Le Sirris passe les données de circulation urbaine bruxelloise aux rayons X

Hors-cadre
Par · 07/05/2020

Source: Sirris.

Le contexte, évidemment, n’avait pas été prévu mais la période de confinement forcé qui a privé de nombreux travailleurs de leurs trajets quotidiens vers le travail (et le changement d’habitudes privées qui en fut aussi une conséquence) ont donné une nouvelle signification à l’étude initiée notamment par le Sirris, le centre collectif de l’industrie technologique, sur les données de circulation urbaine à Bruxelles. Voir quelques informations sur la méthodologie en fin d’article.

Au final, l’exercice est une démonstration de la manière dont l’analyse de données volumineuses peut révéler tendances, anomalies et éléments inattendus.

L’étude, intitulée “Insightful blueprints of Brussels traffic in times of covid-19, a pour cadre un projet de recherche industriel financé par Innoviris, et porté conjointement par le laboratoire EluciData du Sirris, la VUB et la société Macq, spécialisée dans les solutions de mobilité et des infrastructures de transport. Objectif de l’étude: “développer un moteur analytique des tendances favorisant une meilleure compréhension des conditions de circulation de manière plus précise et conceptualisée”.

L’étude jette un éclairage nouveau et plus précis sur les tendances et les caractéristiques de la circulation urbaine (essentiellement automobile), à la fois en temps “normal” et dans les conditions de confinement, sur le type d’utilisation (professionnelle, privée, récréative) qui est faite des infrastructures, et sur les modes de transport et fluctuations d’usage. La période de confinement a certes eu des incidences – mais pas toujours forcément celles auxquelles on aurait pu s’attendre. Les auteurs de l’étude y ont en tout cas vu une “opportunité de dégager certains schémas caractéristiques de la circulation à Bruxelles”.

Voici donc quelques-unes des conclusions tirées par les experts en IT et analyse de données de Sirris…

“Comme on pouvait s’y attendre, le volume global du trafic à Bruxelles a sensiblement diminué pendant la période de confinement. A certains endroits-clé (tels que l’avenue Charles Quint, le tunnel Trône ou encore le quai de Willebroeck), le taux de circulation a diminué dans une proportion inférieure à 50% tandis qu’à d’autres endroits (comme la Drève de Lorraine, les tunnels Vleurgat et Stéphanie en direction du centre), on a pu noter une réduction substantielle allant jusqu’à 80%.

En moyenne, 40% du volume de trafic s’est maintenu pendant le confinement. A l’évidence, la petite ceinture a conservé davantage de trafic que dans les zones résidentielles. Cela peut indiquer que la circulation “fonctionnelle” dans la ville a diminué moins fortement que la circulation récréative”.

Circulation résiduelle après mise en oeuvre des restrictions Covid-19.

Des heures de pointe toujours bien présentes

Les restrictions induites par le confinement n’ont que modérément affecté le trafic en heures de pointe, notamment le matin. Par exemple, dans des endroits “stratégiques” tels que les tunnels Arts-Loi, Trône ou Tervueren, où le volume de trafic s’est maintenu à environ 80% de son niveau habituel. Idem pour les retours à partir de 16 h. Le taux de circulation dans les tunnels Trône, Arts-Loi et Rogier, entre 16 h et 20 h, a été évalué à 65% voire 80% du trafic habituel.

Conclusion des auteurs de l’étude? “C’est là une confirmation supplémentaire du taux de saturation qu’a atteint la circulation à Bruxelles ces dernières années.” C’est aussi le signe, selon eux, que ces lieux de passage, caractérisés par une circulation particulièrement intense, servent essentiellement à un usage professionnel, et beaucoup moins à des déplacements liés aux écoles ou aux loisirs.

Fluctuations journalières

Quiconque fréquente plus ou moins assidûment les artères bruxelloises (ou les axes d’accès d’ailleurs) s’est sans doute déjà souvent posé la question suivante: pourquoi diable semble-t-il y avoir des jours plus “noirs” que d’autres? Et y a-t-il une logique à ces encombrements plus épiques?

L’une des analyses effectuées par l’étude a consisté en une “empreinte d’intensité de circulation” relevée au fil de la semaine en deux endroits précis – les tunnels Trône (direction Belliard) et Tervueren (en direction du centre). Les auteurs ont ainsi produit une “heat map” (voir illustration ci-dessous) sur laquelle les portions les plus rouges révèlent les tranches horaires et les jours les plus chargés en circulation.
Les 8 sphères qui s’alignent pour chacun de ces deux tunnels représentent la situation tout au long de 8 semaines – du 17 février au 19 avril.
Chaque graphique circulaire est constitué de couches concentriques. La première couche, au coeur du graphique, représente le lundi, la couche extérieure le dimanche.
Chaque sphère est en outre découpée en tranches horaires – de 8 heures du matin à 16 h.

Les premières mesures de restriction de mouvements, provoquées par la crise Covid-19, sont intervenues en semaine 11. A partir de là, on peut en effet constater que l’intensité du rouge s’estompe. Et demeure relativement stable par la suite, ce qui, estiment les auteurs de l’étude, est une indication que “les citoyens bruxellois ont continué de respecter les mesures prises.”

