A deux jours d’intervalle, deux conférences ont reflété des analyses et pistes de réflexion qui, à maints égards, se croisaient ou se complétaient, en termes d’emploi, de métiers en pénurie, d’impact des technologies et de la transformation numérique sur les métiers et les compétences, et sur la nécessité de mieux faire correspondre formation et accompagnement aux besoins du marché.
D’un côté, les Etats généraux que la Ville de Charleroi avait organisés sur le thème des enjeux numériques (pour l’administration, le redéploiement économique et l’enseignement). De l’autre, la publication par l’UWE (union wallonne des entreprises) du Rapport économique pour la Wallonie, sur le thème spécifique “Priorité à l’emploi”.
Le constat
Les chiffres que publie (ou reprend) l’UWE en matière d’emploi, de postes vacants, de taux de chômage sont éloquents. La situation demeure tendue, parfois préoccupante, mais il y a aussi quelques signes d’amélioration. L’effort toutefois – et même plus que jamais – doit être poursuivi.
Voici quelques faits et chiffres-clés:
– un taux de chômage certes en résorption ces dernières années mais qui reste supérieur à la moyenne européenne ou à celle de la Flandre (on est passé de 240.000 à 190.000 sans-emploi en quelques années)
– un gain en taux d’emploi moins important en Wallonie qu’au niveau global belge entre 2014 et 2018: +1,9% contre 2,4%
– quelque 28.600 emplois vacants, ne trouvant pas preneurs, alors que la “réserve” d’emploi (les 190.000 chômeurs) devrait permettre de les satisfaire – “les emplois vacants correspondent souvent à des métiers en pénurie ou sous tension”
– une situation du côté des métiers en pénurie qui n’évolue pas favorablement: “plus de 30 métiers en pénurie ou fonctions critiques l’étaient déjà en 2008. Aucune solution n’a été trouvée”, souligne Olivier de Wasseige, administrateur-délégué de l’UWE.
Les propositions
Elles sont au nombre de huit dans le chef de l’UWE: travailler en priorité sur les métiers en pénurie ; encourager l’orientation des jeunes vers les études STEM ; adapter le contenu et le financement de l’enseignement ; repenser l’accompagnement des demandeurs d’emploi ; lutter contre les pièges à l’emploi ; mieux évaluer et mais aussi peut-être rationaliser les aides à l’emploi…
Dans le lot de propositions, nous en pointerons quelques-unes qui touchent plus directement aux thématiques IT et numériques.
➢➢ Se focaliser sur les métiers en pénurie
En termes de métiers en pénurie ou sous tension, citons, côté IT et numérique, des métiers tels que gestionnaire d’exploitation informatique, analyste, développeur et développeur Web, chef de projet IT, technicien en maintenance et diagnostic, électromécanicien de maintenance industrielle…
“Rien n’a changé en 10 ans sur plus de 30 métiers déjà identifiés comme étant en pénurie en 2008. On a insuffisamment créé de nouvelles formations pour résoudre le problème mais toute la responsabilité n’incombe pas pour autant à ceux qui proposent ces formations”, souligne Olivier de Wasseige. “Souvent aussi les jeunes n’ont plus envie de s’orienter vers ces métiers parce qu’ils ne les jugent pas attractifs. Il arrive assez fréquemment que des formations qui sont organisées soient finalement annulées par manque d’inscrits ou de profils adéquats.”
Il voit plusieurs raisons potentielles dans cette incapacité à lutter contre les métiers en pénurie:
– une méconnaissance de ce à quoi servent réellement ces métiers (“en ce compris pour des métiers dans des secteurs en pointe tels que le numérique ou les biotechs”)
– des métiers qui sont trop souvent présentés comme étant “pénibles” alors que la classification, pas forcément erronée, ne s’applique qu’à certaines situations particulières ou aux fins de carrière
– des profils et socles de compétences mal évalués avec une incapacité structurelle à faire se rencontrer offre et demande.
“Tous les partenaires sociaux doivent dès lors mieux communiquer sur ces métiers et briser des perceptions souvent erronées.”
