Ils sont “Digital Wallonia Champions”. Que comptent-ils faire de ce titre?

Hors-cadre
Par · 20/12/2017

110 témoins et ambassadeurs du programme Digital Wallonia ont été sélectionnés par l’AdN (Agence du Numérique). D’autres devraient rejoindre, au fil du temps, ce premier peloton de “Digital Champions”. Relire l’article sur leur sélection.

Sélectionnés sur base de leurs actions et activités passées et présentes, dans leurs fonctions respectives – enseignant(e)s, chefs d’entreprise, chercheurs, fonctionnaires, responsables d’organismes d’animation économique… -, ils et elles sont chargées d’incarner, de militer au quotidien pour dynamiser et contribuer à réussir le renouveau digitalo-économique de la Région.

Voilà pour l’objectif qu’en a décidé le gouvernement wallon (l’ancien et le nouveau) par l’entremise de l’Agence du Numérique.

Mais comment, ces “Champion(ne)s” voient-ils ce statut, cette étiquette qui leur est accolée (et qu’ils ont acceptée)? Comment voient-ils leur rôle futur? Quel poids estiment-ils réellement avoir dans la balance? Qu’attendent-ils aussi, en retour, de la part des autorités et décideurs régionaux?

Nous avons posé ces questions à quelques-uns d’entre eux. Voici leur façon de voir les choses.

Une reconnaissance ou juste une étiquette faire-valoir?

Comment ces “champion(ne)s” perçoivent-ils/-elles le titre qui leur est désormais accolé? Comme une reconnaissance de leurs actions passées? Une sorte de décoration pour les fonctions qu’ils remplissent? Une invitation à en faire plus ou autrement, d’élargir leur champ d’action?

Beaucoup de nos interlocuteurs y voient en effet une reconnaissance de leurs actions professionnelles. Mais pas que…

“On ne va pas le cacher, ce statut représente une forme de reconnaissance pour le travail fourni. Il me confère une visibilité et me pousse un cran plus loin en termes de légitimité”, estime Nicolas Himmer, Smart City Manager de la Ville de Namur. “Et c’est bien nécessaire lorsque vous devez porter le discours de l’innovation et de la numérisation dans des milieux qui ont tendance à le rejeter par peur et par manque de connaissances. Il représente donc un avantage.”

Sébastien Jodogne (Osimis): “La première de nos missions — s’impliquer sur le terrain en faveur du développement numérique de la Wallonie — est pour nous tout à fait naturelle, car elle nous encourage toutes et tous à prolonger les actions que nous menons déjà quotidiennement sur le terrain et qui ont mené à notre reconnaissance.”

Chantal Clarenne, attachée à la DGO6 (Direction des projets de recherche) “C’est une reconnaissance en effet de mes activités au quotidien, notamment en matière d’aide aux entreprises. Mais cela donne aussi une autre image de l’Administration, qui est ainsi reconnue comme un acteur comme un autre du réseautage mis en oeuvre notamment par l’AdN. Sans compter que cela donne plus de visibilité pour les aides aux entreprises…”

Céline Colas, initiatrice et cheftaine de Kodo Wallonie: “Ce statut est une réelle reconnaissance du travail réalisé par l’asbl Kodo Wallonie et moi-même depuis 2 ans et c’est donc un honneur d’avoir été invitée à devenir Digital Wallonia championne. C’est aussi une responsabilité que je prends au sérieux et qui développe officiellement un vrai réseau d’ambassadeurs Digital Wallonia.

Le tout public peut enfin voir ce qui se passe “en coulisses”, c’est-à-dire la mise en réseau de partenaires afin de créer des opérations qui réussissent, comme #wallcode.”

Céline Colas (Kodo Wallonie): “Le tout public peut enfin voir ce qui se passe “en coulisses”, c’est-à-dire la mise en réseau de partenaires afin de créer des opérations qui réussissent.”

