AI 4 Belgium (4). Quelle suite donner au rapport remis au gouvernement?

Hors-cadre
Par · 25/03/2019

La “coalition” AI 4 Belgium est sur les rails. Les 40 personnes qui ont participé aux travaux de réflexion initiaux (voir leur liste dans notre premier article ) ont remis leur rapport et leurs recommandations au gouvernement fédéral. Il reviendra à la prochaine équipe gouvernementale de déterminer ce qui sera mis en oeuvre, comment et selon quel agenda. Ainsi que les priorités éventuelles du positionnement “stratégique” de la Belgique en matière d’intelligence artificielle.

Lors de la présentation des recommandations des experts, le message clair qui a été passé est que le groupe AI 4 Belgium, lui, a bien l’intention de continuer à réfléchir et à proposer. Un appel a d’ailleurs été lancé afin d’encourager de nouveaux acteurs – PME, grands groupes, représentants académiques, chercheurs… – à rejoindre ses rangs.

Premiers à avoir signé: le collectif wallon Réseau IA , Agoria, BeCentral, DigitYser (qui accueille une communauté de data scientists), Beacon (centre d’affaires et d’innovation anversois dédié à l’IoT, à la logistique et à l’IA), ou encore l’AIABN/BNVKI (association Benelux de recherche universitaire pour l’Intelligence Artificielle).

Comment le travail de réflexion et de proposition se poursuivra-t-il, en “think & act tank” relevant du futur ministre chargé de l’Agenda numérique? Pas de réponse encore à ce jour. Les quelque 40 participants de départ ont été invités (mais pas formellement) à poursuivre leur travail. De nouveaux groupes de travail se constitueront sans doute. Selon des thèmes, des secteurs, des sujets transversaux et/ou verticaux? On devra le déterminer.

Quelques éléments prioritaires ont toutefois été précisés par Joseph Fattouch, conseiller au Cabinet du ministre en charge de l’Agenda numérique (Philippe De Backer). A commencer par une cartographie précise des ressources disponibles et par le lancement de premières actions de sensibilisation et de démythification à destination de différentes cibles: citoyens lambda, politiciens, décideurs, chefs d’entreprise… Voir, dans notre encadré en fin d’article, quelques-unes des recommandations prioritaires pointées dans le rapport AI 4 Belgium).

L’état des lieux

L’exercice de “cartographie” ratissera large: acteurs, profils, compétences, chercheurs, formations, sources d’investissement, jeux de données ouvertes disponibles (ou à rendre disponibles)… 

Nathanaël Ackerman, ancien conseiller Innovation d’Axelle Lemaire, ex-Secrétaire d’Etat française au Numérique et à l’Innovation, et directeur du “hub” France Intelligence Artificielle, qui a entre-temps retrouvé le chemin de la Belgique et s’implique en tant qu’expert dans le cadre d’AI 4 Belgium, ajoute encore quelques autres dimensions. “Il faut aussi documenter le niveau d’utilisation des open data, retrouver la trace de tous les PhD qui sont actifs en IA en Belgique… Tout cela doit contribuer à travailler sur l’attractivité.

Il faut absolument s’appuyer sur toutes les personnes formées en IA et qui n’apparaissent pas forcément sur les radars institutionnels. Les opérateurs académiques ont, là, un important rôle à jouer pour tisser le réseau.”

A noter que, du côté wallon, le Réseau IA démarre lui aussi son travail d’inventaire (profils, compétences, formations).

Nathanaël Ackerman: “Je suis davantage favorable à une approche grassroots là où la manière dont le Hub France IA a vu le jour et a été organisé était davantage top down. Il faut se baser sur ce qui existe, cette base devant manifester sa ou ses volontés.”

 

L’étape suivante, selon lui, consistera à identifier les opportunités. Notamment pour mettre en contact et apparier start-ups et/ou PME et grands groupes.

Comment voit-il fonctionner à l’avenir le groupe AI 4 Belgium? Faut-il davantage de membres? Et comment piloter ces multiples intervenants, venus de divers horizons, ayant chacun leur propre agenda – même si tous disent vouloir contribuer au “bien commun”? “Il faut bien organiser la coordination entre les différents acteurs mais tous doivent contribuer”, insiste Nathanaël Ackerman. “Je suis davantage favorable à une approche grassroots [qui semble tenir la corde en Belgique] là où la manière dont le Hub France IA a vu le jour et a été organisé était davantage top down. Il faut se baser sur ce qui existe, cette base devant manifester sa ou ses volontés.”

