Et si les entrepreneurs locaux s’inspiraient de Google?

Hors-cadre
Par · 16/11/2016

S’inspirer de Google? Allons donc! Pourquoi un porteur de projet, un créateur de start-up, un patron de PME ou un chef d’entreprise locale devrait-il “s’inspirer” de ce géant dominateur, omniprésent, souvent perçu comme encombrant et n’ayant que faire de préoccupations parfois bien légitimes de la piétaille locale?

Le fait est que dans la “méthode”, la “culture” Google, il y a sans doute quelques recettes et bons trucs qui pourraient être utiles. En prenant soin, bien entendu, de les débarrasser de la grandiloquence et de l’irrévérence tellement californiennes.

En ce début de semaine, Thierry Geerts, directeur de l’antenne belge de Google, avait été invité par l’Innovation Hub de BNP Paribas Fortis à venir donner sa vision de la “4ème révolution industrielle”, des opportunités d’emploi et d’innovation qu’elle laisse présager et des raisons qui devraient inciter les entrepreneurs locaux à saisir ces opportunités le plus tôt possible.

Au-delà des habituels chiffres qui donnent le tournis (du genre nombre présumé d’objets et dispositifs connectés qui seront notre quotidien d’ici quelques années), il y avait dans le discours de Thierry Geerts une série de points d’éléments qui valent la peine d’être retenus et – surtout – médités.

Parmi eux:

» pourquoi se laisser convaincre que les bonnes idées ne peuvent venir que de la Silicon Valley alors que tous les ingrédients de base sont présents chez nous?

» pourquoi limiter le potentiel des talents en visant surtout à être bon à “passable” en tout alors que la même dose d’énergie pourrait permettre de passer de bon à excellent?

» pourquoi continuer dans un esprit de nombrilisme sous-régionaliste alors que le client se trouve peut-être – et même plus volontiers – à l’autre bout du monde?

» pourquoi ne raisonner qu’en termes de retour sur investissement immédiat et de rentabilité déterminée par les courbes des anciens bilans à une époque où l’économie n’a plus rien à voir avec un schéma de stabilité à long terme?

Voyons tout cela par le menu…

Une opportunité inégalée

A la base du raisonnement de Thierry Geerts, il y avait donc cette “4ème révolution industrielle”, celle des systèmes “cyberphysiques”, celle qui fait suite à la 3ème révolution que fut l’avènement de l’informatique.

Elle est, rappelait-il, une formidable opportunité pour les inventeurs, les esprits imaginatifs, les porteurs d’idées et de projets disrupteurs dans la mesure où ces cyber-“objets” ont la capacité de transformer le moindre de nos équipements et de nos processus – du plus simple ou anodin au plus sophistiqué. Qu’il s’agisse du transport en taxi (inutile de revenir sur cet exemple ressassé ad nauseam) ou de réinventer ce bon vieux grille-pain “qui continue, chaque matin, de brûler nos tartines, alors qu’il suffirait d’insérer un capteur” – de température, de détection de couleur, voire de détection d’odeur ou de fumée… – pour arrêter le carnage.

Pour que l’ère des systèmes cyber-physiques s’installe, “nous avons besoin de tout réinventer et, pour cela, il faut des entrepreneurs”, insistait Thierry Geerts.

Plus que des entrepreneurs, c’est d’esprits inventifs qu’il s’agit, de personnes qui pensent plus loin que l’idée la plus évidente.

Pour reprendre son exemple du grille-pain, il est extrêmement facile de le connecter à Internet, selon lui, d’y ajouter un écran où s’afficheront bulletins du temps ou infos matinales, ou encore d’une caméra qui reconnaîtra le lève-tôt et, puisqu’il y aura aussi de l’intelligence artificielle intégrée au toaster, qui pourra anticiper la manière de cuire la tranche de pain selon les préférences de chaque homo famelicus. On peut multiplier les exemples de fonctionnalités nouvelles. L’imagination est au pouvoir… Le tout est évidemment d’imaginer des fonctions à la fois innovantes et réellement utiles – les deux n’étant pas forcément synonymes.

Autre raison, elle aussi souvent rappelée, pour laquelle c’est “le moment où jamais d’entreprendre”: le coût du lancement d’une start-up est plus réduit que jamais. “Un portable, un accès à Internet, un compte dans le cloud pour le stockage ou la puissance de calcul, un espace dans un incubateur… et voilà.” Pour ce qui est de vérifier la solidité et la traction de l’idée, il suffit d’activer sa communauté (le “réseau” ou “carnet d’adresses” nouvelle formule). YAKA… Pas vraiment, certes, mais bon…

Et ces conditions favorables, on les connaît aussi chez nous.