L’UWE recommande que le Forem se concentre encore plus à l’avenir sur les formations et l’accompagnement vers ces métiers en pénurie. “Le Forem a formé 32.000 personnes en 2018, dont seulement 9.200 sur des métiers en pénurie.” Pas assez… Surtout si l’on prend en considération un autre chiffre: sur les 173 métiers que suit (activement) le Forem, 88 sont en pénurie ou sous tension.
9.000 sur 32.000, ce n’est donc as assez mais néanmoins mieux que par le passé (le total était de 6.500 en 2017). “On devrait placer la barre à 15.000”, propose Olivier de Wasseige.
➢➢ Meilleure visibilité sur les formations disponibles
En Wallonie, il y a une “réserve” d’emploi qui n’est pas en adéquation avec la demande, beaucoup trop de postes qui restent vacants, ne trouvant pas chaussure à leur pied, mais il ne manque par contre pas de possibilités de formation.
Olivier de Wasseige (UWE): “Parmi les raisons d’inadéquations entre offre et demande sur le marché du travail, on peut noter des méthodes de recherche d’emploi trop peu diversifiées. Il faut davantage éduquer à la recherche d’emploi.”
En se basant sur des chiffres… 2014 (les derniers chiffres officiels disponibles), l’UWE a par exemple calculé que la Région subsidie plus de 150.000 places de formation – via le Forem, les Centres de compétence, l’Ifapme, le CISP, l’enseignement de promotion sociale, les universités, etc. “Tout est donc en place pour former – même s’il faudrait sans doute réorienter certains contenus, éliminer des options qui sont très peu suivies ou sont devenues obsolètes…”.
D’où vient alors le problème? Les causes sont multiples. A commencer par un manque de visibilité sur la teneur de cette offre.
Le constat en a été posé, par exemple, à l’occasion des Etats généraux que la Ville de Charleroi avait organisés sur le thème des enjeux numériques (pour l’administration, le redéploiement économique et l’enseignement).
“La puissance publique est très mauvaise lorsqu’il s’agit d’informer sur la situation en termes de places ou d’orientations disponibles chez les différents acteurs – Centres de compétences, Cités des Métiers, Ifapme… sans parler des initiatives telles que BeCode, Molengeek etc.”, soulignait Olivier Marchal, directeur de la Cité des Métiers de Charleroi.
“Chaque acteur a sa propre base de données mais ne communique pas avec les autres. Et les bases ne sont pas forcément à jour.” Il déplorait, en la matière, un manque de volonté politique. Sans parler, sans doute, d’un modèle de financement qui pousse chacun à défendre jalousement son pré-carré.
Même si ces bases “se parlaient” et même si l’on passait en mode “open & shared data”, encore faudrait-il, du côté de la mise en corrélation entre offre et besoins en compétences à générer, que le langage soit harmonisé. C’est là un sujet qui touche à la qualification ou définition des compétences… Un sujet en soi.
Olivier de Wasseige (UWE): “Si aucune action n’est prise, l’évolution des métiers, en partie en raison de la transformation numérique, impliquera que les quelque 28.612 emplois vacants [situation à fin mars 2019] deviendront 146.000 en 2030. Par contre, si l’on applique les mesures que nous proposons, la Wallonie pourra atteindre en 2030 un niveau de plein emploi comparable à celui que connaît actuellement la Flandre.”
➢➢ Meilleure traçabilité des parcours des chercheurs d’emploi
Notamment sur les métiers en pénurie (toujours eux!), l’UWE recommande d’“augmenter les formations en permettant aux Centres de compétence et à des opérateurs privés – via des appels à projet – de prendre en charge et de participer à la totalité du cycle – depuis le bilan de compétences du demandeur d’emploi jusqu’à sa mise en contact avec l’entreprise pour placement une fois formé”. Une continuité qui fait aujourd’hui défaut, morcelée entre différents intervenants, rendue impossible pour certains…
En termes de “bilan de compétences”, l’UWE pointe un double souci. Primo, aucun outil ne permet d’agréger et de produire une image complète des différentes formations qu’un demandeur d’emploi est allé piocher à gauche et à droite (Centre de compétences, MIRE, CISP, acteurs privés…). “Il n’y aucune traçabilité sur ce parcours. On ne sait pas qui est est passé par où.”