Denys Bornauw, responsable du programme Move Up au sein de l’accélérateur hennuyer Digital Attraxion: “Ce titre est une marque fédératrice et une reconnaissance d’un engagement pour une meilleure compréhension et un meilleur niveau du digital en Région wallonne.”

“Pour ma part”, indique Sébastien Jodogne, expert auprès du WSL et CTO de la start-up Osimis, “j’ai été extrêmement touché par cette mise en évidence officielle de mon engagement en faveur du numérique en Wallonie. J’ai déjà eu la chance de voir mon travail reconnu par différents prix en Belgique – IBM Innovation Award, Agoria e-Health Awards, Mérite Wallon, KIKK Belfius Awards -, mais ces récompenses étaient de nature ponctuelle.

Ici, la dynamique des Digital Wallonia Champions s’inscrit dans le long terme. À mes yeux, ce statut s’apparente davantage à une forme de mentorat, dans lequel la Wallonie soutient de manière explicite des femmes et des hommes qui défendent des idées créatives et qui font preuve d’un réel engagement personnel vis-à-vis du développement socio-économique de notre région.”

D’autres veulent avant tout y voir le début d’une nouvelle dynamique. Comme Olivier Lefèvre, de NRB: “Je ne le considère pas du tout comme une récompense ou un statut à un moment x. C’est plutôt le départ de quelque chose. Et j’espère qu’on mettra les moyens nécessaires pour créer une dynamique.” Voir son interview dans cet autre article.

Echo assez similaire du côté d’Olivier De Doncker, nouveau président de la ranche francophone de la FeWeb: “Au-delà de l’étiquette, je pense qu’il y a un début de reconnaissance par les pouvoirs publics wallons que l’écosystème digital ne se développera qu’en co-création avec les acteurs de  terrain, avec les “makers” qui construisent du digital au quotidien. Les initiatives top-down ne fonctionnent pas dans l’environnement digital où la collaboration et la co-création sont les clés de la génération de valeur.

Plus largement, j’y vois enfin l’acceptation que la légitimité d’une politique procède aussi et surtout, au 21ème siècle, de l’adhésion qu’elle peut susciter chez ses destinataires.

Les politiques top-down menées ces dernières années ont souvent été des échecs : les aides à la construction de sites e-commerce n’ont pas permis de créer un secteur de l’e-commerce fort en Wallonie, la pléiade d’incubateurs de start-ups en Wallonie a été le gadget politique du précédent gouvernement, etc.

C’est une avancée appréciable mais il faut maintenant que cette ouverture soit suivie de  collaborations concrètes avec la “société civile digitale”.

Mais être Digital Champion, c’est quoi en termes d’actions futures?

Pour Sandrine Quoibion, directrice du cluster Infopole, “c’est être un moteur dans le développement du numérique par et pour les entreprises. Un peu comme être un “ambassadeur”, une personne qui soutient, croit, encourage et valorise le développement du numérique.”

Nicolas Himmer: “il s’agit pour moi de continuer à promouvoir le numérique et ses usages, de parler de Digital Wallonia et d’être une force de proposition pour la diffusion de solutions existantes mais aussi d’anticiper le futur afin d’arrêter de courir après l’innovation et d’être alors toujours en retard.

Il s’agit donc bien d’un rôle d’ambassadeur aussi bien en interne, au sein de mon organisation, qu’en externe, pour promouvoir ce que je fais dans mon organisation mais aussi pour ce qui se fait en Wallonie. Je m’inscris donc dans une forme de continuité par rapport à ce que je fais actuellement, par exemple par rapport à l’AdN pour l’avènement de la Smart Région, mais je suis certain que de nouvelles missions vont arriver…”

Nicolas Himmer (Ville de Namur): “Je suis déjà fort présent sur le terrain partout où je peux apporter de l’information ou en glaner. Je continue donc de personnifier ce rôle à ma manière, mais avec ce badge supplémentaire qui vient soutenir le sérieux de mes paroles.”

Chantal Clarenne (DGO6): “Notre rôle est de faire remonter les remarques, les retours que nous entendons sur le terrain. Le fait de faire partie de ce réseau de Champions ouvre sans doute des voies vers davantage de personnes.

