“Innovators under 35”: belle carte de visite ou plus? D’anciens lauréats témoignent

Hors-cadre
Par · 30/05/2016

Alors que la deuxième édition belge du concours Innovators under 35 vient de livrer son verdict, nous nous sommes demandés quel bilan deux précédents lauréats – Sébastien Deletaille (Real Impact Analysis) et Thibault Helleputte (DNAlytics) – ont tiré de cette expérience. En quoi cela a-t-il changé leur quotidien, ouvert des portes, permis de nouvelles rencontres, ont-ils pu le “monétiser”? Ou n’est qu’un coup de projecteur passager, une ligne de plus sur le CV sans grand intérêt?

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Le profil, les activités et aussi le caractère de chacun d’eux a évidemment influencé la manière dont ils ont exploité leur statut.

Pour Sébastien Deletaille, le concours a surtout un impact majeur sur la notoriété des lauréats qui deviennent soudain des personnes à inviter pour venir faire des présentations lors d’événements et conférences internationales. “Cela a pour effet d’amplifier les thèses et messages qu’on veut faire passer. Je me suis ainsi retrouvé aux côtés de Dominique Leroy de Proximus lors d’un événement Agoria sur la transformation numérique, ou d’Alexander De Croo au European Business Summit.”

Thibault Helleputte: “Etre lauréat du concours Innovators under 35 est clairement une expérience positive mais c’est surtout un apport utile en termes de réseautage et d’image.”

Il estime que cette visibilité nouvelle a sans doute était à l’origine du fait qu’il ait été présenté officiellement par le Roi Philippe comme exemple d’entrepreneur belge à Jack Ma, patron du groupe Alibaba, dans la perspective de l’implantation d’un bureau à Bruxelles (en plus du siège Benelux qui sera installé à Amsterdam).

“Nous sommes davantage sollicités par les décideurs politiques, tant au niveau belge qu’européen.” Du moins, ceux parmi les lauréats qui acceptent de jouer le jeu ou y trouvent de l’intérêt.

L’impact commercial du concours est moins évident, estime Sébastien Deletaille. “C’est essentiellement un prix honorifique qui récompense l’innovation. Mais il est vrai que les conférences et réunions sont l’occasion de parler à des responsables de grands groupes. Notre statut de lauréat contribue sans doute à ce qu’ils envisagent de travailler avec nous…”

Thibault Helleputte retient également la visibilité nouvelle que l’étiquette “Innovator” lui a fourni. “Le nom MIT a toujours bonne presse. C’est donc une belle affiche quand on rencontre des prospects ou partenaires potentiels.” Mais il ajoute d’emblée: “ce n’est pas quelque chose qui révolutionne notre quotidien. C’est clairement une expérience positive mais il ne faut pas lui donner trop d’importance. C’est surtout un apport utile en termes de réseautage et d’image.”

Gestion proactive de la communauté

Sébastien Deletaille: “je place systématiquement le networking organisé par Opinno [relais européen du MIT Technology Review] parmi mes priorités.”Les organisateurs du concours animent la communauté des lauréats, continent par continent. Leur antenne européenne, Opinno, basée en Espagne, organise par exemple des conférences régulièrement et invitent, selon les thèmes, les lauréats ayant des compétences ou pôles d’intérêt correspondants afin de les présenter à des personnes qui comptent.

“Opinno joue les connecteurs. Les réunions qu’ils organisent pour tous les participants européens sont du networking que je place systématiquement parmi mes priorités”, indique Sébastien Deletaille.

A l’automne dernier, un événement réunissant les lauréats européens avait par exemple été organisé au Parlement européen. Groupes de travail thématiques (vieillissement de la population santé, enseignement…) et séance plénière ont permis aux lauréats d’émettre des avis et de formuler des recommandations aux parlementaires européens.

En dehors des événements officiels, les lauréats du concours peuvent en outre rester spontanément en contact, notamment via des groupes Whatsapp ou Facebook (groupe privé) spécialement créés pour eux.