Pour ce qui est de la composition du collectif, il espère que les profils se diversifieront pour mieux couvrir toute la réalité de l’avenir à la mode IA. Il faudrait donc davantage de start-ups (absentes du premier cercle de contributeurs), d’acteurs du monde de la formation et une meilleure représentativité des différents secteurs d’activités (le groupe des 40 premiers “experts” inclut par exemple quelques représentants – traditionnels – du monde de la finance mais les autres secteurs sont encore largement aux abonnés absents).

Le “hub” belge doit à ses yeux compter nettement plus d’experts. “On est encore loin d’avoir atteint la masse critique.”

Il fait une rapide comparaison avec ce qui s’est passé en France: “le rapport IA français a pu compter sur 660 contributeurs. On dénombrait plus de 100 membres fondateurs lors du lancement du Hub France IA…”

Etoffer les rangs, pouvoir s’appuyer sur toutes les personnes formées en IA, “souvent de haut niveau”, est essentiel pour disposer d’un réservoir d’experts pouvant conseiller et accompagner les entreprises – de toutes tailles. Ce réservoir serait coordonné et animé par une équipe opérationnelle évoluant au niveau d’IA 4 Belgium.

Autre profil qu’il aimerait voir adhérer: des investisseurs. “Il faut sensiblement renforcer notre potentiel d’investissement. En France, cela se passe au niveau de la series C. En Belgique, on peut sans doute viser la series D, en mobilisant quelque chose de l’ordre de 10 millions d’euros pour des start-ups et pour assurer la phase de croissance des projets.”

Identifier les “low hanging fruit”

L’une des idées émises par le groupe AI 4 Belgium est de cibler quelques domaines plus particulièrement porteurs ou plus directement demandeurs de solutions IA ayant un impact effectif, visible et “positif”.

Ainsi Pierre Rion, président du Conseil du numérique wallon, insistait sur la nécessité de “rester focalisé sur les choses qui auront une répercussion et une visibilité immédiates pour le citoyen – santé, mobilité, gestion de l’énergie.”

Et il y a selon lui pas mal d’opportunités à saisir. Exemple en soins de santé: l’aide au diagnostic médical. “Le degré d’exactitude moyen n’est que de 47%. Les médecins améliorent leur précision de diagnostic par itération. Grâce à l’IA, il est possible d’exploiter des milliers d’expériences de médecin. De quoi améliorer la performance…”

Ferdinand Casier, responsable Digital Industries chez Agoria, ajoute l’industrie 4.0. 

Le rapport pointe également l’enseignement comme cible prioritaire potentielle, parlant d’une “sélection de projets qui utilisent l’IA pour créer un impact social positif: dans les soins de santé, l’environnement, l’enseignement.” Ou, plus loin dans le rapport, “des outils aidant les médecins à améliorer les plans de traitement des patients, des proof of concept de voitures autonomes, des outils d’évaluation des risques et de détection de fraude – utiles pour le SPF Finances, le secteur de la sécurité sociale, la police…”

AI 4 Belgium: “sélectionner des projets qui utilisent l’IA pour créer un impact social positif: dans les soins de santé, l’environnement, l’enseignement.”

 

En dehors de quelques grands projets plus ou moins emblématiques ou à forte visibilité (dans lesquels les organismes publics devraient s’engager pour, eux-mêmes, acquérir de premières expériences), il est aussi question de “projets quick win à plus petite échelle, lancés en parallèle” pour “faciliter l’adoption de telles applications par des organisations plus réticentes et accélérer la courbe d’apprentissage du secteur public.”

Echo similaire du côté de Nathanaël Ackerman. Il pointe lui aussi la santé, la mobilité, la logistique – tous domaines dans lesquels il existe des compétences, un historique en Belgique… “Le tout sera de bien choisir les thématiques, les “niches”. Pas forcément dans une optique de différenciation [sur la scène internationale] mais en vue d’un impact sociétal.”

Le financement sera évidemment le nerf de la guerre. Et à cet égard, s’appuyant notamment sur son expérience française, il rappelle qu’une approche grassroots est intéressante: “les financements viennent plus facilement de là où on ressent le besoin. Un dynamisme important pourrait ainsi émerger du côté fintech…”

La “différence” belge?

