Tout au long de la semaine écoulée, il a beaucoup été question de numérisation et de son impact, présumé ou réel, sur l’emploi: création? destruction?
La mèche a été allumée, évidemment, par les annonces du côté de ING. Mais le débat, l’interrogation, couvent depuis longtemps.
A l’occasion de l’inauguration officielle des nouveaux bâtiments du centre de recherche appliquée CETIC, Paul Magnette, Ministre-Président wallon, estimait que pointer la numérisation comme argument justifiant la restructuration et les licenciements massifs chez ING était une manière pour la banque de masquer ses propres errements. Il n’hésitait pas à l’accuser d’“hallucinante impréparation technologique”, soulignant que ce phénomène de la numérisation n’a rien de nouveau. Les opérations bancaires via ordinateur ne sont pas un fait nouveau. Plus de 10 ans n’ont-ils donc pas suffi pour une prise de conscience, de la part de la banque, qu’il fallait revoir son modèle, anticiper? Pourquoi ne s’apercevoir apparemment que maintenant du prétendu impact sur son modèle? “C’est là un manque flagrant d’anticipation.”
La transition ne va pas de soi
Le fait est toutefois que la “transformation numérique” – celle des entreprises, des processus, des comportements humains – a un impact sur l’emploi. Que ce soit en volume, en type de travail, en mode d’exécution, en termes de pérennité et de stabilité, etc. etc. Aux yeux de Paul Magnette, le phénomène de pertes d’emplois dues au numérique ne doit pas nécessairement être lié à une question de taille des entreprises.
Le tout est de saisir les opportunités pour créer de nouvelles sociétés et solutions, densifier encore davantage le tissu économique local (en termes d’expertises, de types et secteurs d’activités couverts par les acteurs locaux) afin de faire en sorte que ces derniers trouvent à proximité des partenaires potentiels et puissent ainsi contribuer davantage à un ancrage ou réancrage de l’emploi.
Un peu plus tôt dans la semaine, ce potentiel de réimplantation d’acteurs et d’emplois en Wallonie, grâce au numérique, avait déjà été souligné lors de deux soirées-débats. L’une organisée par les alumni de l’Economics School de l’UCL. L’autre dédiée au secteur de la 3D, dans toutes ses manifestations (impression 3D, réalité virtuelle et augmentée…).
Geoffroy Boonen (Procoplast): “automatisation et robotisation coûtent cher. Il y a là sans doute un rôle à jouer de la part des pouvoirs publics, sous forme d’aides – remboursables ou non. En 2008, quand les banques ont refusé de nous aider et que les investisseurs historiques posaient de trop fortes exigences, le salut est venu pour nous de Meusinvest qui s’est mouillé, libérant des tranches d’investissement de manière progressive. Aujourd’hui, les banques reviennent frapper à notre porte. Tant il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches…”
Jacques Germay, directeur du Pôle de compétitivité Mecatech, y a rappelé des exemples de création d’emplois par des sociétés telles que Procoplast, société spécialisée dans l’injection plastique pour le secteur automobile, qui a doublé son personnel en l’espace de deux ans en misant sur l’automatisation pour rapatrier des emplois délocalisés en 2008. Idem du côté de sociétés locales qui se sont positionnées sur le terrain de la prestation de services de numérisation au service des entreprises. Exemples cités: TechNord (Tournai, Seraing), Citius Engineering (Herstal) et Wow Technology (Namur).
Toutes ont créé des dizaines d’emplois, allant parfois jusqu’à doubler ou tripler leurs effectifs par rapport à la situation qui était la leur avant qu’elles ne négocient le virage vers une réingénierie de leur modèle ou de leur positionnement.
Jacques Germay: “rendre les délocalisations et les déperditions d’emploi plus difficiles en jouant sur l’effet réseau entre PME, centres de recherche et grands groupes internationaux.”
Un autre élément à exploiter pour transformer le potentiel du numérique en création d’emplois locaux consiste, selon Jacques Germay, à jouer sur l’effet réseau. “Les innovations de rupture ont toutes une dimension d’hybridation technologique. Cela signifie qu’une même société ne peut plus tout maîtriser, tout faire elle-même. D’où l’importance du réseau liant PME, centres de recherche, milieux académiques et grands groupes internationaux.”
Côté pile, côté face
Alors côté sombre (destruction d’emplois par le numérique) ou côté rosissant (création)? Rien n’est aussi simple.
C’est ce que rappelait aussi, la semaine dernière, Didier Tshidimba, associé auprès du cabinet Roland Berger Strategy Consultants devant l’assemblée des alumni néolouvanistes.
Un peu à la manière de tout investissement à risque, il faut, à l’ère de l’“industrie 4.0”, projeter la perspective de création d’emplois grâce au numérique sur une ligne de temps à long terme. La perspective adoptée par Roland Berger en la matière court jusqu’en 2035.
Dans un premier temps (et nous sommes entrés de plain-pied dans cette phase), il faudra en passer par une période d’“inertie” et d’“érosion” de l’emploi qui s’expliquent essentiellement par les gains de productivité – et donc un écrémage des ressources humaines devenues superflues, en quelque sorte.
Autre raison de cette phase de dégradation: le manque de compétitivité dont souffrent et souffriront certains pays ou régions (et nous sommes malheureusement du nombre) face à d’autres régions du monde.
Toutefois, souligne Didier Tshidimba, “trois effets positifs se manifestent. Tout d’abord, une capacité à conserver voire à ramener chez nous certains emplois. Ensuite, l’extension à d’autres secteurs industriels des compétences acquises, via le numérique, dans un secteur déterminé. Enfin, la création de nouveaux services. L’augmentation de la rotation des actifs (1) permet de libérer des capitaux qu’on peut réinvestir dans de nouveaux services et, par conséquent, créer de nouveaux emplois – à hauteur de 6,7 millions en Europe à l’horizon 2035.”
(1) “La rotation de l’actif est le chiffre d’affaire généré pour chaque euro de capital engagé (actifs immobilisés et besoin en fond de roulement). L’Industrie 4.0 permet une meilleure utilisation des actifs (réduction du temps de changement des produits; réduction des arrêts machine, des stocks et du temps de maintenance…). Il est également un indicateur d’intensité capitalistique: plus la rotation de l’actif est basse, plus le secteur de l’industrie est intense en capital.”
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