Etude Robert Half: les CIO de plus en plus inquiets de la pénurie de profils adéquats

Hors-cadre
Par · 30/10/2018

Robert Half, société de conseil en ressources humaines, a récemment publié les résultats de son enquête annuelle “Workplace survey” dont un chapitre est réservé à l’évolution des salaires au sein des départements IT. L’enquête est internationale mais a inclus un volet belge, avec enquête auprès de 201 CIO (plus de détails sur la méthodologie dans l’encadré ci-dessous).

L’une des principales conclusions de l’étude vient confirmer une plainte que l’on entend depuis déjà de longues années dans les rangs des recruteurs de profils IT. Six CIO belges sur dix indiquent en effet qu’il est “plus difficile de recruter des professionnels IT qualifiés qu’il y a cinq ans.”

Petit souci: c’était déjà là un constat posé voici un an. Dans son étude de l’année dernière, Robert Half déclarait en effet que “près de 7 CIO sur 10” disent rencontrer plus de problèmes de recrutement que cinq ans auparavant.

Rien de neuf donc sous le soleil. Ou, s’il y a bien une tendance, laquelle et pourquoi? Quelles sont les raisons ou les difficultés particulières évoquées par les CIO interrogés? Pour quels profils, de manière plus spécifique?

Réponse de Joël Poilvache, directeur chez Robert Half, responsable des services de placement temporaire et permanent pour le Sud de la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg: “Un écart des connaissances apparaît clairement: l’offre des chercheurs d’emploi ne correspond pas suffisamment à la demande des employeurs. Selon le Future of Jobs Report du Forum économique mondial, cet écart est au moins partiellement dû au fait que les principales compétences qui seront demandées à l’horizon 2020 varieront fortement par rapport à cinq ans auparavant.

En 2015, les employeurs recherchaient d’abord une aptitude à la résolution de problèmes complexes et à la coordination des autres, de même que des compétences en people management.

Méthodologie

201 CIO belges, répartis à égalité entre grandes entreprises et PME
Répartition géographie: équilibre également entre les trois régions (68 CIO opérant pour des entreprises basées à Bruxelles, 66 dans des sociétés établies en Wallonie et 77 en Flandre).
La répartition secteur public/secteur privé, elle, penche résolument pour ce dernier: 142 CIO interrogés contre 40 travaillant dans le secteur public. Les 19 CIO restants sont employés par des sociétés cotées en Bourse.
Les données salariales citées dans l’étude sont une compilation des informations salariales dont la société Robert Half a connaissance au travers de ses activités de placements et sa propre veille de marché.

Pour 2020, leur demande évoluera vers une disposition à faire preuve d’esprit critique et de créativité, teintée d’une bonne dose d’intelligence émotionnelle. Seule la capacité à résoudre des problèmes complexes demeure au premier rang des compétences souhaitées.

D’une manière générale, on assiste par ailleurs à un cocktail de conjoncture économique élevée et de vieillissement accéléré de la population qui est la cause majeure du phénomène.

D’un côté, l’économie belge est en croissance rapide et les entreprises sont donc à la recherche de nouveaux talents.

De l’autre, l’offre des chercheurs d’emploi ne satisfait pas, ou pas suffisamment, la demande des employeurs. De plus, entre aujourd’hui et 2026, les babyboomers, soit environ 700.000 personnes, quitteront le marché du travail. Pour 10 personnes qui quittent ce marché, seules 8 le rejoindront potentiellement: la pénurie va donc encore s’amplifier.”

Dans le domaine spécifique de l’IT, les profils les plus demandés se situent dans les registres de la gestion IT, des réseaux, du développement d’applications, de la sécurité informatique et du développement de logiciels.

De manière plus spécifique, au niveau solutions, les compétences techniques les plus recherchées en Belgique sont celles concernant les systèmes ERP (SAP, Microsoft AX), la gestion des données et les outils de Business Intelligence (QlikView, Business Objects, Microsoft Power BI, Tableau), les langages de programmation (.Net, Java), la gestion de projets IT (Prince 2, Agile, Scrum) et l’analyse commerciale et fonctionnelle.

Le souci est que ces compétences et profils les plus “demandés” sont aussi, selon Robert Half, de plus en plus difficiles à dénicher. 

Enfin, côté soft skills, les plus demandés sont des compétences en communication, en leadership et… de la flexibilité.

Quels remèdes?

Face aux besoins, à la pénurie et au risque de raréfaction grandissante de profils appropriés, les CIO interrogés sont dans l’ensemble d’accord pour dire qu’il “est urgent d’agir”. Parmi les pistes qu’ils voudraient privilégier, on trouve celle-ci: “promouvoir plus activement les carrières dans le secteur IT auprès des “millenials” et de la génération Z.

Certes, mais comment? “En Belgique, nous ne nous sommes pas assez préparés à la digitalisation grandissante des fonctions”, affirme Joël Poilvache. “Nous ressentons également un besoin croissant de jeunes diplômés qui disposent de bonnes compétences générales (soft skills). Les jeunes fraîchement diplômés sont trop éloignés des réalités du monde de l’entreprise.

