NestUp: décanter, affiner plutôt qu’accélérer

Hors-cadre
Par · 12/01/2017

Histoires de petites graines

Parmi les divers projets qui ont participé, fin d’année dernière, au programme d’“accélération” NestUp, nous en avons retenu trois – Shippr, Donmino et ConnectEnjoy -, épinglés en raison de leurs liens avec le numérique. L’occasion de revenir sur le rôle que peut jouer ce programme en termes d’accompagnement et de maturation de la “matière première” (idées, compétences existantes des participants). Un rôle d’affinage et de pivotage, plutôt que d’“accélération” (voir en fin d’article la nuance qu’il peut exister entre la classification officielle en tant que “programme d’accélération” et la réalité).

Shippr: livraison intra-urbaine

Le projet Shippr se positionne sur le terrain de l’“ubérisation” de la livraison de proximité. Impossible bien entendu de s’y lancer, au risque de jouer les étoiles filantes mort-nées, sans imaginer un scénario et un modèle qui soient suffisamment différenciateurs et évitent les écueils sur lesquels nombre d’autres projets du genre se sont déjà cassés les dents.

Shippr se propose donc de viser la livraison de produits et biens en tous genres en zone urbaine.

Premier terrain d’action: les 19 communes de l’agglomération bruxelloise, avant de viser potentiellement d’autres villes (Anvers, Gand, Liège, Charleroi, Namur…).

Les expéditeurs? Les petits ou moyens magasins et points de vente e-commerce locaux “qui voient leur volume d’activités baisser en raison d’une incapacité à livrer et qui ont besoin de solutions nouvelles pour redevenir concurrentiels face à l’offre e-commerce de grands groupes et enseignes”, explique Romain Syed, l’un des fondateurs de Shippr.

Livraisons concernées? Entre enseignes, entre dépôt et magasin (histoire de contribuer à résoudre la problématique du “last mile”) et entre point de vente et client.

Le mode de livraison: rapide ou planifiée par le client.

Type de biens et produits visés? Shippr s’abstiendra de s’aventurer sur le terrain, déjà saturé, de la livraison de plats chauds et devrait se donner une limite supérieure en termes de poids et de volume mais la jeune pousse dit ne pas vouloir limiter le catalogue: produits de bouche, boissons, objets du quotidien, mobilier, petit électro…

Les livreurs? A la fois le citoyen lambda désireux qui ajouterait cette activité à son emploi du temps mais aussi, en cas de réservoir insuffisant d’amateurs, des livreurs professionnels, le plus possible “des coopératives privilégiant le transport vert.”

Mode de livraison: vélo, voiture, camionnette. C’est le client sélectionne son heure de livraison et le mode de livraison voulu (en fonction de la nature du paquet).

L’apport de NestUp?

Pour Romain Syed, le programme d’accélération NestUp aura surtout permis à l’équipe de mettre en pratique les concepts de lean management, de validation de l’idée auprès d’acteurs de terrain (Bruxelles Mobilité et l’Atrium, l’agence bruxelloise pour le commerce, furent notamment consultés). Ce qui a permis de modifier l’idée de départ qui se concentrait uniquement sur la livraison de produits achetés auprès de sites d’e-commerce. “Nous savons désormais quelle est notre place sur le marché. Nous avons validé notre idée, développé une version bêta du site Web, passé un premier contrat.”

Pour le reste, la période d’“accélération” laisse en suspens encore bien des questions et des éléments essentiels du scénario et du modèle Shippr, auquel le quatuor s’attaquera dans les prochains mois.

Il reste en effet pas mal de travail sur la planche pour mettre réellement le projet sur les rails: préciser le modèle économique (tarifs, rémunérations, assurance livraison…), déterminer le catalogue de produits et biens qui pourront entrer en ligne de compte, “recruter” des livreurs…

Donmino, pour “socialiser” le don

Pauline et Laurent Thonon (ils sont mariés) ont imaginé une solution en-ligne sensée encourager davantage et faciliter les petits dons (quelques euros) au profit d’associations et bonnes oeuvres. Outre la procédure (dont les modalités doivent encore être peaufinées – notamment en termes d’intermédiaires financiers et de prélèvement d’une commission), le levier que le duo espère être un incitant efficace est tout simplement la visibilité que chaque donateur donnerait à son geste via les réseaux sociaux.

