Le Plan Digital Wallonia vu par les “DW Champions” (3): oser les futurs écosystèmes

Hors-cadre
Par · 26/09/2018

L’Université d’Eté des Digital Wallonia Champions avait été organisée en ateliers de réflexion parallèle. Un pour chaque axe du Plan. Autrement dit: économie du numérique ; économie par le numérique ; territoire numérique ; éducation et talents ; et services publics.

Les DW Champion(ne)s y ont fait diverses propositions – en matière de “spécialisation thématique” des filières et écosystèmes locaux, de rôle et besoin d’appui des acteurs publics, de degré de risque à prendre dans les choix d’investissements… Voici quelques idées ou propositions qu’ils ont eux-mêmes formulées ou appréciées dans la bouche d’un(e) de leurs homologues.

“Smart specialisation”

Certains des DW Champions présents avançaient l’idée d’identifier un ou plusieurs thèmes réellement porteurs de différenciation et de progrès (technologique et économique) pour la Wallonie. Des thématiques qui ne soient pas trop conventionnelles, inspirées du passé mais qui aient une réelle volonté de démarcation, tout en s’appuyant sur des paramètres et des ressources tangibles.

Olivier De Doncker (responsable de la branche francophone de la FeWeb) imagine, par exemple, que la Wallonie puisse s’inspirer, entre autres, de la Suède qui a permis à une pépite telle que Spotify d’éclore et de s’imposer à l’échelle internationale. “Il y a peut-être là un modèle à atteindre, en réalisant une bien meilleure intégration des différents secteurs de l’économie. L’idée est de se choisir une niche, d’essayer de mettre ensemble les compétences pour construire une entreprise de taille mondiale, mais sur une filière d’avenir.

Il faudrait en arriver à pouvoir dire “la Wallonie, elle fait ça” [lisez: elle est synonyme de telle ou telle thématique porteuse]. Pourquoi la grande distribution ne se trouve-t-elle par exemple pas à Bruxelles mais du côté de Roubaix? Parce qu’un écosystème s’est construit, avec les entreprises, avec Euratechnologies, avec des start-ups du secteur. C’est devenu la marque de fabrique du Nord de la France…”

Olivier Lefèvre (NRB, collectif Jules Lesmart), pour sa part, imagine que la Wallonie pourrait en appeler à toutes ses ressources (acteurs de la recherche, de l’enseignement, entrepreneurs, créatifs, start-ups…) pour initier des solutions visant la problématique du changement climatique. Et ce, u-delà du “green tech” au sens strict du terme, afin de se saisir des multiples dimensions que revêt ce sujet ô combien actuel, urgent et nécessaire.

Sans pointer, dès ce stade, un thème spécifique, Pierre Collin, directeur du cluster TWIST, lui aussi, préconise d’“identifier des marchés ou niches de marché porteuses d’un point de vue économique et numérique.”

“L’écosystème performant que vise à mettre en place le Plan Digital Wallonia doit être considéré comme une matrice composée, d’une part, de marchés et de niches de marchés et, d’autre part, des technologies numériques.

Ma proposition est de travailler en priorité sur l’identification de marchés ou de niches de marché porteuses d’un point de vue économique et numérique. Cette identification pourrait être menée au sein d’écosystèmes existants, tels que les business cluster ou les Pôles de Compétitivité, afin de s’appuyer sur des compétences existantes. Il ne s’agit donc pas de réinventer la roue mais de tirer profit de savoirs déjà installés sur le territoire. 

Pierre Collin (Cluster Twist): “Choisir 5 à 10 écosystèmes numériques porteurs pour la Wallonie (vision) et les développer avec la volonté de devenir leader mondial (ambition) constitueraient à mon sens le socle d’un redéploiement économique et numérique réussi.”

Dans un second temps, l’identification et le développement (R&D) des technologies s’organisera autour de l’écosystème choisi et prioritaire. Ces technologies à mettre en œuvre et/ou à développer (R&D) constitueront une force pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème.

L’objectif avoué est d’anticiper, d’ici 5 à 10 ans, le développement de marchés, ou niches de marché, évalués comme ayant un “return on investment” très important dans le futur et sur lesquels la Wallonie pourra se constituer une “smart specialisation” et gagner une reconnaissance internationale.

Cette anticipation est bien sûr fondamentale afin de permettre aux écosystèmes de se préparer, d’un point de vue économique et technologique, à affronter le marché désormais global.

Ceci signifie que les autorités publiques devront prendre un risque en choisissant entre cinq et dix écosystèmes à développer (en fonction des moyens et ressources à mettre en œuvre). Choisir c’est bien sûr renoncer.

L’avènement d’une industrie biotech en Wallonie n’a pas répondu à un autre raisonnement. La Wallonie a investi, voici 10 ans, dans son développement… et en retire aujourd’hui les fruits.

Eric Domb disait dans l’Echo du samedi 22 septembre ”La faible croissance wallonne est due à un manque d’ambition.”J’ajouterais humblement “et peut-être à un manque de vision”.