Ce sujet a également été abordé lors des Etats Généraux du numérique de la Ville de Charleroi. L’une des pistes évoquées est celle des “badges” que chaque demandeur d’emploi ou participant à une formation recevrait à l’issue de chaque module de formation – quel que soit le prestataire. Avec possibilité pour chaque employeur de consulter une plate-forme centrale où seraient répertoriés et documentés les “badges” de chacun.
Cette idée a notamment commencé à faire son chemin en France où 6 compétences sont ainsi validées et reconnues comme telles par Pôle Emploi.
Deuxième problème: au niveau du seul Forem, le bilan de compétences demeure purement déclaratif. “Seulement 10.000 CV [ou déclaration de compétences] sont objectivés par une analyse du Forem ou un tiers. Il faudrait généraliser le principe d’objectivation des compétences que dit détenir un demandeur d’emploi, et cela par un acteur du métier” – qui pourra donc réellement juger des connaissances réelles.
Un autre élément qui, aux yeux de l’UWE, devrait permettre d’enfin faire disparaître le statut “pénurie” de certains métiers, serait une meilleure évaluation de l’efficacité de certains mécanismes. L’Union propose ainsi de créer un “observatoire des offres d’emploi non satisfaite” (qui s’appuierait sur les acteurs existants) et d’autoriser et multiplier des formations “ponctuelles et express”.
➢➢ Diversifier les pistes de formation
On l’a vu, ce ne sont pas les formations et les places de formation qui manquent. Et il s’en crée régulièrement, en ce compris via des initiatives privées, du genre BeCode.
Mais, abstraction faite des besoins d’amélioration déjà cités, d’autres initiatives, plus flexibles, plus courtes, plus réactives, demeurent nécessaires. L’UWE évoque ainsi la nécessité pour le privé et pour les entreprises elles-mêmes de mettre la main à la pâte. “Les aides à la formation existantes – congé éducation-payé, chèques-formation, contrat formation insertion… – ont toutes leur raison d’être mais il faudrait aussi pouvoir combiner des formations avec celles mises en place par les fonds sectoriels et soutenir la création d’“écoles d’entreprise”.”
De quoi s’agit-il? En fait, de structures de formation purement internes aux entreprises ou organisées sous la forme d’asbl qui permettraient aux entreprises de confier à des formateurs issus de leurs rangs et connaissant leur métier de prendre en charge des formations similaires à celles assumées actuellement par les Centres de compétences. Une sorte de privatisation totale (ou non?) de programmes tels que l’initiative Coup de point Pénuries actuellement financée par la Région.
Et cela, afin de permettre aux entreprises de former de futurs employés répondant à leurs propres besoins ou à ceux d’autres entreprises. Non pas pour remplacer les structures existantes mais pour combler certains vides – “pour suppléer la formation de base et qualifiante des demandeurs d’emploi, quand celle-ci n’est pas suffisante.”
➢➢ Favoriser les STEM
Pour encourager davantage les jeunes à s’orienter vers des études STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques), l’UWE préconise notamment la création d’un centre interuniversitaire et inter-Hautes écoles de didactique des sciences, ainsi que l’initiation de “classes STEM” qui mettent en exergue les maths, physique, chimie, bio et leur utilité pratique.
Une meilleure visibilité sur les actions de sensibilisation et de promotion des sciences pourrait aussi être utile. Ces actions et initiatives ne manquent pas en Wallonie – il y en a plus de 80. Multiplicité et diversité, en l’occurrence, sont-elles contreproductives? L’UWE pose la question, évoquant un possible besoin de regroupement et simplification. “Pourquoi ne pas créer un partenariat autour de ces actions et du programme de diffusion des sciences et techniques”, en coordonnant mieux SPW, Pass, Centres de compétences, Khan Academy, Cités des Métiers et consorts?
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