Pour ce qui est de la méthode, je n’ai pas envie d’une structure supplémentaire et je suis contre la réunionite aigüe. Je préfère recourir à des canaux de contact, des adresses mail… En cas de question, il me semble intéressant de pouvoir contacter directement d’autres personnes, expertes dans leur domaine, par exemple dans le domaine des smart cities. Par exemple, pour obtenir leur avis par rapport à une idée ou projet qu’aurait une entreprise qui nous a sollicités… Je vois donc [ce réseau de Digital Champions] comme une opportunité supplémentaire de communications informelles, d’avoir accès à davantage de réseautage et d’être plus proactive, et de capter davantage d’informations au sujet de l’écosystème complet. Pour mieux renseigner les entreprises qui, je m’en rends bien compte, sont parfois un peu perdues…”

Plus que de simples faire-valoir

L’une des missions qui leur est confiée est d’“assurer une diffusion large et pertinente de la stratégie numérique Digital Wallonia et les résultats atteints par le déploiement des différentes mesures opérationnelles”.

Sont-ils/-elles dès lors des représentants de commerce chargés de tresser des couronnes de laurier à la politique régionale en matière de numérique?

A entendre les réponses données par nos interlocuteurs, ils ne tomberont pas dans ce cliché ou dans ce seul canevas mais ont bien l’intention de peser et de justifier leur statut.

“Ce qui est intéressant dans cette mission, c’est que nous ne sommes pas désignés Champions uniquement pour être un porte-parole mais bien pour être des acteurs de la stratégie numérique. Certes, nous sommes là pour valoriser et promouvoir le développement du numérique et de Digital Wallonia, mais nous sommes également là pour favoriser le développement économique des acteurs de terrain”, souligne Sandrine Quoibion. “Pour personnifier mon rôle de Digital Champion, je tâcherai tout simplement de rester moi-même. Ce n’est pas parce que l’on obtient un “titre” – ou une quelconque nomination – que l’on doit, du jour au lendemain, changer sa façon d’être et d’agir.

Je suis quelqu’un de très pragmatique, pointilleuse, organisée mais également spontanée, sociable et curieuse. Je serai donc une “Championne” qui incarnera cette personnalité.

Pour moi, l’honnêteté, l’humilité, l’ouverture d’esprit sont des valeurs précieuses qui doivent être celles d’un Champion.”

Loin de percevoir la mission n° 2 (“faire connaître l’action publique de la Wallonie en faveur du numérique”) comme une lettre de mission marketing publico-politique, Sébastien Jodogne (Osimis) y voit l’occasion, certes de prêcher la bonne parole mais aussi de mettre davantage en lumière ce qui se fait concrètement sur le terrain.

“À titre personnel, je serai par exemple très attentif à supporter et à diffuser les mesures en faveur de la formation continue au numérique, de la recherche scientifique et du soutien aux spin-offs/start-ups innovantes. Je pense tout particulièrement à l’action du fonds W.IN.G et de l’incubateur thématique WSL.

Il me semble également capital de donner davantage de visibilité aux réussites wallonnes par-delà nos frontières, à travers nos réseaux respectifs, car nous avons parfois tendance à avoir des réflexes d’esprit de clocher. À cet égard, j’apprécie le fait que les Digital Wallonia Champions sont issus d’horizons très différents, ce qui assure une grande complémentarité dans la manière dont la stratégie numérique wallonne sera relayée.”

D’un point de vue plus personnel, il compte bien poursuivre son travail d’“évangélisation” du numérique au quotidien. “À titre personnel, la colonne vertébrale de mon engagement pour le numérique se situe avant tout dans le partage des connaissances et dans la co-création: open source, open science, open dataopen access, open hardware, open innovation, standards ouverts… Il va de soi que je continuerai à défendre publiquement ces valeurs.

Mon action concrète se positionne à l’interface entre le monde de la recherche et le monde de l’industrie. De nos jours, l’industrialisation des connaissances scientifiques passe nécessairement par le numérique.

