SETT 2019 – Vincent Englebert (UNamur): “l’informatique, ce sont aussi des compétences nobles”

Hors-cadre
Par · 26/04/2019

Ces 25 et 26 avril se tient, à Namur, le salon-conférence SETT 2019 (School Education Transformation Technology). L’occasion pour les enseignants ou toute personne intéressée par l’enseignement et la présence du numérique en son sein de venir rafraîchir connaissances et perceptions et/ou découvrir différentes solutions.

Lors de la première journée, un exposé de Vincent Englebert, doyen de la faculté d’informatique de l’UNamur, se proposait d’expliquer pourquoi il est important d’intégrer des cours de “pensée informatique” dans les programmes scolaires, et cela dès que possible et tout au long du parcours d’apprentissage.

Mais qu’entend-on exactement par “pensée informatique”? Ce concept est encore trop souvent obscur, mal compris, confondu avec le concept de cours de programmation “pure et dure”. De même, “pensée” informatique ne rime pas avec acquisition diffuse d’une “culture” informatique ou numérique…

Gare à l’éphémère

Vincent Englebert insistait sur la confusion à ne pas commettre entre enseignement de l’informatique ou de la pensée informatique, “une science intemporelle”, et maîtrise ou connaissance de l’ordinateur, “qui n’est qu’une forme physique éphémère”. Voici 40 ans, l’informatique, c’était le mainframe. Puis vinrent les minis, les PC. Aujourd’hui, ce sont les smartphones. Qui sait, demain, quelle “forme” prendra l’interaction…

Il s’agit donc selon lui de concevoir les cours et leurs contenus de telle sorte qu’ils favorisent des connaissances et compétences allant au-delà du transitoire. “Il faut pérenniser les armes conceptuelles, ne pas se contenter d’enseigner des compétences éphémères – par exemple, la maîtrise de Facebook…”

En poursuivant son raisonnement et sa démonstration, le professeur Englebert mettait également en garde contre une confusion entre “informatique” et “programmation”.

Preuve en est qu’on peut fort bien se livrer à la pensée informatique, au raisonnement, sans ordinateur, sans technologie. S’inspirant d’une définition donnée par la Société informatique de France, il soulignait par exemple qu’“il s’agit en fait de compétences plus nobles que celles que peut assumer une machine. L’informatique est la science de la représentation de l’information d’origine ainsi que des processus algorithmiques (collecte, analyse, transformation, exploitation…) de cette information, effectués par des machines ou des êtres humains, seuls ou collectivement.” 

Vincent Englebert (UNamur): “Enseigner la pensée informatique peut se faire selon trois modalités: en mode connecté [sur ordinateur], en mode déconnecté, ou en mode incarné [par exemple à l’aide de robot, renforçant la dimension empirique]. Le mode déconnecté se concentre sur le raisonnement, la logique, l’abstraction. Aucune modalité n’est meilleure qu’une autre…”

 

La pensée informatique, c’est “la conceptualisation, pas [uniquement] la programmation, […], la manière dont les êtres humains, et non les ordinateurs, pensent, un supplément à la pensée mathématique et ingénierique…”

Et les acquis que les apprenants retireront des cours sont notamment “la rigueur, la capacité d’abstraction, de résolution de problèmes, la créativité, le raisonnement logique, l’esprit critique et les soft skills – savoir être, collaborer, argumenter, expliquer…”

Erreur de perception

La pénurie de profils informatiques s’accentue, du fait des besoins croissants (le numérique est partout) mais aussi en raison d’une désaffection des études. Ce dernier déficit touche plus particulièrement les étudiants de sexe féminin [un maximum de 10% de filles dans les études STEM] mais pas uniquement…
Pourquoi cette carence, voire ce désintérêt? Inutile de répéter ici le souci essentiel que représente une perception toujours souvent négative de ce que sont les “études IT” ou la nature des emplois qui sont à la clé. C’est là un problème bien connu, tenace, auquel on n’a pas encore réellement trouvé de remède.
Mais il s’agit bien, dans une large mesure, d’un problème de fausse perception. Vincent Englebert le démontrait en signalant que le “métier d’informaticien” [sans faire de distinguo entre les multiples formes que peut prendre ce métier] figure pourtant parmi ceux qui sont les plus attractifs – lorsque l’on pose la question à ceux qui en ont fait leur métier… Les raisons évoquées? Salaire, travail varié, défis que permet de relever le métier, bon équilibre vie professionnelle-vie privée…

Parce que c’est dans notre intérêt à tous…

Pourquoi enseigner l’informatique (ou la pensée informatique)? “La première raison qui vient à l’esprit, même si elle n’est pas la plus importante, est le fait que les connaissances informatiques ouvrent d’importantes perspectives professionnelles. La pénurie de profils ne fait que s’accentuer – selon une progression qui atteint 10% ces quatre dernières années.” Voir encadré ci-contre.