“Les gens sont souvent réticents à faire un don. Parce que ce sont toujours les mêmes organismes qui les sollicitent. Parce qu’ils ne savent pas très bien à qui faire un don. La recommandation par des “amis” peut résoudre ce problème de choix et de confiance.”

Un don, un signalement à son réseau. Dans l’espoir que les “amis” imitent le donateur et relaient sur leur propre réseau. Donmino (don mini, si vous préférez) parie donc sur l’effet boule de neige et l’incitation (pression) sociale. “Le signalement d’un don dans son réseau social donnera en outre une visibilité nouvelle aux associations. Qu’il y ait réellement don ou simple like…”

Ces associations pourront par ailleurs créer des campagnes et des comptes sur le site de Donmino. Pour des appels à dons, avec ou sans matching des sommes récoltées par un sponsor.

Pour faciliter encore la tâche de communication par le donateur, la plate-forme proposera une série de phrases toutes faites. Il suffira d’en sélectionner une et de diffuser à son réseau… Pas très perso mais bon!

A terme, un autre “canal” devrait voir le jour. Il ne devrait pas prendre la forme d’une appli mais plutôt celle d’un bot. “Un personnage virtuel sympa qui au fil de son utilisation, apprendra les préférences de l’utilisateur et, sur cette base, lui proposera de temps en temps un don à faire, se chargera de suivre l’évolution des dons précédents dans la communauté…”

Pour activer ce bot, Laurent et Pauline Thonon doivent encore décider à quelle “interface” l’intégrer: Messenger, Skype, Whatsapp…?

Pour l’heure, le projet en est encore à sa phase bêta, avec tests auprès d’un groupe de bêta testeurs (donateurs et associations) afin de valider l’efficacité du concept. Les dons ne sont pas encore réellement possibles, Donmino en passant d’abord par une phase où l’on se contente de faire une promesse de dons. Plusieurs canaux seront testés: envoi de mails ou de SMS… En attendant de trouver des solutions de dons réels qui ne souffrent pas d’un prélèvement de commission trop important par les opérateurs (du genre Paypal).

Le duo de starters dit déjà envisager une extension de son action à la France, où les avantages fiscaux pour des dons, même mineurs, sont plus intéressants qu’en Belgique.

Le MIC (Microsoft Innovation Center) sera une prochaine étape. Pas pour une incubation à Bruxelles mais pour profiter du travail de stagiaires (programme du MIC wallon).

L’apport de NestUp?

Pour Laurent Thonon, les apports les plus significatifs de son passage par NestUp concernent le pivotage qu’a subi l’idée de départ – “on était plutôt parti dans un style ubérisation de la politique” – et “’intensité” de l’accompagnement. “Nous avons pu poser les bonnes questions au bon moment aux bonnes personnes et, de ce fait, invalider rapidement les mauvaises pistes. Celles qui n’étaient pas porteuses ou pas réalistes. Le passage par NestUp nous a mis sur les bons rails. En solo, en un an, je n’aurai sans doute pas atteint le même résultat…”

Pourtant, il avait déjà goûté du principe lean startup et participé à un stage… NestIn. Insuffisant, donc.

“On ne peut pas parler d’accélération mais d’une méthode qui nous a mis sur d’autres rails. Passer par NestUp implique de savoir se remettre en question tout en affirmant ses convictions profondes.”

ConnectEnjoy et la fibre authentique

Maxime Grell et Kevin Coppens s’étaient présentés à NestUp avec une idée de plate-forme permettant aux voyageurs étrangers de trouver, chez nous, une personne désireuse de leur faire découvrir un coin du pays en mode “tourisme authentique”. Une découverte guidée par de “vraies” gens et non des professionnels dans un cadre standardisé.

Pas révolutionnaire. Déjà vu. Déjà exploité par d’autres. Une petite enquête de terrain allait d’ailleurs rapidement confirmer que cela n’avait peut-être guère d’avenir, compte tenu de la concurrence déjà existante ou future.

