Innovation, disruption et résistances numériques

Hors-cadre
Par · 23/09/2016

La FEB organisait, en début de semaine, son “Innovation Forum”. Nous vous en proposons quelques échos…

Parmi les fils rouges que l’on retrouvait dans les divers exposés et échanges en tables rondes: les obstacles dressés devant l’innovation et la transformation numérique (tant celle des entreprises que celle des secteurs d’activités), le rôle des pouvoirs publics (notamment dans l’assouplissement du cadre réglementaire…), la lourdeur persistante de réglementations (trop?) strictes qui freinent par exemple l’accès au marché de dispositifs médicaux novateurs…

Cet article est réservé à nos abonnés Select et Premium. 

Lourdeur et manque de “prise de risque” ont également été mentionnés du côté des autorités publiques lorsqu’il s’agit d’assouplir les règles ou de trouver de nouveaux cadres pour l’homologation, les remboursements… Une lourdeur imputée au fait qu’il faut démontrer une indéniable valeur ajoutée par rapport à l’existant et parce que les paramètres et la méthodologie d’évaluation technologique, en ce compris au niveau européen, ne suivent pas le rythme de l’évolution des technologies…

Transformation numérique

Une étude belge pointe les principaux freins à la concrétisation d’une vision numérique par les entreprises, à savoir:

  • manque d’équipes réellement qualifiées
  • manque d’alignement et de clarté à propos du rôle et des responsabilités en matière de “digital ownership”
  • (manque d’)intégration entre données et technologies existantes et nouvelles

“51% des sociétés belges estiment que leurs partenaires existants n’ont sans doute pas les capacités ou les ressources pour les supporter efficacement dans le registre des besoins futurs qu’elles auront”, signalait par exemple Steven Ackx, directeur chez PWC.

Le facteur / vecteur humain

Autre source de blocage: la lourdeur des habitudes dont on ne veut pas se défaire. Refrain connu.

Mais si l’être humain est parfois facteur de blocage, c’est peut-être aussi parce qu’il n’est pas suffisamment pris en considération, écouté et impliqué.

Lors du Forum, Philips Lighting était venu expliquer comment, en impliquant les collaborateurs dès le départ dans la conception et le déploiement d’une solution d’assistance aux tâches de maintenance technique à l’aide de tablettes, il avait été possible de gommer les réticences. “Nous avons procédé par petites étapes et par itération pour améliorer les processus et leur évolution”, soulignait ainsi Jan Melis, directeur de maintenance. “Dès le premier jour, nous avons veillé à ce que les techniciens de maintenance puissent utiliser quelque chose de tangible, de très simple. Impliquer les gens permet d’emporter leur adhésion.”

Les défis du big data

Si le big data figure en bonne place dans la liste des catalyseurs de changement et d’innovation, il pose aussi de multiples défis. En particulier en matière de traitement des données personnelles et du respect de la vie privée.

Pour éviter les dérapages et les mauvaises surprises, les solutions doivent le plus possible s’aligner sur le principe du “privacy by design” (et les nouvelles réglementations et recommandations européennes vont de plus en plus dans ce sens).

Dans le domaine des applications e-santé, par exemple, ce sera en finale à l’utilisateur final de décider s’il confie ou non ses données à des solutions peu ou prou sécurisées, respectueuses de sa “privacy”. Stocker les données dans le cloud? Pourquoi pas, mais pas n’importe quelle donnée.

Voici deux exemples récents de solutions e-santé locales, citées comme exemples lors du Forum, qui évitent de tomber dans le piège.

Osimis et sa solution Lify optent pour une solution de stockage hybride, ou, plus exactement, de stockage dissocié de données: les images “brutes”, anonymisées (radio, échographies…) dans le cloud; les données de réidentification du patient en local (en respect des législations et protections de chaque pays).

A7 Sofware et son appli de dossier médical personnel ne stocke pas les données perso dans le cloud ou même sur un de ses propres serveurs. Elles ne sont conservées que par le prestataire de soins, le patient et, éventuellement, les personnes de “confiance” qu’il désigne lui-même (en espérant que ces interlocuteurs, eux, n’aillent pas placer ces données en des lieux non sécurisés…).

Les regrets exprimés par plusieurs intervenants lors de divers ateliers? Une législation qui reste encore floue en matière de big data, une trop grande disparité intra-européenne.

