé et des data sciences.

“Si le sous-secteur des dispositifs médicaux commence à se structurer, ce n’est pas encore le cas pour ces deux autres. Il faut absolument structurer le paysage, susciter une masse critique qui fait défaut.”

Et pour ce faire, le Pôle BioWin tend quelques perches. Dans l’appel à projets qui sera bouclé fin de ce mois de janvier, une attention toute particulière sera portée à la teneur IA et analyse/exploitation de données que présenteront les dossiers. Certes, l’appel à projets n’était pas thématique mais la “valeur” supérieure qu’auraient de tels projets aux yeux du jury a clairement été soulignée dans les messages qui ont été passés, tant par BioWin que par les différents organes relais, vers les entreprises et centres désireux de se porter candidat.

“D’une manière générale, le Pôle désire équilibrer son portefeuille de projets”, indique Sylvie Ponchaut. “Tous les projets ne peuvent pas être orientés pharma. Il faut certes des projets pharma, à long terme, représentant un taux de risque élevé, mais aussi des projets en bio-IT, en biostatistiques, en dispositifs médicaux… Pour l’instant, il y a encore fort peu de projets orientés  big data…”

Sylvie Ponchaut (BioWin): “Dans le cadre du plan Digital Wallonia, nous avons été peu sollicités. Des pistes n’ont pas été suffisamment explorées. Les liens entre le Pôle et Digital Wallonia doivent être renforcés.”

2019 sous le signe des partenariats

Cette année, le Pôle de Compétitivité BioWin compte donner un coup d’accélération à des partenariats. “Nous sommes plus que jamais conscients de l’étroitesse de notre territoire (wallon). Même si la qualité de la recherche scientifique est une réalité, le territoire demeure étroit, surtout quand il s’agit de relever les défis importants qui nous attendent. Il est donc préférable de les adresser à plusieurs. Le clustering permet une mobilisation rapide, surtout lorsque nous souffrons d’un retard comme c’est le cas pour nous…”

Des initiatives conjointes seront par exemple déployées, cette année, avec le pôle de compétitivité Medicen (région parisienne). Première de ces initiatives: une mission conjointe au Canada, cette semaine, pour y découvrir les travaux et projets canadiens en matière de nouvelles technologies, de biotech et de santé du futur. “L’Etat canadien a défini et mis en oeuvre un véritable plan stratégique, plaçant l’intelligence artificielle au coeur des évolutions futures. Avec une réelle réflexion et intégration entre besoins en formation, ressources d’investissement, recherche et acteurs sur le terrain.

Des liens étroits existent déjà entre milieux académiques wallons et canadiens. Ce déplacement d’une semaine sera l’occasion de capitaliser sur ce qui a déjà été initié, d’étudier la manière dont le Canada procède et d’en tirer d’éventuels enseignements pour s’en inspirer chez nous.

Le Canada a réellement innové, notamment, en matière de formation du personnel soignant en intelligence artificielle, au travers par exemple de la réalité virtuelle et augmentée. A Toronto, des projets et recherche en matière d’hôpital du futur s’appuient sur une imbrication étroite et performante entre hôpitaux, centres de recherche et de formation, et cela de manière encore bien plus poussée que ce qui se fait par exemple du côté du GIGA à l’ULg.”

Plus proche de nous, à l’initiative de BioWin, un rapprochement est à l’oeuvre avec l’IMEC, le pôle de recherche et d’innovation flamand dédié aux technologies numériques et nano-électroniques. “Parmi les objectifs prioritaires que l’IMEC s’est définis figure en effet l’intelligence artificielle appliquée au domaine de la santé.

Nous avons décidé d’un rapprochement, notamment pour améliorer notre vision de l’avenir et des évolutions.”

Sylvie Ponchaut (BioWin): “Tisser des liens avec des partenaires forts qui nous permettent de rattraper notre retard. Nous avons en effet pris conscience de nos faiblesses et des forces qui sont à nos portes.”

Quelle forme précise prendra ce “rapprochement”, cette collaboration? Il est encore trop tôt pour le dire. “Nous sommes encore en mode exploratoire”, déclare Sylvie Ponchaut. “Plusieurs pistes sont possibles: des projets R&D conjoints, des appels à projets spécifiques, et de toute façon de la mise en relation entre acteurs tant industriels qu’académiques, notamment au bénéfice de start-ups.”

L’intérêt en tout cas est patent – des deux côtés. L’IMEC avait d’ailleurs été invité au récent BioWin Day et avait pu y faire un exposé.

“Le rapprochement avec l’IMEC”, souligne encore Sylvie Ponchaut, “s’inscrit dans notre stratégie de connexion avec des partenaires forts qui nous permettent de rattraper notre retard. Nous avons en effet pris conscience de nos faiblesses et des forces qui sont à nos portes.”