Pour les entreprises, une bonne stratégie de recrutement implique en outre d’ouvrir leurs portes aux étudiants au travers de stages. De cette manière, les étudiants pourront apprendre à connaître leur futur employeur potentiel. Les sociétés pourront plus rapidement identifier et attirer à elles des collaborateurs compétents.”

Joël Poilvache (Robert Half): “L’automatisation est en marche et amène un glissement au niveau des profils recherchés. Nous devons tous nous réorienter et évoluer. Les employeurs comme les (futurs) employés ont ici chacun leur part de responsabilité. Tout le monde doit contribuer à combler l’écart des connaissances.”

Un meilleur dialogue entre entreprises et établissements d’enseignement est également évoqué. Tout comme la nécessité de procurer davantage de formations en cours de carrière, au sein et à l’initiative des entreprises elles-mêmes. “Les CIO estiment qu’il devrait y avoir une consultation plus étroite avec les universités et les hautes écoles et ils sont conscients de la nécessité pour les entreprises elles-mêmes d’investir encore plus dans les formations internes.”

Conseiller aux entreprises d’investir elles-mêmes davantage en formation ne semble guère être une idée nouvelle. La situation, telle que perçue par Robert Half au travers de son enquête, fait-elle apparaître un manque plus important que par le passé? Relève-t-on un sous-investissement plus spécifique auprès de telle ou telle catégorie de société ou d’acteur public?

“Selon l’enquête CEO de PwC (“The Anxious Optimist in the Corner Office”), 34 % des chefs d’entreprise belges s’inquiètent de la disponibilité de talents numériques. L’automatisation est en marche et amène un glissement au niveau des profils recherchés.

Des processus automatisés se chargeront de certaines tâches. Nous devons donc tous nous réorienter et évoluer. Les employeurs comme les (futurs) employés ont ici chacun leur part de responsabilité. Tout le monde doit contribuer à combler l’écart des connaissances. L’investissement dans la formation, la reconversion et l’accompagnement des collaborateurs constitue une première étape importante.”

S’il y a donc “déconnexion” entre les profils recherchés et les profils disponibles, la conclusion logique s’impose d’elle-même: engager un profil qui ne convient pas forcément et le former en interne. Petit exemple cité dans le rapport d’étude de Robert Half: “Il peut être intéressant de donner sa chance à quelqu’un qui ne possède pas encore la connaissance du bon langage de programmation mais qui fait preuve d’une grande motivation et qui peut apprendre rapidement.”

Autre axe d’action pour les entreprises: travailler à une meilleure rétention des talents et profils dont elles disposent. Face à la pénurie de talents et à la difficulté de trouver les bons profils pour les postes à pourvoir, Robert Half préconise – comme bien d’autres observateurs – une stratégie de rétention “sur mesure”. Autrement dit, une politique d’octroi d’avantages personnalisés, individualisés, par exemple via l’offre d’“horaire de travail flexible, des possibilités de télétravail, ou des packages salariaux personnalisés”.

Enquête salariale

L’enquête Robert Half est largement consacrée à l’étude des salaires et de leur évolution.

Voir ci-dessous le tableau des salaires IT que publie la société. Mais avant cela, un petit commentaire intéressant sur la variation géographique des salaires (pour des fonctions IT, finance et comptabilité, administration et secrétariat). Selon l’endroit où est implantée une société dans notre pays, on relève en effet des écarts qui ne sont pas réellement anodins. La carte ci-dessous en est le témoignage chiffré éloquent (selon les auteurs de l’étude, les pourcentages s’appliquent aussi, spécifiquement, à l’échelle de salaires pratiquée pour les profils IT). 

Les secteurs qui paient le mieux sont la chimie, le secteur pharmaceutique, le secteur énergie/environnement, et les banques et assurances.

Grille salariale IT 2018 – Source: Robert Half

Comment décrypter ces chiffres, selon la classification en centiles adoptée par Robert Half?

La colonne 25 correspond “le plus souvent aux candidats pour lesquels le poste est nouveau et qui sont encore en train de développer leurs compétences. […] dans un marché où la bataille pour les talents est faible ou dans le cadre d’une organisation plus petite et moins complexe.”

Colonne 50: tarif applicable à un candidat ayant une expérience moyenne […] Le poste est susceptible d’être moyennement complexe ou doit être pourvu dans un marché où la concurrence pour les talents est modérément forte.”

Centile suivant (75): “exigence de fortes compétences, voire de qualifications spécialisées, et degré d’expérience plus important que d’ordinaire.” Pour des postes  “raisonnablement complexes”, dans un marché “où il y a une concurrence féroce pour les talents.”

Colonne du centile le plus élevé (95): “expérience pertinente, expertise avec qualifications spécialisées, poste potentiellement très complexe, à pourvoir dans un marché où la concurrence pour les talents est très forte.”