Comment booster son e-commerce? Des commerçants locaux témoignent

Pratique
Par Françoise Gilain · 12/10/2022

L’édition récente de l’eForum, conférence dédiée à l’e-commerce local, organisée par la société de consultance Retis, s’était résolument centrée sur une problématique, plus particulièrement cruciale pour les entrepreneurs du sud du pays. A savoir “Les bonnes pratiques pour booster son e-commerce”. 

Le commerce électronique, on le sait, a connu un sacré coup d’accélérateur lors de la crise sanitaire. Le grand public s’est massivement tourné vers les sites de vente en-ligne et les entreprises ont dû s’adapter à une forte augmentation de la demande. 

Deux ans plus tard, on constate un ralentissement de la vente en-ligne, dans certains secteurs en tout cas, parce qu’une partie des consommateurs a repris ses habitudes d’achat dans les commerces physiques.

Les acteurs de l’e-commerce doivent donc trouver des stratégies pour garder un volume de commandes satisfaisant. Aujourd’hui on est loin du compte, estime Damien Jacob, l’administrateur-délégué de Retis: “80% des sociétés en-ligne n’arrivent pas à dépasser les cent mille euros de chiffre d’affaire annuel. Il y a beaucoup d’abandons dans le secteur, il ne faut pas enjoliver le tableau mais dresser un constat objectif”.

Nous reviendrons dans un prochain article sur les chiffres du marché belge de l’e-commerce.

Des chiffres interpellants

Si le nombre de boutiques en-ligne augmente d’année en année, chez nous comme dans les pays voisins, c’est seulement une fraction d’entre elles qui se taillent la part du lion dans le chiffre d’affaires du commerce électronique belge: 83% du volume des ventes est en effet réalisé par seulement 3% des webshops.

C’est dire si la question de la croissance est cruciale dans le commerce électronique où seules les entreprises qui atteignent une taille critique assurent leur avenir.

Les ministres David Clarinval et Pierre Yves Dermagne ont chargé le SPF Economie de cerner où en sont les entreprises belges dans leur transformation numérique afin de mieux les aider à se lancer /à se développer dans l’e-commerce. La société de consultance Retis a mené l’enquête. Avec des résultats tout en contrastes. 

 

Alors qu’elles représentent 85,9% des entreprises belges actives dans l’e-commerce B2C, les micro-entreprises ne génèrent que 4,6% des revenus liés aux ventes en-ligne.

 

En comparaison avec les pays voisins, beaucoup de petites entreprises osent, chez nous, faire le pas de la digitalisation et démarrer un commerce en-ligne, mais la plupart n’arrivent pas à générer un chiffre d’affaires significatif via ce canal de vente. C’est bien simple: alors qu’elles représentent 85,9% des entreprises belges actives dans l’e-commerce B2C, les micro-entreprises ne génèrent que 4,6% des revenus liés aux ventes en-ligne. En Wallonie, en particulier, en dépit des opportunités de marché, les projets lancés manquent de rentabilité et de longévité.

Des réussites mais pas de recette miracle

Parmi les entreprises wallonnes qui ont réussi à trouver leur place et leur rentabilité dans l’univers des ventes électroniques, la société Easy Clothes fait figure d’exemple.

Créée par Martin Duchesne et son épouse en 2014, elle a démarré par la vente de vêtements de femmes via Instagram et Facebook.

Une démarche qui est loin d’être courante à l’époque mais qui a su trouver sa clientèle grâce au bouche-à-oreille. Au début, le chiffre d’affaires est modeste: moins de 10.000 euros par mois. Mais les ventes progressent. Le couple fait rapidement appel à une société de développement pour lancer son propre site de vente sur Internet.

Il opte pour une plate-forme adaptable à ses besoins, évite de dépenser de l’argent dans du marketing en misant plutôt sur une newsletter pour améliorer son référencement naturel.

La stratégie s’avère payante, les ventes continuent de grimper. Et un an plus tard, en 2016, les fondateurs d’Easy Clothes ouvrent un magasin à leur enseigne à Liège, en partageant l’espace – et le risque – avec un vendeur de chaussures. Pourquoi? Pour “rassurer la clientèle”, dit Martin Duchesne, “Pour permettre à nos clientes de venir essayer en magasin les vêtements choisis  sur Internet. Mais clairement, c’est le magasin physique qui vient en appui du site d’e-commerce et non l’inverse.”  

