La wish list collégiale des Pôles de Compétitivité au futur gouvernement

Hors-cadre
Par · 08/04/2019

A un peu moins de deux mois des élections, les six Pôles de Compétitivité wallons – Skywin, Greenwin, Mecatech, Biowin, Wagralim et Logistics in Wallonia – font cause commune pour adresser une déclaration collective au gouvernement wallon (présent et futur). Pas de “manifeste” mais plutôt un “mémorandum”.

Pas de gros pavé dans la marre, pas de revendications tonitruantes ou disruptives mais une liste de souhaits et d’attentes jugées essentielles pour défendre et pérenniser un “outil” qui, à leurs yeux, conserve toute son utilité stratégique pour l’économie locale.

Davantage de collaboration et de “trans-polarité”

L’évolution du marché, des modèles et contraintes économiques et industrielles, celle aussi – et parfois surtout – des technologies ont pour effet d’estomper les frontières entre secteurs et impliquent de plus en plus que les sociétés et leurs projets puissent relever de plusieurs Pôles.

Depuis leur création, voici une dizaine d’années, un point commun unissait d’ailleurs déjà les Pôles. A savoir, le jury (belgo-international) chargé d’évaluer les projets de recherche déposés par des consortiums de sociétés et centres de recherche. Au fil des ans, la proportion de projets potentiellement trans-Pôles s’est accrue. Ajoutez-y la recherche d’une plus grande efficacité, en ce compris budgétaire, et l’on en arrive à la conclusion tirée assez récemment que les Pôles auraient intérêt à rechercher davantage de “collégialité”.

Pôles de Compétitivité wallons: “une ambition et une vision d’avenir communes pour amplifier encore la croissance de nos secteurs respectifs, apporter une contribution à une transition vers une un développement plus soutenable et une transition des modes de production et de consommation, en s’inscrivant également dans les priorités européennes en matière de recherche”.

“Il faut investir là où il y a, pour la Wallonie, une réelle valeur ajoutée et de réelles compétences et il faut, pour cela, travailler ensemble”, déclare notamment Philippe Denoël, président de BioWin. “Des projets placés sous le signe de la multi-disciplinarité sont le garant de l’avenir, dans tous les domaines.”

Le numérique en guise de fil rouge (parmi d’autres)

Ce sera encore davantage le cas à l’avenir, notamment aux chapitres Transformation numérique des acteurs et des processus et Industrie 4.0.

SkyWin et MecaTech interviennent déjà de concert dans le champ de la défense ou des drones. Idem entre BioWin et MecaTech en matière de dispositifs médicaux “intelligents”.

Lorsque l’on jette un coup d’oeil sur les actions et domaines que chacun des six Pôles identifie comme étant prioritaires pour la période 2019-2024, on ne peut que remarquer la présence massive du numérique. Petit florilège…

– BioWin: “soutenir la croissance des secteurs des dispositifs médicaux et des data sciences par des efforts d’innovation collaborative permettant de hisser la Wallonie à un niveau d’excellence mondial”
– MecaTech: “développer l’activité manufacturière par l’intégration des technologies de l’industrie 4.0 et par la symbiose industrielle”
– SkyWin: “positionner les acteurs wallons à un niveau d’excellence mondial dans le secteur du new space” et “consolider les compétences technologiques dans le secteur des drones”
– Logistics in Wallonia: “soutenir la transition numérique et la transition environnementale des activités logistiques” et “renforcer le positionnement wallon dans l’e-commerce, générateur d’emplois de divers niveaux de qualification”
– GreenWin: “intégrer les technologies numériques dans la chimie, la construction et la gestion de l’environnement (industrie 4.0) pour accroître l’efficacité opérationnelle et générer de nouveaux modèles économiques”.

“La preuve est faite”

En choeur (c’était la première fois que les six Pôles unissent leurs voix dans une même démarche adressée aux autorités régionales), les Pôles de Compétitivité confirment leur volonté de poursuivre leur travail de dynamisation et de transformation de l’économie et de l’industrie wallonnes.

