[Mémoire] – L’accès des femmes aux métiers de l’informatique. Kaléidoscope d’approches.

Hors-cadre
Par · 08/12/2021

Aline Pesesse, étudiante en master en Sciences du travail à la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communications de l’UCLouvain, a choisi le thème du déséquilibre genré dans les métiers de l’informatique, l’abordant selon une double optique, explique-t-elle en préambule de son mémoire: comprendre les raisons pour lesquelles il y a si peu de femmes dans ces métiers ; comprendre et analyser les raisons pour lesquelles les femmes, qui ont joué un rôle important dans la genèse de l’informatique, l’ont progressivement délaissée. Et ce, semble-t-il de manière plus prononcée et plus illogique, ces dernières années. Avec un “basculement” qui s’est joué au début des années 90.

“Ce sentiment d’injustice face à cette invisibilisation et à la nécessité de leur présence dans ces métiers qui sont si importants d’un point de vue sociétal et économique ont achevé de nous convaincre de pousser plus loin notre curiosité”.

 

“Dans l’Union européenne, pour chaque tranche de 1.000 femmes détentrices d’un diplôme de l’enseignement supérieur, elles sont seulement 24 à être diplômées dans les domaines liés aux TIC. Parmi ces 24 diplômées, 6 exercent un emploi dans le domaine des TIC. Pour un même échantillon, sur 1.000 hommes diplômés, 92 ont effectué des études dans des domaines liés aux TIC. La proportion de ces derniers travaillant dans le secteur des TIC est de 49.”
Source: Les femmes à l’ère numérique – Etude réalisée en 2018 pour le compte de la DG Connect de la Commission européenne, par la société espagnole Iclaves en collaboration acec l’Université ouverte de Catalogne.

 

Les problématiques? Petit rappel: sous-représentation des jeunes filles dans les études IT/numérique, pourcentage tout aussi faible de femmes actives dans ces métiers (et, dans certains, plus encore que dans d’autres), désaffection de celles qui s’y engagent mais qui les quittent “prématurément” (essentiellement dans la tranche d’âge 30-44 ans), sous-estimation chronique part les femmes de leurs propres compétences, méconnaissance des carrières, des orientations et de l“impact” potentiel de ces métiers, stéréotypes coriaces, inefficacité des campagnes et actions prises par la passé pour tenter d’y remédier…

Source: Interface3.

Pourquoi ce désamour (des raisons multiples, on le sait, sont évoquées depuis de nombreuses années) et, surtout, quelles solutions sont apportées (ou tentées) par les pouvoirs publics pour y remédier? Pour essayer de le déterminer, Aline Pesesse a choisi comme socle de son mémoire une “analyse comparative de politiques publiques en place en Belgique, au Royaume-Uni et en Suède” (1).

A noter que le concept de “politiques publiques” couvre, dans son analyse, à la fois des “projets mis en place par les pouvoirs publics et par des asbl soutenues par ces mêmes pouvoirs publics”. Champ d’exploration: les initiatives visant ou se déroulant au niveau de l’enseignement primaire et secondaire. 

Pour structurer son mémoire, l’étudiante est partie de deux hypothèses de recherche:
“- Les politiques publiques encourageant les femmes à exercer un métier de l’informatique les contraignent à une performance de complémentarité.
– Les politiques publiques visant l’accès des femmes aux métiers de l’informatique ne prennent pas en compte les obstacles structurels dus aux rapports sociaux de sexe.”

 

Toujours en débat: faut-il user plutôt de l’argument de l’opportunité de développement et d’accomplissement personnel, voire de contribution à l’innovation et au progrès de la société (au sens de communauté et de collectivité) ou plutôt de celui de la “rentabilité économique”, de l’intérêt d’un meilleur équilibre des genres pour une meilleure “performance” ou efficacité économique?

