10 ans de “simplification administrative”: qu’il est long le chemin…

Hors-cadre
Par · 15/05/2013

A quelques semaines des débuts effectifs de l’e-WBS (Wallonie Bruxelles Simpliciation) – voir l’interview, en deux parties, publiée à ce sujet -, tout le petit monde francophone de la “simplification administrative” et de l’administration électronique s’était réuni, cette semaine, à Louvain-la-Neuve pour fêter 10 années d’efforts et de projets.

“Fêter” est sans doute un grand mot. Certes l’ambiance était à une certaine satisfaction. Les intervenants et les témoignages ont bien entendu souligné les progrès accomplis, le changement dans les pratiques, les processus et les habitudes. Mais personne – et c’est tout à l’honneur des participants – ne s’est laissé aller à une douce et fausse euphorie.

Les constats vont tous dans le même sens: le chemin est encore long, les lenteurs et lourdeurs sont toujours présentes, leurs causes sont multiples (et souvent d’origine humaine), les moyens ne sont pas toujours au rendez-vous, et le temps presse.

Petit kaléidoscope de petites phrases et déclarations, émanant tant des orateurs que de certaines personnes de l’assistance.

Si c’était à refaire…

Béatrice van Bastelaer: “Objectiver les charges administratives”.

Béatrice van Bastelaer, Commissaire d’EasiWal en partance, regrettait quelques lenteurs et tâtonnements au cours des premières années de cette cellule wallonne de simplification; “Nous avons consacré beaucoup de temps au développement de la méthodologie. Nous aurions dû sans doute objectiver les charges administratives plus tôt”.

Histoire d’établir plus en amont les priorités afin de se concentrer plus vite et plus radicalement sur les chantiers qui étaient les plus pertinents, en termes de coûts et de charge de démarches administratives à alléger.

Jean-Michel Cassiers, directeur général adjoint de la cellule Audit et Qualité de la Fédération Wallonie-Bruxelles, soulignait, lui aussi, l’intérêt qu’il y a “à se focaliser sur les priorités afin de concentrer les ressources.”

Et voilà l’un des points noirs pointés du doigt (il l’a d’ailleurs été par plusieurs intervenants): les ressources. En hommes (et femmes) et en moyens financiers. Toujours trop court, trop peu, face à l’ampleur de la tâche. Et les choses risquent de ne pas s’arranger.

D’autant plus que le flot des nouvelles compétences institutionnelles va se décharger d’ici quelques trimestres sur les Régions.

Rudy Demotte: “Il faut multiplier les processus de simplification pour rendre les espaces institutionnels plus attractifs pour ceux qui, chez nous, nourrissent des ambitions, pour qu‘ils ne se retrouvent pas en face d’empêcheurs plutôt que de facilitateurs.”

A ce sujet, voici se qu’en disait Rudy Demotte, Ministre-Président Wallonie et Fédé: “nous sommes à la veille de la mise en oeuvre de la nouvelle réforme de l’Etat. Il nous faudra faire face à l’augmentation du nombre de matières. Avec un défi financier sans nom. Ce qui implique que nous ayons besoin plus que jamais de compter davantage sur nous-mêmes. Nous devons toujours mieux employer nos moyens, avec plus de sobriété, nous concentrer sur l’essentiel. Il s’agit d’accélérer les processus de décisions. Nous n’avons pas le choix. Nous devons créer de la valeur ajoutée dans nos Régions, notamment à des fins de compétitivité. Il faut dès lors multiplier les processus de simplification pour rendre les espaces institutionnels plus attractifs pour ceux qui, chez nous, nourrissent des ambitions, pour qu‘ils ne se retrouvent pas en face d’empêcheurs plutôt que de facilitateurs.”

Quelques souhaits et regrets

Béatrice van Bastelaer: “La traçabilité des dossiers [introduits par les citoyens, entreprises etc.] est un chantier qui a été mis sur la table dès 2002 mais qui n’est pas encore top.” Autre regret: “La simplification administrative n’a pas suffisamment avancé au niveau des pouvoirs locaux. On n’a pas fait suffisamment dans ce registre, peut-être par manque de ressources.” Tiens, qui revoilà!