L’idée fut donc quelque peu réorientée mais sans s’éloigner du principe de “découverte authentique”. ConnectEnjoy se propose de faire se créer des liens entre voyageurs et autochtones en restreignant le scénario d’accueil à… une bonne table.

Via un site Internet dans un premier temps et, à partir d’avril en principe, via une appli (iOS et Android), une mise en relation s’instaure entre voyageur et un habitant local. Celui-ci publie en fait un petit profil (lieu de résidence, passions, motivations, restos préférés). Les voyageurs puisent dans ce catalogue un contact qui les intéressent plus spécifiquement. Le résident local accepte ou non ‘invitation. S’il accepte, un chat démarre.

Mais comment “enclencher” la pompe, créer un premier réservoir de voyageurs et touristes étrangers? La stratégie de visibilité qu’imagine ConnectEnjoy dans un premier temps passe aussi bien par de la visibilité physique que virtuelle. Côté physique: distribution de prospectus à l’Office du Tourisme, macarons “restaurants partenaires” à la devanture de restos (qui, du coup, seront références gratuitement sur la plate-forme – la start-up réfléchira plus tard à ce que cela pourrait induire pour son modèle financier futur).

Côté virtuel et nettement plus high-tech: tracking des voyageurs potentiels sur base de leurs recherches Google Adwords, publicité sur Facebook avec suivi des “amis” qui auront cliqué sur la pub…

En termes de zone géographique visée, ConnectEnjoy se lance d’abord à Bruxelles avant de viser d’autres grandes villes: Paris et Rome à l’été, Londres fin 2017.

Le duo espère qu’il parviendra à séduire suffisamment de personnes (d’où le choix des quelques premières destinations attrayantes) pour rendre l’idée rentable: “il nous faut minimum 80 à 85 réservations par jour pour être rentable. Le projet n’est donc pas viable si on se limite à la Belgique”.

Si, dans un premier temps, le “service” sera gratuit, le but est en fait de prélever à terme une quote-part de 4 euros chaque fois qu’un résident local est sélectionné pour une rencontre au resto.

Petite carte de visite de deux porteurs de projet: Maxime Grenn et Kevin Coppens sont deux anciens de Solvay. Hasard des choses, ils se sont croisés au Grand-Duché où tous deux avaient trouvé du travail. De retour en Belgique, après avoir quitté leur travail précédent pour plancher sur le projet, ils comptent rester au pays.

L’apport de NestUp?

Maxime Grell: “notre idée de départ était axée sur le principe d’un touriste étranger voulant pouvoir visiter la Belgique en compagnie d’un habitant local. NestUp nous a permis d’appliquer les préceptes de la lean start-up. Le plus important que NestUp nous a apporté, c’est de pouvoir confronter l’idée à la réalité du terrain. Nous nous sommes ainsi rapidement rendu compte que l’idée première n’était pas viable en raison de la concurrence.”

Autre point positif retiré: l’entraide qui s’est instaurée entre les participants, aux profils très variés.

 


En fait d’accélérateur, NestUp devrait sans doute être davantage qualifié – nous vous avons déjà fait part de ce point de vue – de décanteur. Un programme qui permet surtout aux porteurs de projets, souvent encore “bruts de décoffrage” et non confrontés à la réalité et à la demande du marché, de valider la pertinence de leur idée. Et comme l’un des principes fondamentaux adoptés dès le départ par l’équipe de NestUp est de challenger les porteurs de projets, de les faire pivoter, on peut dire qu’ils s’en donnent à coeur joie.

La preuve en a une nouvelle fois été donnée à l’occasion de la session automnale.

Les trois projets présentés ici ont sensiblement changé de direction. Les trois équipes estiment désormais avoir bien identifié leur positionnement de départ, avoir engrangé des conseils et graines de compétences devant les mettre sur les bons rails. Reste à enclencher la première pour vérifier s’il y a en effet matière suffisante à un décollage.

A moins que pour justifier son appellation d’accélérateur, on doive modifier un tantinet la portée que l’on donne à ce terme, un peu trop mis à toutes les sauces: admettons que l’on puisse éventuellement parler d’accélération mais alors à la mise initiale sur les rails… Retour au texte ]