Le revenue-based financing: une alternative sous-estimée et sous-utilisée

Hors-cadre
Par Carl-Alexandre Robyn (Valoro) · 31/05/2021

[Relire sur le même sujet du revenue-based financing, cet autre article du même auteur: “Imaginer un autre concept de crowdlending pour revigorer le financement des entreprises”]

 

Pour les start-ups, surtout pour celles ayant peu de patrimoine (et donc mal servies par les prêteurs et les investisseurs), c’est une technique de levée de fonds sans dilution et sans endettement. Elle est plus pratique que l’ouverture du capital-actions et moins contraignante que l’emprunt. 

La levée de fonds en contrats de royalties illustre bien le concept de revenue based finance (RBF). Dans ce cas de figure, la jeune entreprise propose aux investisseurs non pas de l’equity (des actions) mais un pourcentage sur les revenus financiers (chiffre d’affaires) en contrepartie des fonds apportés.

Avec cet outil flexible (les royalties sont fonction des ventes réalisées) et simple d’un point de vue administratif, les fondateurs gardent la main sur le capital de leur start-up évitant ainsi la frustration et la crainte de faire rentrer le renard dans le poulailler.

Le RBF est moins cher que la dilution mais plus cher que l’endettement. Mais il est surtout moins compliqué (ni garanties, ni formalités, ni pacte d’actionnaires, ni valorisation à calculer, ni préférences de liquidation à établir, ni sortie à négocier, ni plancher, ni plafond à prévoir pour les royalties) et très utilement flexible. 

Trésorerie ‘friendly’

Le remboursement de l’investisseur a moins d’impact sur la trésorerie de la start-up puisque les décaissements (royalties) sont conditionnés et proportionnels aux encaissements (revenus des ventes). Ce qui n’est pas le cas d’un emprunt où les intérêts sont fixes.

Augmenter ses fonds propres tout en conservant la maîtrise de son capital facilite la rentrée ultérieure, à un moment plus opportun, d’un investisseur et/ou l’obtention d’une subvention et/ou d’un crédit bancaire puisque la capacité d’emprunt reste intacte.

Ce mode de financement qui optimise les flux de trésorerie a beaucoup pour plaire également aux investisseurs. Bien conçu et bien utilisé, le financement par royalties est moins long et moins risqué que l’investissement en capital tout en étant suffisamment rentable.

L’outil de travail de l’investisseur (les fonds qu’il apporte) ne reste pas bloqué jusqu’à un évènement d’exit (cession, leverage buy out, introduction en bourse…) et il n’y a pas non plus de risque d’illiquidité comme dans le cas d’un investissement en equity (lorsqu’il n’y pas d’acheteurs pour les actions détenues par l’investisseur). 

Fractionner les remboursements

Les royalties reversées périodiquement (principe du remboursement fractionné) permettent à l’investisseur de récupérer progressivement (et parfois rapidement) son argent (tout en diminuant significativement le risque de perte totale dans la start-up) et de le réemployer ailleurs, dans d’autres projets rémunérateurs.

Une fois déterminé la pertinence, le potentiel et l’originalité de la stratégie commerciale, la start-up et ses investisseurs négocient ensemble la fréquence des versements des royalties, le pourcentage de ceux-ci et la durée du contrat de royalties, en fonction de son besoin financier, de son chiffre d’affaires prévisionnel, de sa marge opérationnelle brute.

Voici un tableau exemplatif de royalties en fonction du taux de croissance du chiffre d’affaires (1) :

An 1 An 2 An 3 An 4 An 5
Taux de croissance X 3 X 3 X 2 X 2
Chiffre d’affaires (€) 0,6 million 1,8 million 5,4 millions 10,8 millions 21,6 million
Royalties 2 % (€) 12.000 36.000 108.000 216.000 432.000

Dans cet exemple, 100.000 euros investis dans cette start-up SaaS engrangent cumulativement 804.000 euros en royalties sur 5 ans (+ 702%), soit un taux de rendement interne de 50% par an.

Si l’équipe fondatrice est à peu près sûre de pouvoir atteindre ce taux de croissance du chiffre d‘affaires (x3, x3, x2, x2), elle peut proposer à son investisseur des royalties plutôt que de l’equity. Par exemple, en contrepartie d’un apport de fonds, au lieu d’échanger 30% du capital de la start-up, elle pourrait lui proposer 15% en equity et un contrat de royalties (par exemple 2% du chiffre d’affaires). (2)

Si les fondateurs prévoient un taux de croissance plus faible, il leur faudra paramétrer le pourcentage de royalties à proposer (3-5%) et sur la durée du contrat (6-7 ans). Les royalties sont payables trimestriellement, semestriellement, ou annuellement, pendant quatre ou cinq ans ou sur une plus longue durée si on prévoit qu’il n’y aura pas de ventes lors des premiers trimestres.  

Pour les investisseurs, l’astuce consiste à créer un nouveau scoring de crédit, beaucoup moins axé sur les actifs de la société scrutée et davantage sur le potentiel des campagnes marketing de celle-ci, ce qui suppose de surtout se focaliser, dans le business plan, sur la pertinence de la stratégie commerciale et du plan de développement des ventes.

Ainsi, pour développer le scoring de ses “poulains”, l’investisseur (par exemple, une plate-forme de financement en royalties) agrège les données nécessaires en se connectant directement aux outils de marketing préférés des commerçants modernes: Google Analytics, Facebook Ads, Shopify et consorts.

Sans oublier leurs autres métriques fondamentales (customer acquisition cost, customer retention rate, customer lifetime value, etc.) et leurs comptes bancaires, qui permettent de voir en temps réel l’évolution de la trésorerie (les entrées et sorties de cash), le retour sur investissement publicitaire et les ventes quotidiennes.

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(1) Source : “L’art et la manière de solliciter des fonds privés pour ma start-up” – Carl-Alexandre Robyn – Edipro, 2021.

(2) Attention : il s’agit dans cet exemple de négociations avec des capitaux-risqueurs de type business angels et/ou sociétés ou fonds de capital-risque, non pas avec des plates-formes de financement en royalties (on n’en recense qu’une douzaine en Europe) qui, elles, se contentent d’une commission d’intermédiation (flat fee) de 6 à 9% en fonction de leur analyse du risque crédit.
Parmi les rares acteurs européens de la RBF (aucun belge): le britannique Uncapped, l’irlandais Wayflyer, l’espagnol Ritmo, les français Wedogood, Royalti, Aria, Silvr… Il y a de la place pour plein de nouveaux entrants, des expansions internationales, et des consolidations.

Carl-Alexandre Robyn
Ingénieur conseil et fondateur
Cabinet Valoro