Les grands (bons) esprits n’ont pas de frontière

Il n’y a aucune raison, estime Thierry Geerts, que toutes les inventions viennent uniquement (ou essentiellement) de la Silicon Valley ou de l’Asie. “Il n’y a aucune raison que les idées ne viennent pas aussi de chez nous…”

Question de mentalité. Si Google a été le premier à imaginer la voiture autonome, c’est parce que les constructeurs automobiles n’osent pas le faire. “Ils pensent avant tout huile, pneus, à faire quelques améliorations chaque année ou à polluer un peu moins… quitte à tricher sur les chiffres. Google, lui, a adopté une perspective pour changer la conduite du tout au tout, en partant du principe qu’il fallait éviter qu’il y ait encore des tués sur les routes…”

Thierry Geerts (Google Belgique): “Tout processus peut être réinventé. Et cela devrait se faire davantage en Belgique. Mais pour ce faire, il faut aussi réinventer le marketing, penser à utiliser les milliards d’écrans connectés pour améliorer la visibilité des acteurs locaux. S’ils ne pensent pas Internet, ils ne sont pas visibles et laissent passer des opportunités commerciales.”

Quel est selon lui le “mal” wallon – ou belge? Un manque d’ambition, d’imagination pour dépasser les frontières de la Wallonie? Le patron de Google Belgique réduit même le geofencing a une dimension plus localo-locale. “Les Wallons pensent… Liège, Charleroi ou Nivelles. Notre handicap, en Belgique, c’est que nous sommes un petit pays – ce qui est d’ailleurs aussi une opportunité – mais, surtout, que nous le restons…

Nous avons besoin de davantage d’entrepreneurs qui visent d’office les 5 milliards de personnes connectées que comptera bientôt la planète et pas seulement les 300.000 habitants de Liège ou les 4 millions de Wallons. Au minimum, il faut penser Belgique ou francophonie.”

Lors de la conférence de l’Innovation Hub, un exemple éloquent a été donné par la start-up verviétoise HLO qui, sans le moindre effort marketing, a franchi la barre des 500.000 téléchargements pour son appli PlayGround (création de musique sur tablette par de purs néophytes). La majorité de ses utilisateurs se trouvent en Chine et au Japon. La ville qui concentre le plus d’utilisateurs est… Tokyo. Personne, au départ, ni dans l’équipe de HLO, ni du côté de La Faktory (son incubateur), n’aurait imaginé ce scénario…

Pourquoi se limite-t-on à penser à des débouchés locaux ou relativement limités? Il veut y voir un syndrome du passé glorieux, de champions qui se sont endormis sur leurs lauriers, qui veulent trop protéger leurs acquis… “alors que l’Asie n’a rien à perdre.”

“Or, nous avons des talents, l’enseignement est de qualité, l’argent disponible abonde mais il nous faut davantage d’ambition. Et cela doit commencer dès l’école. Il faut changer d’optique, être fier d’être entrepreneur, de réussir, de pouvoir rouler en Porsche. Il faut arrêter de niveler par la moyenne. Au lieu de décourager un élève qui, bien que bon en math, est réprimandé parce qu’il est mauvais en anglais…

Il faut plutôt mettre en exergue les points forts et développer ces talents-là. C’est le principe du feedback positif qu’il faut privilégier parce que c’est là que fleurissent les passions. C’est ce principe qu’applique Google à ses employés…”

Certes quelqu’un qui est mauvais dans une branche peut s’améliorer mais il n’y excellera jamais. Par contre, mieux vaut selon lui – et c’est donc la philosophie de Google – développer au maximum un talent, pour que quelqu’un qui est bon dans quelque chose devienne carrément brillant…

L’exemple de CE+T

Le talent ne se préoccupant pas de frontières géographiques, les Wallons, eux aussi, peuvent avoir des “idées folles”. Et réussir leur coup. Exemple mis en avant lors de l’exposé de Thierry Geerts: CE+T Power, cette société liégeoise (Wandre) qui a remporté le concours international Little Box Challenge, organisé par l’IEEE et Google, en imaginant l’onduleur AC-DC le plus miniaturisé au monde (conversion de courant continu en courant alternatif). Relire l’article que nous lui avions consacré en début d’année.

La société concourrait contre des dizaines d’autres venues des quatre coins de la planète. A force d’inventivité, en collaborant avec des chercheurs universitaires, elle a réussi à pulvériser les critères imposés, réduisant d’un facteur 20 les dimensions du boîtier que les organisateurs désiraient voir naître.

Thierry Geerts en retient que tout est en effet possible, chez nous aussi. Le tout est de le vouloir. Il rajoutait toutefois une petite couche googlienne (mais qui doit faire réfléchir, là aussi, à nos modes de pensée…): “CE+T l’a fait parce que son équipe a été challengée par Google. Sans cela, ils ne l’auraient sans doute pas fait…”

Question dès lors: faut-il être mis au défi par un tiers ou peut-on se lancer nous aussi des défis?