Résultats chiffrés de l’action des six Pôles de Compétitivité, entre 2007 et 2017

 

Au-delà des chiffres qui tendent à prouver l’efficacité de la méthode (taux de création d’emploi et de valeur ajoutée supérieurs parmi les sociétés membres des Pôles comparés à la moyenne de l’économie), les Pôles revendiquent en effet un effet de levier à divers niveaux: instillation d’un esprit de collaboration et d’échanges entre entreprises (même concurrentes, même d’envergure différente) ; contribution à la politique de “spécialisation intelligente” de la Wallonie, en alignement avec l’Europe ; meilleure identification des compétences-clé nécessaires à l’innovation technologique et des métiers ou secteurs d’avenir (et dès lors des adaptations nécessaires du côté des organismes de formation) ; ciblage et coordination des actions à l’international.

Ce que les 6 Pôles attendent du prochain gouvernement…

➨➨ Un cadre opérationnel, légal et financier stable, “garanti, pour les cellules opérationnelles, au-delà de la durée d’une législature”.
“Cela doit permettre à nos cellules opérationnelles de se concentrer pleinement sur leurs objectifs et non pas sur la recherche d’un financement public, au risque de devoir, chaque année, distribuer des préavis…”.
A noter à cet égard que cette sempiternelle attente de subside se répète encore cette année: “le cadre n’est toujours pas bouclé pour 2019”, regrettait Philippe Denoël (BioWin).

➨➨ Une accélération – du côté de l’administration – du processus de validation des projets, préalablement sélectionnés par le jury des Pôles: “le jury a déjà validé la pertinence du projet, l’existence d’un vrai business plan, mais le temps qui s’écoule entre le dépôt de l’idée et le démarrage du projet demeure beaucoup trop long”, souligne Philippe Denoël.
“De 12 à 18 mois, c’est trop long par rapport aux besoins ou à l’évolution des technologies. Avec de tels délais, la technologie, informatique notamment, est dépassée et la valeur ajoutée [du projet] a disparu…”
Les responsables des Pôles disent dès lors vouloir continuer à “travailler avec la DGO6 afin d’accélérer ce processus de revue, tout en continuant de garantir que l’évaluation s’effectue sur base de critères d’excellence scientifique.”
Plusieurs propositions ont été formulées. Notamment, procéder par octroi de petits montants, sans attendre le feu vert pour le budget total: “cela permet de commencer à financer le projet. S’il se déroule bien, on continue de le financer. Sinon, on arrête.”
Autre préconisation: “faire preuve de plus de flexibilité et d’agilité sur de petits projets, afin de pouvoir accélérer les proof of concept. Les Pôles et l’administration doivent travailler dans une relation de confiance.” Avec instauration d’un “juste équilibre entre flexibilité et contrôle a posteriori.”

Philippe Denoël (président de BioWin): “Une démarche recherche et innovation reste plus que jamais d’actualité face à la révolution en marche, induite par la révolution numérique, la recrudescence de la compétition internationale, le vieillissement de la population… La bonne décision à prendre est de tabler sur les forces qui existent au sein de la Région et les Pôles de Compétitivité sont l’une de ces forces.”

 

➨➨ Imaginer une politique d’incitants afin que les “locomotives” industrielles, source d’innovation et de projets, “restent en Wallonie et s’ancrent chez nous. Certains éléments ne sont pas délocalisables: les connaissances, la collaboration scientifique entre universités, PME et grandes entreprises. Une société aussi grande soit-elle ne peut déplacer le développement d’un produit ou d’un processus, dans la mesure où elle risque de perdre des années à rebâtir l’expertise nécessaire.”
Le champ des compétences et connaissances est un élément crucial pour la compétitivité et le potentiel d’innovation de la Région. A cet égard, les Pôles soulignent le rôle crucial qu’ils jouent ou peuvent jouer pour “aider les centres de formation ou encore les universités et Hautes Ecoles à détecter les métiers du futur et à développer de nouveaux types de compétences.”
A cet égard, Bernard Piette, directeur du Pôle Logistics in Wallonia, se réjouit de la décision qui avait été prise voici quelques années [à l’époque de Jean-Claude Marcourt] de relabelliser les centres de compétence du Forem avec l’obligation qui leur a alors été faite de déposer des plans stratégiques, “basés sur des domaines d’activité stratégiques, articulés selon les orientations définies pour les Pôles. Cela les a obligés à se projeter dans une réflexion stratégique et une démarche d’adaptation de leurs programmes de formation.”

De l’évaluation, oui, mais qui ait du sens

Dans leur manifeste adressé au futur gouvernement régional, les Pôles consacrent un chapitre à la nécessité de procéder à des évaluations “qualitatives et objectives” des activités déployées.