Ce saut dans le commerce physique s’avère plutôt concluant si l’on en juge par la suite de l’aventure: un deuxième magasin ouvert à Louvain-La-Neuve, un an plus tard, et une entrée sur le marché français avec une tournée de ventes (via des magasins éphémères) dans six villes de l’hexagone. 

La société belge Easy Clothes emploie aujourd’hui 45 personnes. Elle enregistre plus de 300.000 transactions par an. Avec un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros en 2021, les ventes en-ligne restant un moteur de son activité commerciale puisqu’elles représentent 98% des achats, contre 2% seulement en magasin. 

Easy Clothes a également ouvert une société aux Etats-Unis pour servir la clientèle américaine. L’entreprise n’a manifestement pas fini de grandir ! 

 

Martin Dechesne (Easy Clothes): “Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, ne pas privilégier un réseau social au détriment des autres. Et surtout: rester à l’affût des attentes de la clientèle”.

 

La recette de son succès? “Il n’y a pas de théorie unique”, estime Martin Duchesne. Il faut d’abord avoir un bon produit, assurer un bon service clientèle et une logistique irréprochable. De quoi faire revenir les clients, parce que c’est ça l’objectif !”

Le jeune chef d’entreprise conseille de démarrer avec le moins de frais possible, sur une plate-forme standard, en connaissant bien ses besoins. “Faire du sur-mesure coûte très cher”, dit-il. “Il vaut mieux se contenter d’une plate-forme de vente simple et efficace au départ, en s’adaptant à sa manière de fonctionner (sur la problématique des retours, par exemple) plutôt que de choisir une solution dédiée à son cas particulier.” 

Autre conseil: ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, ne pas privilégier un réseau social au détriment des autres. Et surtout: rester à l’affût des attentes de la clientèle . Car les comportements d’achat changent très vite. “Il faut être très réactif dans l’e-commerce”, dit-il. “Beaucoup plus que dans le commerce physique où les changements prennent plus de temps à se matérialiser. Il faut suivre les tendances du marché, le monde  évolue tellement vite ! Vous ne devez jamais croire que vous êtes au top, car tout peut basculer du jour au lendemain.”

Une leçon de modestie qui doit inciter les jeunes entrepreneurs à la vigilance. 

Les bonnes pratiques à la rescousse

Un autre acteur wallon mis en évidence par l’eForum pour avoir trouvé sa place dans l’univers du commerce électronique est le groupe NoéNature, basé à Baillonville en province de Namur. 

Il est né en 2011 de la volonté d’une série de parents de trouver des produits pour bébé plus respectueux de l’environnement. Anne Mortier était du nombre. Elle a racheté Sebio, une boutique en-ligne destinée à la maternité et la petite enfance. Elle l’a transformé en un webshop spécialisé dans la vente de produits bio, écologiques et naturels. Avec succès. Aujourd’hui, l’enseigne compte plusieurs milliers de références. Elle séduit des consommateurs en Belgique, en France, au Luxembourg, en Allemagne et aux Pays-Bas. 

Mais l’équipe d’Anne Mortier ne s’est pas arrêtée là. Bien décidée à grandir dans sa zone de compétence, elle a racheté en 2016 une autre boutique tournée vers la petite enfance: Petitzèbre. Ce webshop avait été créé en Flandre et c’est en Flandre qu’il est toujours basé, sous la houlette du groupe Noé Nature. Il offre une belle complémentarité de produits (des accessoires, de la décoration, des jeux pour enfants) dans une même philosophie de consommation plus durable.

Enfin, une troisième branche d’activité commerciale s’est greffée à l’édifice avec le rachat de TeaTower,  spécialisé dans la vente de thés élaborés sur des recettes locales ( comme le thé à la fraise de Wépion par exemple). Ces thés sont vendus en-ligne, mais également dans 2 magasins dédiés à Namur et à Liège, ainsi que dans la grande distribution. 

Sans oublier la production, depuis 2017, d’une série de produits bio et éthiques, comme des couches pour enfants ou des lingettes, sous la marque Bebio. 

Le tout donne un groupe fort de 50 personnes, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 15 millions euros, réalisé à 70% en-ligne. Noé Nature gère lui-même toute sa logistique. Il a construit à Bayonville (dans le département français des Ardennes) un nouvel entrepôt de 3.000 m2 pour ce faire. Et il a d’autres ambitions encore pour l’avenir, convaincu que les achats ou rapprochements d’entreprise permettent de grandir. 

 

François Xavier Bellot (Noé Nature): “Il faut rester très agile: le business électronique évolue très rapidement, il faut être prêt à réagir à la hausse comme à la baisse de la demande.”