Pour Frédéric Delcor, Secrétaire général du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’un des chantiers encore à entamer sera celui de la gestion électronique des documents, au sein du Ministère “afin de mieux faire circuler les dossiers dématérialisés.”

Dans l’assistance, plusieurs fonctionnaires pointaient eux les difficultés engendrées par le retard de mise en oeuvre de la signature électronique ou par l’impossibilité qu’il y a pour eux d’aller chercher des données auprès de la Banque Carrefour des Entreprises.

Cette horripilante sensation de ralenti

“Il faut un temps énorme pour faire avancer les choses”, soulignait Béatrice van Bastelaer. “Il faut une patience infinie.” D’autres parlaient de travail digne de Sisyphe. Tant l’élagage semble être gagné de vitesse par une forêt de procédures, de nouvelles réglementations et de contraintes nouvelles qui foisonne toujours plus vite.

A telle enseigne que la Commissaire d’EasiWal souhaitait bonne chance à François Hollande qui, quelques jours plus tôt, avait parler de “choc nécessaire de la simplification pour relancer la croissance.” Volonté du gouvernement français: “alléger les quelque 400.000 normes existantes en France”, ce qui “dans la crise que nous traversons, constitue un enjeu économique, budgétaire, mais aussi démocratique.”

Alléger 400.000 normes!? Au rythme adopté chez nous, il faudrait non pas un seul mandat mais plutôt pratiquement plusieurs dizaines d’années… Sauf à espérer que le processus s’accélère enfin.

La petite consolation (mais, en fait, ce n’en est pas une du tout) que les acteurs francophones de la simplif’ pouvaient éventuellement tirer de la journée-anniversaire, c’est que leurs homologues néerlandophones et fédéraux éprouvent souvent les mêmes difficultés.

Erwin De Pue, directeur général de l’ASA (Agence [fédérale] pour la Simplification Administrative): “On trouve toujours que cela ne va pas assez vite… mais les procédures sont tellement complexes.”

“Résiste… prouve que tu existes”

France Gall n’était pas fonctionnaire mais sa chanson continue de faire mouche. De l’avis de maints intervenants, le principal obstacle qui empêche l’e-gouvernement de se mettre en place aisément est la résistance au changement. “La résistance n’est pas d’ordre technologique mais c’est un problème culturel. Et cela explique bien des lenteurs”, déclarait Geert Mareels, chef de projet au CORVE (Coordinatiecel Vlaams e-government).

L’une des solutions, pour faire échec à cette résistance, serait de généraliser un petit exercice toujours révélateur: “demander à un collaborateur, à un fonctionnaire de se mettre à la place de l’usager et de lui faire suivre le parcours. Qu’il s’agisse d’une demande de subside ou de soumettre certaines pièces… Dès cet instant, les résistances tombent!” Le conseil est de Pascal Guarrera, directeur Process & Innovations au Forem.

Ça coince en haut… ou partout?

Le “principe de confiance” que la Wallonie veut introduire dans certains processus administratifs vise à limiter le nombre de démarches, de pièces ou autres attestations à soumettre. Une déclaration sur l’honneur suffira dans certains cas. Un peu comme c’est déjà le cas avec la déclaration fiscale. Bien entendu, des contrôles a posteriori demeurent nécessaires.

Ce principe de confiance n’a pas encore convaincu nombre de fonctionnaires. Certains estiment que c’est leur compliquer la tâche en leur faisant assumer la charge des vérifications et autres recherches de documents auprès des administrations ad hoc. Là où, jusqu’ici, la vérification se limitait à l’adéquation des pièces fournies par exemple par le citoyen. Il y a aussi la réaction des fonctionnaires dont le “job description” est… “contrôleurs”. S’ils ne contrôlent plus les pièces, si ces dernières sont fournies automatiquement grâce à la Banque Carrefour des Echanges de Données et à l’intégration des sources authentiques, à quoi serviront-ils encore? Certains ruent dès lors dans les brancards…

Le fédéral est jaloux…

Erwin De Pue: “Le principe de confiance appliqué en Région wallonne est quelque chose dont nous sommes jaloux. Il n’a pas encore été appliqué à notre niveau en raison des peurs et de la difficulté qu’il y a à convaincre les intéressés de laisser tomber ces peurs.”