Une autre raison, plus fondamentale, évoquée par le Prof. Vincent Englebert est le fait que l’informatique “est une discipline scientifique à part entière, au même titre que la chimie, la physique ou les mathématiques, une discipline qui débouche sur des compétences universelles…”

Il y a aussi le risque que l’on court à ne pas intégrer l’IT dans les cursus – le fameux “programmer ou être programmé”. Allusion ici au risque d’ignorance totale qui nous pend au nez si nous n’acquérons pas un minimum de connaissances et de compréhension des mécanismes, leviers et enjeux que font surgir plus particulièrement les algorithmes, l’intelligence artificielle, l’automatisation… “Demain, de plus en plus, toutes les décisions seront influencées ou prises par des algorithmes. Nous serons soignés par l’intelligence artificielle. Des choix critiques nous seront imposés par des machines”, rappelait en substance l’orateur. “Nous ne pouvons donc plus nous contenter d’avoir une vague idée” de la manière dont sont formulées, construites, ces propositions, solutions ou décisions. “Il faut être en mesure de comprendre les enjeux, l’influence qui s’exprime sur nos choix de vie. Il faut donc développer une pensée critique.”

Vincent Englebert (UNamur): “Les idées qui sont derrière les algorithmes – de Google, de Facebook… par exemple – influencent le monde, peuvent déterminer la pensée, totalitaire ou autre, de nos dirigeants. Il faut donc s’y intéresser.”

La chasse aux poncifs

Même les personnes bien intentionnées ou ayant un capital de crédibilité important font parfois des amalgames malvenus qui ne font que renforcer et diffuser davantage de fausses idées ou des “canards boiteux”.

Vincent Englebert (UNamur): “Enseigner l’informatique et la pensée informatique parce que c’est là une magnifique opportunité pour le développement de notre société.”

Vincent Englebert en a énuméré quelques-uns.

Notamment ceux qui tendraient à démontrer qu’il n’est en fait pas nécessaire d’enseigner l’informatique (ou la pensée informatique)…

“Pourquoi apprendre l’informatique? On ne va pas tous devenir informaticiens…” Vrai mais “tout le monde n’en est pas pour autant “concerné” par l’informatique, dans sa vie professionnelle ou privée.” Et tous les métiers sont ou seront impactés. “Jusqu’à l’éboueur qui devra comprendre comment et pourquoi un programme ou un algorithme dicte la tournée du camion à l’heure des poubelles intelligentes. Le trajet proposé, a priori, peut ne pas paraître logique mais il est optimisé”. Et il faut pouvoir non seulement comprendre comment et pourquoi mais aussi être capable d’invalider une décision de la “machine”.

Dans le même ordre d’idée, il réfute l’argument selon lequel il ne serait pas nécessaire d’apprendre l’informatique “puisque de toute façon les machines décideront de tout pour nous”. Réponse du professeur de l’UNamur: “l’Intelligence Artificielle peut peut-être générer de sublimes variantes de Tetris mais n’est pas en mesure de concevoir un logiciel idéal pour gérer un établissement scolaire ou permettre un dialogue optimal entre école et parents. Ce sont là des choses qui relèvent de la compétence humaine…”

Quid du “pourquoi apprendre l’informatique alors qu’on n’apprend pas la mécanique, même si chacun de nous conduit une voiture?” ou encore du “A quoi sert d’inclure ce cours puisque de toute façon les jeunes sont des digital natives?” Sous-entendu: ont déjà les connaissances nécessaires?

Contre-arguments de Vincent Englebert. Pour la première assertion: “on enseigne bien la chimie” – et pourtant tout le monde ne doit pas être un fou du labo. Pour la seconde: “faire du numérique” pendant ses loisirs, dans la vie de tous les jours ou dans la cour de récré – en étant un as sur Facebook ou sur PlayStation – est largement insuffisant pour demeurer maître de son existence. Analogie ludique, décalée, proposée par Vincent Englebert: “faire le coup de poing en récré n’a jamais transformé chaque élève en boxeur professionnel…” Idem d’ailleurs quand il s’agit de taper dans un ballon ou de devenir star du foot…