La Belgique, à la traîne dans l’e-commerce? Un diagnostic contrasté

Hors-cadre
Par Françoise Gilain · 14/10/2022

Une récente étude du Conseil Central de l’Economie le montre: la Belgique compte plutôt parmi les bons élèves de la classe européenne en matière de commerce électronique au sens large. 

En 2021, 30% des PME belges (de moins de 250 employés) se sont montrées actives dans l’e-commerce en vendant des produits en-ligne. C’est mieux que la moyenne européenne située à 18%.

Les PME belges ont réalisé en moyenne 15 % de leur chiffre d’affaires via l’e-commerce, soit légèrement plus que la moyenne de l’Union européenne fixée à 1%.

Ces chiffres sont encourageants mais… il faut y apporter de sérieuses nuances. 

Là où la Belgique performe bien, c’est dans le commerce électronique d’entreprise à entreprise, le business to business (B2B). Notre pays a joué un rôle de pionnier dans ce secteur, dans les années ´70, en développant des transactions inter-entreprises grâce à l’EDI.

Le B2C toujours à la traîne

En revanche, là où nos entreprises se sont montrées trop lentes au démarrage, dans les années ´90, c’est dans l’e-commerce destiné aux particuliers, le business to consumer (B2C). Aujourd’hui, la Belgique est clairement à la traîne dans ce segment, les chiffres parlent d’eux-mêmes. 

En 2020, le chiffre d’affaires des entreprises belges en e-commerce B2C comptait pour 1,96% du PIB  et représentait 763,76 euros par habitant. Petite comparaison avec les chiffres d’autres pays:
– Allemagne: 3,08% du PIB et 1.124 euros/habitant
– Pays-Bas: 3,45% et 1.526 euros/habitant
– France: 4,79% et 1.667 euros/habitant
– Royaume-Uni: 9,92% et 3.519 euros/habitant. 

Il n’y a pas de quoi pavoiser !

Plusieurs raisons expliquent cette mauvaise performance de nos entreprises dans l’e-commerce B2C: petit marché où il est difficile d’atteindre une taille suffisante, pays linguistiquement fragmenté, population relativement moins portée sur le numérique, recours à des entreprises étrangères pour les achats en-ligne…

Relire notre article sur quelques réussites de commerçants locaux dans l’e-commerce.

Mais là aussi, il convient de nuancer le tableau. Le ministre David Clarinval, en charge des Classes Moyennes, des Indépendants et des PME, le rappelait lors de l’eForum: le retard est beaucoup plus accentué en Wallonie qu’en Flandre. Selon les chiffres de BeCommerce, la Belgique compte aujourd’hui 48.000 webshops, dont 71% sont localisés en Flandre. Un cinquième des webshops du pays se concentrent dans la seule province d’Anvers. 

Il y a donc un gros travail à faire pour rattraper le retard. “Je mesure parfaitement les conditions de concurrence féroce auxquelles nos PME sont confrontées et je m’attacherai à rendre le contexte économique et social le plus équilibré possible”, a-t-il déclaré. “Je pense aux enjeux de flexibilisation des horaires de travail, aux enjeux logistiques et à la nécessité d’assurer un level playing field entre les acteurs de l’e-commerce, notamment via la lutte contre le dumping social afin de garantir une concurrence loyale entre eux.” 

L’e-commerce à un moment de bascule? 

Le commerce électronique existe depuis 25 ans. Il a vu émerger de grands acteurs, comme Amazon, eBay, Alibaba. En Europe des Zalando, des Bol.com ou des Cool Blue ne doivent pas faire oublier que les ventes en-ligne à destination des consommateurs restent insuffisamment développées, notamment en Belgique. 

Mais des changements majeurs se profilent, du simple fait de l’extension de la téléphonie mobile qui s’impose comme un outil d’achat et de paiement de plus en plus efficace.

Pour Henri Isaac, professeur en sciences de gestion à l’université de Paris Dauphine, la croissance de l’e-commerce n’en est qu’à ses débuts. 

“On est à un moment de bascule”, fait-il observer,. “Près de 80% de la population possède aujourd’hui un smartphone. Des générations arrivent pour lesquelles commander des produits sur mobile est une chose naturelle, alors que ce ne l’était pas il y a 25 ans, quand on a inventé le B2C. Les ventes par  Internet vont se multiplier, les nouveaux consommateurs ne sont plus les mêmes. Is n’ont pas peur du Web. D’autres catégories de produits, qui sont encore marginales sur les webshops aujourd’hui vont trouver leur place. D’autres techniques vont se répandre. La réalité augmentée, par exemple, va permettre d’essayer des vêtements à distance, cela facilitera le commerce d’habillement en-ligne. L’e-commerce va certainement continuer à croître !”

Mais les grands acteurs mondiaux comme Amazon ne vont-ils pas rafler la mise? Henri Isaac ne le pense pas. 

“Quand les grands catalogues s’agglomèrent, il y a toujours de la place pour de petits catalogues spécialisés. Les grands acteurs ne sont pas les ennemis des petits commerçants, il ne couvrent pas le champ de la proximité. Plus l’offre augmente dans les références de produits de ces grands acteurs, plus il est difficile de s’y retrouver et plus il y a place pour des acteurs de niche, spécialistes d’un type de produit spécifique.” 

Henri Isaac fait tout de même remarquer qu’il y a des limites logistiques et environnementales au modèle de croissance des ventes Internet. 

Les acheminements de colis sont source de CO2, les livraisons sources d’encombrement dans les villes. Des réglementations vont certainement émerger pour contraindre les vendeurs en-ligne à trouver des solutions moins nuisibles pour les populations urbaines. Surtout en regard de la démographie et du vieillissement de nos sociétés. De nouveaux modèles devront être trouvés. Autant de défis à relever pour ceux qui veulent se lancer ou développer une entreprise dans l’e-commerce.