Choisir dès lors 5 à 10 écosystèmes numériques porteurs pour la Wallonie (vision) et les développer avec la volonté de devenir leader mondial (ambition) constitueraient à mon sens le socle d’un redéploiement économique et numérique réussi.”

Secteur public: s’unir davantage

Autre écho souvent entendu: le secteur public doit donner l’exemple. Pour convaincre entrepreneurs et population de la nécessité de “mettre le braquet”, de s’approprier davantage les potentiels du numérique, les responsables et mandataires doivent démontrer qu’ils ont eux-mêmes compris le message et qu’ils passent à l’action. Encore faut-il qu’ils en aient les moyens…

Cédric Tumelaire, échevin chargé des nouvelles technologies à Waterloo, estime que, dans ce domaine, les leviers sont loin d’avoir été huilés: “Il est indispensable que les élus locaux soient associés à la démarche de dynamisation de la Wallonie et de leur cité. L’Union des Villes et des Communes (UVCW) doit être le relais et l’acteur de cette dynamique. A ce jour, il y a encore trop peu de soutien envers les villes et communes. Seules quelques-unes sont réunies par l’AdN.

L’UVCW avait autrefois une Commission des Nouvelles Technologies qui fédérait les villes, communes et CPAS. Aujourd’hui, nous ne sommes plus assez fédérés autour de la dynamique Smart Cities. Chacun essaie de faire de son mieux, de façon très individuelle.”

Cédric Tumelaire (Waterloo): “Il est indispensable que les élus locaux soient associés à la démarche de dynamisation de la Wallonie et de leur cité.”

“Je trouve très positif que le numérique soit mis enfin en avant par la Région via l’AdN. Il faut juste ne pas oublier d’inclure tout le monde et ne laisser personne au bord du chemin. J’ai donc beaucoup d’espoir, mais le chemin est encore long pour avoir une dynamique naturelle des villes et communes. Peut-être que si nous avions un échevin Smart City dans chaque ville et commune cela changerait la donne? On peut en tout cas en faire le pari!”

A bas les lenteurs et la frilosité

Autre sentiment commun qui se dégage des commentaires recueillis auprès des “Champions” contactés: la nécessité d’accélérer, d’amplifier le mouvement de réflexion et d’activation du Plan. En évitant, de préférence, de penser petit et (trop) prudent.

David Guilmot, responsable informatique et “smart city enthousiast” à la Ville d’Ath: “La proposition qui est ressortie de notre groupe fut de permettre la mise en place rapide – dans les 5 ans – de connexions internet THD ou UHD (très haut débit et ultra haut débit) pour tous (entreprises, citoyens…) à moindres coûts.

Je pense que nous sommes réellement dans une période d’accélération en termes d’usage du numérique. Comment pourrait-on réussir cette “montée en vitesse” sans un réseau correct et accessible pour tout le monde?

Idéalement et sans tomber dans la surenchère, le leitmotiv des opérateurs téléphoniques (et de leurs partenaires) ne doit plus être “Ce niveau de connexion est suffisant avec la demande moyenne”. Il faut plutôt permettre l’émergence de nouveaux usages grâce à ce surplus de bande passante disponible. Tout comme l’open data est un vecteur de croissance, une bonne connectivité l’est tout autant.”

Pour sa part, Gilles Bazelaire (Dogstudio) estime qu’“il y a une nécessité de travailler davantage sur l’accélération des “pépites”, rapidement. En favorisant un positionnement plus rapide à l’étranger pour les entreprises digitales qui “performent” déjà à l’international.”

Céline Colas (Kodo Wallonie): “La volonté de partage et de mise en réseau ont été deux idées qui revenaient très souvent dans nos propositions, que ce soit par des propositions d’événements ou de lien entre organismes/institutions.”

D’une manière plus générale, un écueil subsiste, aux yeux d’Olivier De Doncker (FeWeb): “le numérique demeure traité comme une matière spécifique alors qu’il devrait être transversal et intégré comme tel dans tous les portefeuilles de compétences du gouvernement wallon.”

Autre souhait: mieux investir l’argent: “on peut éventuellement garder le principe des subsides [même s’il estime que ce n’est pas le meilleur angle d’attaque] mais il faudrait davantage de ciblage sectoriel et moins de saupoudrage à travers tout. Par exemple, en concentrant l’attention sur des interactions et collaborations entre opérateurs télécoms et start-ups, éventuellement par le biais d’un appel à projets assorti de subsides…”

Il aimerait par ailleurs que “certains tabous” soient davantage bousculés. Par exemple, pour oser l’évaluation des politiques publiques en termes d’investissements dans le numérique, dans l’incubation de start-ups. “Il faudrait mettre en relation l’argent investi et la richesse et les emplois créés. Mais ce serait là un véritable bouleversement culturel. Aujourd’hui, personne ne sait combien coûte réellement un parcours de recyclage, par exemple d’un ancien travailleur de Caterpillar pour l’amener vers un métier du numérique. On pourrait prendre deux ou trois parcours d’insertion, voir ce qui marche, combien ont retrouvé du travail via tel ou tel canal, après combien de temps…