Le taux résiduel de circulation est en outre un indicateur très utile, selon eux, de la “quantité de circulation absolument inévitable à Bruxelles”.

L’étude a également comparé la situation entre le taux et la “topographie temporelle” (intensité de circulation par plages horaires) de la circulation entre la semaine de Carnaval et la période de lockdown. Objectif: tenter de distinguer les usages récréatifs, “utilitaires” (achats, urgences…) et professionnels (résiduels).

Conclusions dégagées: “On constate une réduction substantielle de la circulation liée au travail en raison des restrictions Covid-19. En dehors des plages horaires de la matinée et du soir, on a observé davantage de circulation pendant la semaine de congé par rapport aux semaines de lockdown, ce que l’on peut attribuer à une circulation à finalité récréative ou non-essentielle, par exemple des activités sportives, des déplacements vers le resto ou des événements culturels…”

Surprise du côté des limitations de vitesse

Roulez à 50 km/heure, voire à seulement 30 km/heure sur certains tronçons, n’a jamais été une sinécure à Bruxelles. Soit on reste largement en-deçà de ces limites en raison des embouteillages. Soit on les dépasse joyeusement quand on est pressé ou que la voie est un peu trop libre pour inciter à la modération.

Les auteurs de l’étude se sont intéressés au respect de la vitesse, en période de confinement, lorsque la circulation est moins dense par la force des choses, afin de déterminer si les automobilistes se montrent plus – ou moins – respectueux des règles. Allait-on assister à une déferlante de Fangio et autre Speedy Gonzalez?

Source : Bruxelles Mobilité.

Surprise, surprise! C’est même l’effet inverse qui est enregistré – du moins dans certaines zones… “Dans le tunnel Georges Henri [Ndlr: qui mène vers la Rtbf, vers l’accès à la E40 vers Liège ou encore à la place Meiser, pour ceux qui connaissent], il est rare que la vitesse maximale de 50 km/heure soit respectée en temps normal, la vitesse moyenne se situant alors aux alentours des 70 km/heure en journée. Toutefois, pendant les semaines de lockdown, la vitesse moyenne est redescendue au maximum autorisé de 50 km/heure.” Idem pendant les week-ends…

Plusieurs explications possibles sont évoquées: les conducteurs seraient-ils plus relax? le stress du risque de retard professionnel (voire même pour une sortie privée) a-t-il disparu? Ou les habitués du franchissement de limites ont-ils déserté les rues de Bruxelles? Un peu de tout?

Autre constat (de pure logique) suite à l’allègement de la circulation: une augmentation de la vitesse moyenne de circulation approchant la vitesse maximale permise. L’amélioration par rapport aux conditions habituelles est plus que notoire. Le gain est ainsi de 12 km/heure dans le tunnel Trône aux heures de pointe, “preuve qu’une réduction même modeste du volume de circulation [- 21% en période de confinement] est suffisante pour autoriser un trafic fluide.” 

La petite reine est de sortie

Outre la circulation de véhicules motorisés, l’étude a également fait le point sur celle de vélos. Premier constat: une augmentation de l’usage de la petite reine depuis le début du confinement. Dans des créneaux horaires sensiblement différents des grandes marées habituelles. L’utilisation étant essentiellement récréative (l’activité physique, avec respect de la distanciation sociale, étant permise), les “pics” de circulation de ce type de deux roues se situent surtout l’après-midi, plus particulièrement en week-end.

Dans une zone spécifique (quai des Charbonnages, à Molenbeek-Saint-Jean), l’étude avait relevé, avant l’épisode Covid-19, un certain usage du vélo pour des trajets liés au travail, en matinée et en début de soirée. Un schéma qui a disparu avec la période de confinement. Signe sans doute que ces travailleurs pédaleurs ont eux aussi largement basculé vers le télétravail à partir de la mi-mars.

 

Méthodologie

L’étude s’est appuyée sur des données venant de Bruxelles Mobilité, collectées en 55 endroits de la capitale. Selon les tronçons surveillés, les données proviennent de l’analyse des images de caméras connectées et de systèmes de détection de véhicules à boucles inductives.
Pour établir une distinction entre circulation à finalité professionnelle et circulation récréative, le seul critère retenu fut celui des tranches horaires. “Nous sommes partis du principe que la proportion de trafic à finalité professionnelle est très élevée pendant les pics du matin et du soir. Toutefois, le lieu est également un critère important, dans la mesure où la petite ceinture, par exemple, a conservé un plus grand volume de circulation par comparaison aux zones résidentielles qui l’entourent. Cela peut vouloir indiquer que la circulation fonctionnelle, à Bruxelles, a moins diminué que la circulation récréative.”
Pour dissocier avec une bonne dose de probabilité le trafic “travail” du trafic “récréatif” ou “nécessaire” (emplettes…), les auteurs de l’étude se sont surtout basés sur une comparaison croisée entre les semaines “pré-Covid”, la semaine de Carnaval et les semaines “lockdown”.