Imaginer un autre concept de crowdlending pour revigorer le financement des entreprises

Tribune
Par Carl-Alexandre Robyn (Cabinet Valoro) · 06/05/2021

En guise d’alternative à la dette bancaire et au financement en equity, concevons une place de marché mettant en relation prêteurs et emprunteurs de fonds  qui  se positionne carrément dans le Capital as a Service (CaaS) pouvant offrir aux T/PME (petites et moyennes entreprises et micro-entreprises) emprunteuses un service de financement presque immédiat.

Cette plate-forme adoptera un modèle économique, très courant en Amérique du Nord (1) et peu utilisé en Europe: le Revenue Based Financing (RBF). Ce modèle est dans beaucoup de cas (2) plus performant que celui utilisé dans le crowdlending (prêts de particuliers aux entreprises) tel qu’il se pratique dans nos régions.

Une plate-forme labellisée, revendique les avantages et caractéristiques suivants: rapidité, transparence, souplesse, pas de dilution.

Rapidité

Réponse en 24 h, fonds disponibles en 72 h.

Ce genre de plate-forme d’Intelligence Artificielle (IA), recourant au machine learning (algorithme d’apprentissage incrémental qui se fonde sur des approches mathématiques et statistiques), ne remplacera pas les capitaux-risqueurs (dans un tel projet, les acteurs sont des particuliers prêteurs) mais bien les analystes de dossiers recrutés par une plate-forme classique d’intermédiation entre demandeurs et apporteurs de fonds.

Les offres de financement de la plate-forme sont calculées, en fonction des performances commerciales de la TPME emprunteuse (visiteurs uniques, chiffre d’affaires, panier moyen, ROAS-Return On Ad Spent, c’est-à-dire la mesure du retour sur investissement d’une dépense publicitaire de ses campagnes médias -, etc…) au travers de l’analyse en continu de ses KPI (“key performance indicators”) par un algorithme propriétaire.

Le financement est mis à disposition sur une carte bancaire virtuelle destinée aux dépenses en paid media de l’emprunteuse. Ce qui réduit drastiquement le risque de fraudes. Ensuite, il suffit à la TPME de la renseigner sur ses comptes publicitaires.

Transparence

Aucun frais caché, juste une commission de 6 à 9%, par exemple. Un processus d’analyse de marché plus juste grâce à l’IA et aux données commerciales directes.

Souplesse

Remboursements variables. Aucune garantie n’est demandée à la TPME emprunteuse et le remboursement se fait au prorata de ses ventes.

Le remboursement se fait au fur et à mesure des ventes de la TPME. Chaque mois, elle dédie un pourcentage fixe de son chiffre d’affaires jusqu’au remboursement du financement accordé, auquel on ajoute la commission de la plate-forme.

Ainsi, si le chiffre d’affaires baisse, le remboursement baisse aussi. Au contraire, si le chiffre d’affaires s’accroît, la TPME aura fini de rembourser plus tôt. Bref, un taux fixe avec un remboursement flexible.

Le pourcentage de remboursement est calculé pour que l’emprunteur puisse rembourser son financement en quelques mois (6, 12, 18, 24 mois). Ce pourcentage de remboursement est fixe pendant toute la durée de remboursement (par exemple, 5 % des ventes quotidiennes).

Le remboursement commence plusieurs semaines après la mise à disposition du financement. Ce décalage permet d’encaisser plusieurs semaines de chiffre d’affaires avant de commencer le remboursement.

Pas de dilution

L’emprunteur conserve 100% de son capital. Globalement, l’objectif de ce modèle est de financer le principal poste de dépense et le premier levier de croissance des entreprises: à savoir, l’acquisition de nouveaux clients.

Ce modèle d’intermédiation est bien plus rentable que les plates-formes classiques de crowdlending, puisqu’ici  75% de l’activité de distribution de financements aux entreprises est automatisée, via l’IA. Ce qui diminue drastiquement la masse salariale de la plate-forme.

L’IA évalue les indicateurs-clé des TPME emprunteuses: l’algorithme glane ses données au sein de leurs systèmes d’information. Il se connecte directement à leurs applications d’e-commerce, à leurs comptes publicitaires et places de marché associés, mais aussi à leurs services de paiement utilisés et à leurs briques de gestion comptable.

Il en déduit la performance des revenus, le retour sur les dépenses publicitaires et le coût d’acquisition client. 

L’objectif est, in fine, de décrypter la position de marché, la trajectoire du chiffre d’affaires, et jusqu’au potentiel de croissance comparé aux concurrents de la même verticale. A partir de cette analyse, l’algorithme fixe ensuite un montant limite de financement. 

Pour effectuer une évaluation, la plate-forme devra s’adosser à la fois à ses propres données d’investissement et à une compilation d’informations publiques sur les financements en prêts (ou en capital) réalisés dans son secteur d’activité (par exemple, le commerce en-ligne).

En mettant à jour son analyse chaque semaine, la plate-forme offrirait ainsi aux TPME emprunteuses la possibilité de visualiser où elles en sont par rapport à leur secteur. Elles ne navigueraient plus à l’aveugle.

La plate-forme joue un rôle de facilitateur et simplifie la procédure longue, fastidieuse et opaque des demandes traditionnelles de prêts. Dans ce business model, la plate-forme réalise directement des investissements sous forme de prêts. Prenons un exemple chiffré: la plate-forme prête 100.000 euros, puis “capte” 5% du chiffre d’affaires jusqu’à se rembourser en totalité en s’octroyant un taux fixe de 6%.

L’avantage est qu’il n’est pas nécessaire pour une TPME de faire valoir une courbe de croissance exponentielle comme dans le capital-risque classique pour trouver sa place sur la plate-forme. Une caractéristique qui permet à la marketplace de balayer large, de TPME réalisant 100.000 euros à plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.

Le pari de l’algorithme

Jusqu’ici, accéder à un financement privé passait par une approche manuelle d’un autre temps. Les algorithmes de classification et les techniques de machine learning permettent désormais de saisir le véritable coût du capital et d’éviter les dilutions excessives.

Pour faire participer l’épargne publique, la foule des particuliers-prêteurs est invitée à financer directement la plate-forme elle-même (et non plus les diverses TPME emprunteuses sélectionnées par celle-ci) en faisant ainsi un pari sur l’efficacité de son algorithme propriétaire.

Le particulier peut contribuer en equity (bons de souscription d’actions…), en prêt (obligations…), en financement mixte de la plate-forme (obligations convertibles…), avec l’avantage d’un placement relativement plus liquide que s’il prêtait directement à une petite entreprise en difficultés de trésorerie.

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(1) Les entreprises numériques utilisant le CaaS: Captec.io, clearbanc, Lighter Capital, Pipe, Wayflyer…

(2) Surtout lorsqu’il s’agit de cibler des capitaux dans le secteur numérique: en effet, le modèle est calibré avant tout pour les entreprises numériques engendrant un revenu mensuel récurrent, notamment celles actives dans le e-commerce.

Carl-Alexandre Robyn 

Ingénieur conseil et fondateur
Cabinet Valoro