Internet pour tous ou Internet par tous?

Hors-cadre
Par · 04/03/2014

Il y a ceux qui parlent tuyaux et qui rêvent de monétisation planétaire, en se donnant parfois des apparences de Robins de la Toile (allusion à l’initiative Internet.org impulsée par Marc Zuckerberg). Et il y a ceux qui, sur le terrain, bataillent pour concrétiser l’“inclusion numérique” – nouvelle formule politico-correcte pour désigner la lutte contre la fracture des savoirs et des ressources numériques.

Le droit de chacun à bénéficier d’outils de communications et d’information n’est pas à remettre en doute, bien évidemment. Mais le fait est que les infrastructures ne suffisent pas et qu’un “service minimal Internet” qui prendrait d’abord des allures de réseau social pour tous a un petit côté surréaliste.

On a aujourd’hui une dérangeante impression de déjà vu, mais à la puissance Toile. Rappelez-vous cette idée de Jean-Jacques Servan-Schreiber de faire faire un bond quantique à l’Afrique en permettant aux agriculteurs de profiter de la radio sur leurs tracteurs. 40 ans plus tard, les houes et les outils dérisoires ont-ils évolué?

N’avez-vous jamais été frappés par ces images vues ou croisées dans des lieux touristico-exotiques où l’on voit briller un écran de télévision dans des cases et abris de fortune qui ne disposent ni de l’eau courante ni d’un minimum de commodités?

L’Internet pour tous. D’accord. Mais quand cet Internet pour tous est mis au service d’une stratégie du clic et de la masse que l’on peut monétiser auprès d’annonceurs, de partenaires commerciaux et de boursicoteurs, cet Internet-pour-tous-là, on peut s’en passer.

Si c’est – certes – une bonne chose que les moyens de communications soient accessibles à tous, parce qu’ils évitent aux plus démunis d’être irrémédiablement, désespérément, isolés, relégués en parias, confinés dans leurs trous à rats, cette démocratisation du média est largement insuffisante. Elle passe à côté du véritable besoin. A savoir, donner à chaque personne la maîtrise de sa vie, la compréhension de ce qu’on lui “offre”. Comme le soulignent depuis quelques années déjà divers travaux [notamment à la base du plan “e-inclusion Horizon 2020” dont nous vous parlons cette semaine], le véritable enjeu et le vrai défi sont ceux d’une “digital literacy” qui jette les bases d’un usage “sûr et critique” du numérique.

Imaginez-vous avoir accès aux encyclopédies scientifiques et aux plus belles bibliothèques du monde sans avoir appris à lire ou sans pouvoir décoder la teneur de ce qu’on vous met à disposition?

Imaginez-vous recevoir un jour en cadeau une voiture de sport sans être le moins du monde au courant des règles de conduite, du fait que ce joujou peut tuer, déraper, polluer, consommer à tire-larigot et vous appauvrir? Qu’il vous faudra vous mêler, interagir avec des centaines de milliers d’autres heureux propriétaires et autant d’agents opérant tant masqués qu’à visage découvert et dont vous ignorez les intentions, le rôle?

Fournir à tous des outils de surf est une chose. La véritable inclusion numérique réside dans la compréhension de ce qu’ils impliquent – pour nos comportements, nos relations avec autrui, notre position vis-à-vis de ceux qui les mettent à disposition et les peuplent de ressources mais aussi de gadgets, de tentations, de pièges et de potentiels en constante métamorphose.

Cette inclusion-là ne peut être offerte par des opérateurs télécoms, des Rois de la Toile voire même par les pouvoirs publics (même s’ils ont un rôle à jouer pour impulser le mouvement). Cette inclusion-là ne peut venir que de la communauté, de chacun de nous. En partageant les connaissances, en donnant de son temps, en mutualisant les compétences et le bon-vouloir.

C’est tout l’enjeu de l’avenir de l’école, des EPN, de la formation continue, de l’activation des sans-emplois, de la lutte contre la précarité – sociale, culturelle, numérique…