La valorisation socio-économique des débouchés d’un travail de recherches se trouve dans sa mise en oeuvre concrète, à travers le packaging dédié à un métier et à travers l’intégration harmonieuse avec d’autres systèmes, et non pas dans les formules mathématiques ou dans les démonstrateurs.

L’informatique est un élément transversal essentiel lors de ce processus d’industrialisation, comme me l’a appris l’aventure Orthanc et Osimis en matière d’imagerie médicale.

Je souhaite également défendre l’informatique en tant que science à part entière. Trop souvent, l’informatique est perçue comme une “sous-discipline” qui permet de mettre en pratique les matières “nobles” enseignées aux ingénieurs.

Il n’en est bien sûr rien, car l’algorithmique et les méthodologies de développement forment un corpus scientifique essentiel et transversal. Il s’agit peut-être d’un paramètre qui explique partiellement le manque cruel de professionnels auquel le numérique fait face en Wallonie.”

Gare au simple effet d’annonce

Les Digital Champion veulent aussi avoir le droit à la parole, à être entendus et écoutés. Sans quoi, l’initiative restera future, souligne Olivier Lefèvre, le “mister Smart City” de NRB. Lire son interview dans cet autre article.

Même mise en garde du côté d’Olivier De Doncker: Nous allons jouer le jeu de la concertation avec les initiateurs. En retour, j’espère que ce nouvel esprit de collaboration permettra d’éviter à l’avenir des désastres comme le nouveau label qualité qui certifie les consultants autorisés à activer les aides en transformation digitale de la Région wallonne”.

Un exemple typique, selon lui, d’une méthode qui se fait “sans concertation avec les principaux intéressés, par des gens sans aucune compétence en transformation digitale.” De telles pratiques “doivent être bannies si on veut construire un écosystème véritablement fécond. Si les “Champions” restent des alibis pour donner de la visibilité à Digital Wallonia, le fossé entre pouvoirs publics et secteur privé ne fera que grandir.”

Et ces Digital Champions attendent d’ores et déjà de voir comment certaines de leurs propositions passées, émises à titre personnel ou au travers de leur organisme, seront prises en considération.

Céline Colas (Kodo Wallonie): “En termes de mécanismes de co-réflexion et de consultation, nous disposions déjà de certains leviers – grâce, notamment, à des réunions régulières et des contacts très fréquents avec l’équipe de l’AdN, voire même du cabinet Jeholet.

Lors de ces rencontres, nous proposons déjà des pistes dans notre domaine, en l’occurrence le secteur de l’éducation. L’asbl Kodo Wallonie a déjà proposé, peu avant mon invitation à être Digital Wallonia championne, d’avoir des contacts plus fréquents avec le Conseil du Numérique. La proposition est donc sur la table…”

Olivier De Doncker (FeWeb): “La position de “champion” permet théoriquement d’amener spontanément des idées auprès de l’AdN et du cabinet [du Ministre Jeholet]. Cela a été fait à travers la FeWeb et je suis maintenant curieux de voir la suite donnée à nos propositions. Ce sera un premier bon test.”

Quel impact pour l’organisme au sein duquel ces Digital Champion opèrent?

Céline Colas (Kodo Wallonie): “Je pense que ce statut peut être un levier pour l’association et donc une mise en lumière qu’il va falloir gérer au mieux. De plus, cela demande une responsabilité d’autant plus grande pour ne pas décevoir les attentes mises sur moi et sur toute l’équipe de l’association. Je serai d’autant plus attentive à respecter les missions qui me sont octroyées afin de permettre au réseau d’ambassadeurs de fonctionner comme il se doit.”

Sandrine Quoibion souligne pour sa part que “l’Infopole souhaite apporter sa pierre à l’édifice de simplification et de rationalisation du paysage numérique existant en organisant des projets cohérents avec les autres projets numériques et en articulant ses actions avec celles menées par les acteurs du secteur.”