“Outre les indicateurs d’activité des Pôles, il importe de suivre de façon régulière l’évolution d’indicateurs économiques relatifs aux secteurs prioritaires afin de s’assurer que les activités des Pôles génèrent effectivement (sur le moyen terme) un impact positif à l’échelle régionale.”

Faut-il dès lors renforcer le monitoring, le recadrer? Et quels indicateurs choisir?

Lorsqu’il est arrivé au poste de ministre de l’économie et du numérique, Pierre-Yves Jeholet avait laissé entendre qu’il réviserait le dispositif des Pôles de Compétitivité, avec disparition possible d’un des six Pôles et instauration d’un système de monitoring/évaluation.

Après concertation avec les acteurs concernés, le Ministre a quelque peu revu sa copie. Les Pôles de Compétitivité demeurent au nombre de six (et rien n’indique que cela change à l’avenir) et l’évaluation systématique à laquelle le ministre aurait voulu lier un système de variabilité budgétaire accordée aux cellules opérationnelles des Pôles n’a pas été mis en oeuvre.

“Variabiliser le budget d’un Pôle en fonction notamment du nombre de membres adhérents ou de projets initiés n’avait aucun sens”, déclare Yves Jongen, président du Pôle MecaTech. “Cela allait à l’encontre de la stabilité qui est nécessaire pour pouvoir staffer les cellules opérationnelles de manière stable.”

“La création d’emplois [issus des activités, du lancement de projets…] n’est pas forcément une mesure adéquate. Il ne faut pas mesurer le nombre de projets mais leur qualité.”

Quels indicateurs mettre en oeuvre? Les Pôles préconisent une évaluation de la valeur créée qui aille au-delà d’indicateurs trop étriqués ou non pertinents. “La création d’emplois [générés par les activités, le lancement de projets…] n’est pas forcément une mesure adéquate. Il ne faut pas mesurer le nombre de projets mais leur qualité. Par exemple au travers d’indicateurs tels que le nombre de publications scientifiques auquel un projet de recherche et innovation a donné lieu, l’impact que ces publications ont eu sur le public, le nombre de brevets déposés, la différenciation concurrentielle qu’il a conféré à une société…”

“Il ne faut pas plus de surveillance”, ajoute Philippe Denoël, “mais il faut par contre une concertation sur les mesures et les facteurs d’impact économique. Il faut d’autres indicateurs que le seul taux d’emploi, par exemple. Des indicateurs qui reflètent d’autres aspects: R&I, internationalisation, talents… Il faut un vrai tableau de bord sur lequel tout le monde s’entend.”

Il pointe aussi l’écueil que constituerait une évaluation trop court-termiste et trop fréquente: “Il ne faut pas nous demander des chiffres tous les trois ou six mois. On sait par exemple qu’un projet d’innovation dans le secteur pharmaceutique ne permet de dégager une piste de valeur qu’après plusieurs années. Par contre, un projet de logiciel innovant dans le domaine de la réalité virtuelle peut faire l’objet d’un reporting plus direct…”

“Plus forts ensemble”

A l’avenir, les Pôles disent vouloir déployer davantage d’initiatives communes et mettre certaines de leurs ressources respectives dans un pot collégial.

Il devrait par exemple y avoir une “optimisation des moyens” entre les différentes cellules opérationnelles, essentiellement via la mise en commun des services de support ou un partage de méthodologie et de préparation des appels à projets R&I européens. A noter qu’un regroupement purement physique de ces cellules est envisagé, à la faveur du déménagement du siège de l’UWE de Wavre vers Louvain-la-Neuve, qui serait l’occasion de prévoir un espace conjoint à occuper par les six Pôles.

André Petitjean (GreenWin): “Pôle de Compétitivité est notre nom. MecaTech, Wagralim, BioWin… sont nos prénoms. Il y a davantage de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent.”

L’union des ressources préconisée pour la gestion du processus de candidature aux financements européens de projets de recherche et innovation “permettrait d’être plus efficace et de gagner du temps, en ce compris au profit des entreprises participantes”. Chaque Pôle continuera bien entendu d’intervenir dans les domaines où il a, de par sa spécialité, développé une expertise spécifique.

Exemple typique d’échange de “bons procédés”? Un projet d’innovation dans le domaine des dispositifs médicaux connectés (ou “intelligents”) peut en appeler aux compétences de deux Pôles: BioWin pour les aspects légaux des dispositions concurrentielles dans le secteur de la santé, MecaTech pour les compétences nécessaires pour l’innovation de production additive de micropièces…