Sauver le monde, dit-on outre-Atlantique

Les éditions du concours Innovators under 35 qui concernent des pays européens (voir encadré ci-dessous) n’échappent pas à l’idée que les starters ont pour “mission” de “changer le monde”, de marquer la société de leur empreinte, de bousculer les lignes. Même si les organisateurs évitent d’utiliser l’expression “changer le monde” – qui frise trop la rodomontade -, ils parlent par contre d’“impact majeur sur la société”. Preuve en est les critères de sélection que suivent les organisateurs du concours (voir encadré en fin d’article: “Les qualités recherchées”).

Le concours est aujourd’hui organisé dans quelque 35 pays, dont 6 en Europe: France, Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pologne.`D’autres viendront s’y ajouter d’ici un an. Notamment le Portugal. Et, aux portes de l’Europe, Israël et la Turquie. Les organisateurs s’attaquent aussi à l’Afrique. Parmi les premiers pays visés: le Congo et le Kenya.

C’est d’ailleurs ce même message que Sébastien Deletaille, lauréat de l’édition belge 2015, reprenait dans son exposé d’ouverture, cette année. Ce genre de distinction serait selon lui source “d’une volonté inépuisable d’améliorer les choses pour la communauté”.

A ses yeux, la dimension nouvelle donnée à leurs travaux mais aussi à leurs idées est à la fois une opportunité et une responsabilité.

Opportunité parce que les événements organisés par Opinno permettent aux lauréats d’entrer en contact avec des “décideurs qui comptent” et “qui font que les choses se réalisent”. Responsabilité parce qu’il leur revient d’utiliser cette visibilité et réputation nouvelle le mieux possible…

Les lauriers distribués par le concours sont aussi une invite à exploiter utilement leur pouvoir d’inventivité, soulignait Peter Hinssen (Nexxworks), influenceur et observateur des tendances technologiques, invité à clôturer l’événement bruxellois de cette année. Si demain est déjà difficile à pressentir, les surlendemains relèvent de l’inconnu, raisonnait-il. De ce fait, “il faut penser en termes de création de valeur à long terme. Il faut pousser les jeunes à réfléchir à ces surlendemains. C’est une absolue nécessité.”

 

Nom de sa société; Zensor. Solution? Zensor Intelligent Monitoring, une solution de collecte d’informations visant à assurer la surveillance de structures, telles que des éoliennes, des usines pétrochimiques, des centrales nucléaires, des pipelines, barrages, voies ferrées…

Terminons en citant quelques conseils de Yves Van Ingelgem (Zensor), grand lauréat de l’année dernière (voir encadré ci-contre), à l’attention plus spécifiquement des “innovateurs” ayant un profil de chercheurs ou de scientifiques qui se lancent dans l’entrepreneuriat.

Pour eux, le sens des affaires n’étant pas forcément inné, il leur adresse le message suivant, dans l’espoir de leur faire éviter certains écueils qui ont sans doute émaillé son propre cheminement: “Arrêter de penser en termes de business plans de centaines de pages qui finissent à la poubelle. Pour réussir, il faut d’abord parler à des clients potentiels, à d’autres innovateurs, à des personnes qui ont déjà lancé une société et que vous ne devez pas payer pour leurs conseils. Vous aurez sans doute tort 5 fois sur 10 mais vous devez faire preuve de persévérance, continuer d’insister, garder votre objectif clairement à l’esprit, arrêter de fignoler pour atteindre la perfection et commencer à expérimenter sur le marché réel.”

Les qualités recherchées

Organisé par le MIT Technology Review, le concours international “Innovators under 35” (l’édition belge a été lancée en 2015) vise à “récompenser le développement d’une nouvelle technologie ou l’utilisation novatrice et originale d’une technologie existante pour résoudre un problème actuel.”

Les lauréats sont choisis en raison du potentiel qu’a leur projet de “faire la différence” à (très) grande échelle, si possible au-delà de leur domaine d’expertise. Autre critère de sélection: l’ingéniosité, “une imagination décalée et une aptitude à envisager problèmes et solutions sous un jour nouveau”, une aptitude à combiner plusieurs technologies à une problématique donnée. Ou encore l’audace, “même lorsque le reste du monde trouve l’idée biscornue.”

Le fait d’avoir lancé une start-up n’est pas déterminant mais peut être un plus, “parce que cela témoigne d’une volonté de transformer une idée en réalité.” [ Retour au texte ]