 

L’auteure met notamment en évidence le problème, bien connu, du “plafond de verre” (qui bloque la progression des femmes dans les hiérarchies) mais s’intéresse aussi aux “parois” ou “murs de verre” qui, eux, imposent une ségrégation artificielle dans le type de métiers ou de fonctions au sein du champ général de l’informatique. Ce qui la fait s’intéresser aux mesures éventuelles mises en place par les politiques publiques pour y remédier. 

Parmi les organismes et initiatives évoqués, citons, pour la Belgique, les actions d’Interface 3 (Bruxelles et Namur) et de WeGoStem ; pour le Royaume-Uni, le concours CyberFirst Girls, le projet Next Tech Girls, le programme #techmums, Code FirstGirls ; pour la Suède, le Festival Tekla, l’asbl DataTjej, l’association Pink Programming.

Source: Mémoire d’Aline Pesesse.

Un chapitre du mémoire se concentre sur les faits de vie, parfois les hasards, qui ont mené de jeunes filles à s’intéresser à l’informatique et à la choisir comme thème d’études et, plus tard, comme potentiel de carrière. Un autre se penche sur les expériences vécues par plusieurs professionnelles de l’ICT qui expliquent ce qu’elles perçoivent comme étant les avantages et qualités de leur métier (utilité sociale, inventivité de solution…) et, a contrario, les difficultés éprouvées (solitude, difficile équilibre entre vie professionnelle et vie privée, entraves à la progression dans la hiérarchie…).

L’auteure de ce mémoire aborde son analyse en remettant en lumière toute une série de notions analysées sous l’angle sociologique et sous celui de l’évolution au fil du temps qu’ont connue la perception du travail et des différents métiers liés à l’informatique.
Elle rappelle au passage le parcours et le rôle joué par quelques femmes emblématiques (parmi les noms évoqués, on retrouve les “incontournables” Ada Lovelace ou Grace Hopper, mais aussi Annie Easley, Heidi Lamarr ou Margaret Hamilton).
Elle souligne aussi combien l’accession des femmes à certains métiers de l’informatique a pu varier au fil des ans, à mesure que la perception que l’on avait ou que l’on prêtait à ces métiers, ou à leur nature, évoluait en termes de “valeur” ou de reconnaissance sociale (s’appuyant en partie sur les travaux de la chercheuse française Isabelle Collet). Une différence de perception qui se relève également selon un prisme plus géographique (les “étiquetages” inconscients ou non qui sont source de déséquilibres genrés dans les pays occidentaux ne se retrouvent pas forcément et sont parfois même inversés dans d’autres régions).

Au rayon action des pouvoirs publics en faveur d’une plus grande présence de femmes dans les métiers de l’informatique, Aline Pesesse évoque une série d’initiatives publiques (nationales ou plus régionales):
– pour la Belgique: la plate-forme bruxelloise Women in Tech, la campagne Wallonia Wonder Women de l’AdN ;
– au Royaume-Uni, la charte Tech Talent Charter (TTC), à laquelle le Department for Digital, Culture Media & Sport du gouvernement britannique, notamment, est partie prenante ; son but: résoudre les problèmes de diversité (ethnique, de genre et d’âge) dans les métiers ICT.

Quelles conclusions?

Après avoir parlé sociologie, évolution temporelle du rôle des femmes dans les métiers de l’informatique et après avoir zoomé rapidement sur quelques initiatives et acteurs, Aline Pesesse en vient à l’analyse des informations qu’elle a pu réunir.

Les approches dans les trois pays considérés semblent différer: promotion de l’informatique dans le cadre scolaire et/ou parascolaire, contexte de promotion pouvant prendre parfois des formes originales (tel que le festival Tekla suédois) ou (relativement) plus classiques (rencontres adolescentes-entreprises outre-Manche).

L’auteur indique par ailleurs: “Les initiatives que nous avons observées mettent surtout l’accent sur les côtés ludiques et créatifs ainsi que sur la diversité des métiers de l’informatique. Cela confirme ce que nous ont dit plusieurs professionnelles de l’informatique [Ndlr: uniquement belges] par rapport au fait qu’elles associaient leur métier aux puzzles, aux jeux de logiques et à la créativité.
Les dimensions créatives et ludiques sont des aspects des métiers de l’informatique qui ne sont pas encore assez mises en valeur auprès du grand public. Ce qui ressort encore souvent, c’est le côté “trop” compliqué ou incompréhensible de ces métiers.”