Financement et retour sur investissement

Lors de l’atelier Santé & Vieillissement, la question suivante a été posée: comment l’idée d’une start-up peut-elle être financée, en dehors de la piste des subsides et de l’un ou l’autre business angel pas trop regardant sur le “rendement”, lorsque le ROI est peu évident?

Un exemple? Des applis qui visent surtout à la qualité de vie des aînés. Méditez plutôt cette réflexion de Roel Smolders, patron de la start-up flamande Active84Health (son nom se prononce “activate for health”): “On finance sans se poser de question un remplacement de hanche d’une personne âgée mais lorsqu’il s’agit de rendre possible des solutions pour la prise en charge post-hospitalisation, que ce soit pour revalidation ou maintien de qualité de vie, on ne trouve pas de soutien.” Parce qu’un investisseur n’y trouvera pas le “multiple” qu’il espère…

Enrico Bastianelli (Bone Therapeutics): “La volonté politique et le support à l’innovation sont bien présents en Belgique mais le problème est que nous restons, à l’échelle européenne, un petit pays. Il faudrait dès lors pousser davantage à une harmonisation européenne, notamment pour mieux faire le poids face aux acteurs américains.”

Pour Azèle Mathieu, directrice du cluster LIfetech.brussels (e-santé et biotech), si la question du financement ne peut pas être négligée, “l’un des obstacles à l’innovation et l’une des principales difficultés à surmonter, en matière de soins de santé, reste les délais de commercialisation des innovations et le temps d’acquisition des premiers clients. Il faut dès lors créer des ponts entre utilisateurs et favoriser la co-création.”

Elle constate d’ailleurs qu’au vu de cette nécessité, de nombreux porteurs de projets et start-ups bruxellois sont en fait des prestataires de soins. “Et c’est là quelque chose qu’il faut encourager parce que cela optimise l’adoption par le marché. L’innovation n’est plus imposée, ne doit plus être “poussée” mais est la résultante d’une demande pré-existante.”

Entendu au forum…

Petit kaléidoscope des réflexions entendues au fil des exposés et tables rondes…

Steven Ackx (PWC): “La disruption numérique, c’est oser se tirer une balle dans le pied afin d’éviter qu’un autre ne vous tire une balle dans la tête.”

Matthieu Gillet (Menu Next Door): “Crédibiliser une idée folle requiert avant tout beaucoup de travail sur le terrain.”

Azèle Mathieu (Lifetech.brussels): “pour stimuler l’adoption de nouvelles solutions technologiques par les prestataires, pourquoi ne pas imaginer des incitants? Les porteurs de projets s’associent souvent à un hôpital pour développer leur projet. Encore faut-il inciter les autres hôpitaux à utiliser ces solutions qui ont pourtant prouvé leur utilité.”

Johan Vanderstraeten (PWC): “Que ce soit dans la transformation numérique des entreprises, l’évolution des procédures de maintenance industrielle ou l’Internet des Objets, il faut aussi tenir compte des composants humains.”

Jean-Claude Marcourt (ministre wallon de l’Economie et du Numérique): “La maladie belge, et francophone en particulier, est de toujours croire qu’on fait moins bien ou qu’on est en retard sur les autres. Ce n’est pas le cas. Il faut davantage être fiers de nos innovations. Mais il faut aussi anticiper davantage, favoriser l’amélioration de l’utilisation des technologies – et cela inclut une révolution sociale. […] La révolution numérique est une réalité bien plus large que certains acteurs, tels Uber, ou certains nouveaux modèles business sur lesquels se braquent tous les projecteurs.

Le numérique permet plus aisément à chacun de travailler en indépendant. Mais livrer des repas à vélo n’est pas une innovation technologique radicale. Par contre, on voit comment certains acteurs s’en servent pour contourner la législation sociale. La révolution numérique, la logique de collaboration méritent mieux que l’attention que l’on prête à ce genre de cas qui remettent en cause la protection sociale alors qu’ils n’apportent pas de valeur ajoutée.

La révolution numérique, c’est aussi une vraie évolution sociale, de la manière de vivre, de se déplacer, de mieux gérer les flux, d’avoir une nouvelle vision des choses. Pour cela il faut anticiper dès l’école, privilégier l’auto-apprentissage, la capacité d’innover. Le numérique doit nous inciter à mettre en éveil cette curiosité-là.

Certaines initiatives dans le monde de l’enseignement [telles les Creative Labs] vont dans le bon sens mais il faut amplifier cela pour que l’ensemble de la population soit entraînée dans cette dynamique.”