 

L’administrateur-délégué du groupe, François Xavier Bellot, pense qu’à défaut de recette unique pour réussir dans l’e-commerce, il existe de bonnes pratiques à mettre en œuvre pour pérenniser son activité. “Il faut bien analyser son marché”, déclare-t-il. “Il faut maîtriser ses produits et connaître ses clients. Il s’agit également de trouver des facteurs différenciant dans l’offre de produits pour ne pas être attaqué frontalement par la concurrence. Il ne faut pas avoir peur d’oser ! On essaie et on progresse par essais et erreurs. Il faut rester très agile: le business électronique évolue très rapidement, il faut être prêt à réagir à la hausse comme à la baisse de la demande.” 

Source: Digital Wallonia.

Un magasin physique constitue souvent un bon complément de la vente en-ligne, selon lui, car il permet de relancer la clientèle quand le commerce électronique stagne et inversement. On l’a vu au moment du confinement lié à la crise du Covid. 

Et attention au système des algorithmes de Google, Noé Nature a compris à ses dépens combien le moteur de recherche est puissant. “Nous avons perdu, du jour au lendemain,  50% de notre trafic sur l’une de nos plus grandes plates-formes, parce que notre site n’était pas optimal par rapport aux standards de Google en matière de vitesse de téléchargement des pages, de nombres d’erreurs sur le site, etc… Nous sommes soumis aux algorithmes de Google, c’est une réalité dont nous ne pouvons pas nous affranchir.” 

Le marché de l’e-commerce est en pleine consolidation. François Xavier Bellot est convaincu que des regroupements permettent d’augmenter le trafic et donc d’accroître la rentabilité. C’est d’autant plus nécessaire que les coûts fixes sont élevés. Des partenariats devraient permettre de les alléger. “Tout seul, on va plus vite, mais ensemble on va plus loin”. Pourquoi ne pas allier les forces dans la logistique par exemple? Autant de pistes de travail pour renforcer l’écosystème wallon de l’e-commerce. 

L’e-commerce peut doper les secteurs traditionnels

A côté des jeunes entreprises nées du commerce électronique, il existe aussi (heureusement) des sociétés traditionnelles qui trouvent sur le Web un deuxième canal de vente pour renforcer leurs résultats. C’est le cas par exemple de Kewlox. 

Entreprise créée au début des années ´60 par la famille Leclerc, elle s’est rendue célèbre par ses meubles de rangement personnalisables, composés de panneaux qu’on assemble au gré des besoins. Ce mobilier, entièrement fabriqué en Wallonie, à Eghezée, est durable et réparable. Il est devenu un classique du design belge. 

En 2011, un des revendeurs de l’entreprise s’est lancé dans la vente électronique, et la famille Leclerc a soigneusement préservé son webshop quand elle s’est rendue maître de tout le réseau de vente quelques années plus tard. Depuis, elle a développé l’outil qui est devenu le complément indispensable de ses quatre magasins: il assure à lui seul 50% des ventes de la société. 

Kewlox réalise aujourd’hui un chiffre d’affaire de 3 à 4 millions d’euros par an et emploie une trentaine de personnes. 

 

Geneviève Leclerc (Kewlox): “Le webshop n’est pas la formule magique pour attirer les clients. Nous avons reconstruit notre image et notre marque, nous avons revu notre service, c’est tout l’ensemble qui renvoie au site Internet.”

 

“Le Web a contribué à dépoussiérer l’image de notre société”, reconnaît l’administratrice-déléguée Geneviève Leclerc. “Nous avions 70 ans d’existence, nous devions renverser la tendance pour séduire les consommateurs d’aujourd’hui. La crise du Covid nous a donné un coup de pouce, notre site Internet est devenu notre meilleure vitrine.”

Les vendeurs de Kewlox ont été dûment formés pour servir la clientèle tant via le Web qu’en commerce physique. Ce qui s’achète en-ligne peut s’enlever en magasin, les deux canaux de vente se renforcent mutuellement. “Nous avons repensé toute notre communication”, ajoute Geneviève Leclerc. “Le webshop n’est pas la formule magique pour attirer les clients. Nous avons reconstruit notre image et notre marque, nous avons revu notre service, c’est tout l’ensemble qui renvoie au site Internet.”

Un site qui existe depuis cinq ans dans sa forme actuelle et qui est entrain d’être relifté. Parce que cinq ans, c’est une éternité sur Internet, même les entreprises traditionnelles le savent !