Google, lui aussi, a ses limites

Ou s’en impose… jusqu’à ce qu’il trouve, sans doute, la tangente.

Exemple? Le secteur de la santé. Oh, certes, il s’y est essayé, a fait quelques tentatives. A commencer, voici quelques années, par un projet d’espace de stockage des données médicales dans le cloud. Mais le retour de bâton fut rapide. Question de respect de la vie privée et de protection des données à caractère hyper-personnel, notamment.

Autre exemple plus récent: des lentilles connectées intelligentes pour détection du diabète. Google a décidé de ne pas jouer solo et a préféré passer le relais ou en tout cas s’allier avec Novartis.
“Aussi bonne que soit l’idée, en matière d’e-health, il reste l’obstacle des réglementations nationales, des spécificités nationales de remboursement de dispositifs médicaux…

Nous ne voulons pas devenir une entreprise pharmaceutique ou une banque. Tous les projets ne sont donc pas bon à reprendre pour Google.”

Jusqu’à preuve du contraire…

L’âge d’or des petites structures?

Raisonnement bien connu: si on a tant besoin de néo-entrepreneurs, de “starters”, c’est parce que les grandes entreprises n’ont pas la marge de manoeuvre, la flexibilité d’innovation, la liberté – ou la volonté – de rupture nécessaires. “Elles sont construites et agissent selon le principe de processus industriels que l’on améliore légèrement chaque année. Elles sont rigides et hiérarchisées. Elles ne sont pas faites pour s’adapter en permanence en fonction de l’écoute des clients”, rappelait Thierry Geerts.

“La preuve en est que quand il faut innover, elles en sont réduites à créer des cellules, qui sont isolées du reste, ou à faire appel à des start-ups…”

Mais alors, faisait remarquer quelqu’un dans la salle, comment expliquer que Google, qui n’a absolument rien d’une petite structure naissante, soit à l’origine de tant de projets “disrupteurs”?

Dans la réponse de Thierry Geerts, il y a quelques pistes qui peuvent intéresser nos PME mais aussi nos grandes entreprises. A elles de puiser dans le modèle de fonctionnement, dans la “culture” d’entreprise de ce mastodonte, quelques inspirations propices.

Voici comment Thierry Geerts explique le “Google touch”…

“Nous investissons systématiquement 10% dans l’avenir, dans des domaines qui n’ont rien à voir avec nos produits de base. C’est de là que sont venus les ballons stratosphériques ou la voiture autonome… Il faut, sans cesse, se préparer à l’avenir, ne pas l’oublier.”

Autre règle che Google: le travail d’innovation se fait toujours en petites équipes de moins de 10 personnes. Parce que cela permet de travailler sans manager, par consensus et échanges entre égaux.

“Ils étaient 9 dans l’équipe qui a donné naissance à Gmail, 8 pour Android… là où Nokia avait une équipe de 1.000 personnes pour le développement d’un OS mobile. Et ils ont échoué.”

La fringale Google pour les start-ups

Google rachète énormément de sociétés, en ce compris des start-ups. Le géant californien n’est d’ailleurs pas le seul à souffrir de ce genre de fringale. Et elle paie des sommes souvent faramineuses. Mais sa règle est de racheter surtout des opportunités, même si elles ne sont pas rentables et sont très éloignées de son core business. Une règle quelque peu différente de celle de ses concurrents, si on prend la parole de Thierry Geerts pour argent comptant. Il n’a par exemple pas manqué d’égratigner IBM au passage, estimant que Big Blue ne rachetait que des sociétés qui font la même chose que lui (ce qui n’est pas exactement le cas – preuve en est le rachat de compétences, certes utiles à Watson, pour ne citer que cet exemple, mais puisées dans un large catalogue de domaines…).

Thierry Geerts (Google): “Quand on rachète une société, il faut se demander si sa technologie, sa compétence représente quelque chose d’inéluctable. Si la réponse est positive, le prix n’a pas d’importance parce qu’on rachète un savoir-faire.” Sous-entendu, qui pourra être monétisé au centuple.

Mais, justifie Thierry Geerts, quand Google rachète une société spécialisée en intelligence artificielle, elle répercute ce potentiel sur l’ensemble de sa gamme de produits…

Deux critères sont nécessaires pour qu’une start-up devienne une cible de rachat par Google: “avoir créé une véritable innovation technologique et offrir la perspective d’une envergure potentielle, en termes d’utilisateurs, qui soit mondiale, se chiffrant en plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs.”

Une règle qui explique, selon lui, que Google ait tiré un trait sur le fonds d’aide aux start-ups qu’il avait initié en Europe. “Il n’y avait pas assez de projets de ce type ayant une telle ambition. Contrairement à ce qu’on trouve aux Etats-Unis ou en Asie…”