Pas de parcours unique, ou idéal, non plus pour ce qui est des études qui mènent à des métiers informatiques. Ce qui lui fait conclure que “les formations qualifiantes et certifiantes proposées ou soutenues par les organismes publics d’emploi sont très essentielles pour permettre au plus grand nombre de femmes de choisir une profession de l’informatique”.

Les animations, initiatives de sensibilisation et de formation, doivent-elles être de préférence organisées exclusivement pour des filles/femmes ou faut-il davantage parier sur la mixité pour résoudre ce fossé genré? Pas de décision à la Salomon en la matière. Seulement des considérations d’ordre pratique. Du genre: “En ce qui concerne les activités ayant lieu en dehors du cadre scolaire, il semble plus facile d’instaurer une non-mixité.” En soulignant: “Que ce soit en Belgique, au Royaume-Uni ou en Suède, les pouvoirs publics n’ont pas de problème à soutenir les asbl ou les événements exclusivement adressés aux jeunes filles.”

Le mémoire met par contre le doigt sur une lacune: “Nous avons constaté que, sur les sites Internet officiels des ministères ou institutions qui ont pour compétences l’emploi, la formation, la stratégie numérique ou l’égalité des femmes et des hommes, les initiatives qu’ils soutiennent [pour l’orientation des jeunes filles et des femmes vers l’informatique] ne sont pas mises en valeur et sont très difficiles à trouver.”

Chose que le nouveau portail DigiSkills Belgium devra sans doute veiller à rectifier…

Conclusion générale du mémoire: des initiatives de sensibilisation et de formation sont certes au rendez-vous et même nombreuses mais leur visibilité, articulation ou maillage posent encore problème. Et le monde de l’entreprise n’est pas exempt de critique: “Notre enquête nous a montré qu’il y avait un travail de sensibilisation qui était fait auprès des entreprises désireuses de favoriser un environnement de travail plus égalitaire entre les femmes et les hommes. Néanmoins, les expériences et obstacles auxquels font face les professionnelles de l’informatique que nous avons rencontrées, font état d’un manque de sensibilisation autour de ce sujet sur leur lieu de travail.

Pour favoriser l’accès des femmes aux métiers de l’informatique et pour permettre qu’elles aient les mêmes chances que leurs collègues masculins, les politiques publiques vont devoir travailler sur des campagnes de sensibilisation à destination des entreprises [afin qu’elles soient des lieux plus égalitaires et inclusifs] mais aussi à destination d’autres personnes qui jouent un rôle dans ce processus: les enseignant·es, les chargé·es d’orientation scolaire et professionnelle, les partenaires sociaux, les employeurs et employeuses, les recruteurs et recruteuses.”

 

“Bien que la place des femmes dans le développement de l’informatique ait été soumis à une écriture amnésique de l’Histoire, [notre] recherche nous a amenées à envisager cette filière sous un autre jour.
En effet, pour que nous en soyons encore à envisager cette filière comme masculine, il a bien fallu construire un discours stéréotypé dont les femmes sont exclues. Si c’est une construction, tout n’est donc pas perdu. Ce qui a pu se construire peut aujourd’hui se déconstruire.”

 

(1) Pourquoi Aline Pesesse a-t-elle choisi de se focaliser sur le Royaume-Uni et sur la Suède, comme pays européens avec lesquels comparer les initiatives et la situation de déséquilibre genré dans les métiers de l’informatique? “Ces pays sont présentés comme culturellement très différents quant au système d’état-providence, aux relations industrielles, aux politiques d’emploi ou sociales… Il m’a dès lors semblé intéressant de confronter les politiques publiques belges aux a priori positifs que j’avais sur les politiques de genre britanniques et suédoises.”  [ Retour au texte ]