Le rapport AI 4 Belgium estime qu’il y a une opportunité pour la Belgique de se différencier sur la scène internationale de l’IA en se positionnant plus particulièrement sur le terrain de l’IA éthique.

Notamment en “replaçant l’humain au centre de la réflexion” et en développant projets et compétences sur base du socle vertueux du respect de la vie privée. En ce compris en profitant des quelques mois ou années d’avance que procure une loi passée chez nous afin de faciliter, via des dérogations, le traitement de données personnelles à des fins archivistiques, de recherche scientifique, historique (Article 89 du RGPD).

Pierre Rion: “La Belgique est l’un des bons élèves du RGPD. Nous avons déjà démontré nos capacités et compétences en matière de protection de la vie privée, de la propriété intellectuelle…

L’un des avantages de la Belgique est sans doute aussi d’être un petit territoire et donc potentiellement plus agile. Quant à savoir si, dans ce domaine, on est réellement mieux positionné que la France ou l’Allemagne, cela reste à démontrer…”

Même écho du côté d’IBM (Wouter Denayer, CTO, et Philippe Dubernard, responsable Cognitive Solutions, secteur public): “La Belgique pourrait se différencier en devenant initiateur de certaines règles éthiques, réglementations, technologiques. Est-ce un rêve ou une réalité? L’avenir le dira. Mais il serait intéressant de se positionner pour ne pas toujours être uniquement des suiveurs, de ne pas attendre que l’Europe ou que d’autres pays nous imposent quelque chose.”

Ce n’est toutefois encore là qu’une piste de réflexion, sans plus, au sein de la coalition AI 4 Belgium. “Nous n’avons pas encore travaillé de manière précise sur ce qu’on pourrait faire en la matière. Ce sera pour la prochaine étape, l’occasion de relancer les groupes de travail et de travailler dans le concret.”

AI 4 Belgium: “Le développement, le déploiement et l’utilisation de l’IA doivent avoir lieu mais avec une attention particulière pour l’individu et les droits collectifs. […]  Les principes d’une IA fiable sont: orientée humain, responsable, non-discriminatoire, avec un respect de la vie privée et de la transparence.

Aligner les niveaux de pouvoir

Si l’on veut agir avec un maximum de chances d’impact et d’efficacité, une cohérence au niveau belge semble s’imposer. On le verra dans un tout prochain article (intitulé “Le retour du national?”), le message que beaucoup veulent faire passer est de favoriser une coalition des forces et des volontés… par-delà les clivages artificiels ou institutionnels.

Il y aura – forcément – des décalages, des spécificités, voire des bisbilles. Mais, pour l’instant, au stade actuel (encore fort préliminaire) du projet de future stratégie, les “astres” semblent vouloir s’aligner.

La cohésion de la stratégie entre niveaux de pouvoir sera nécessaire, ne serait-ce qu’en raison de l’éclatement des prérogatives. L’éducation, par exemple, est une compétence régionale ou communautaire, pas fédérale… De même, souligne Pierre Rion, le concept de “smart city”, lui aussi, est une compétence régionale. Et on pourrait multiplier les exemples.

Vers une union sacrée des universités en recherche?

La recherche belge n’atteindra un seuil critique minimal qu’en regroupant les forces actuellement dispersées dans les différents milieux académiques.

“Toutes les universités doivent coopérer”, insiste Pierre Rion. “Il faut constituer un pool de 50 ou 100 chercheurs et pérenniser l’effort d’attractivité et de rétention de chercheurs pendant une période de 5 ans minimum. L’environnement doit être stable et serein pour les chercheurs. Ils ne doivent pas passer leur temps à rechercher des fonds pour leurs travaux. Contrairement à la situation actuelle qui pousse les bons profils vont voir ailleurs…”

Pierre Rion: “Le rapport AI 4 Belgium n’est encore qu’une liste de recommandations. On n’en est pas encore au stade du plan. Mais le contenu du rapport trouvera bientôt un écho au niveau wallon avec de premières actions que va annoncer Pierre-Yves Jeholet dans les prochains jours, avec quelques moyens financiers à la clé. Et ce, dans une volonté d’immédiateté.”

Notons qu’en parallèle, le cabinet Jeholet a reçu les propositions et premiers avis du Réseau IA wallon…

Aux yeux de Pierre Rion, les premières actions d’“immédiateté” doivent porter avant tout sur une “conscientisation de la population”. Il prône plus particulièrement l’organisation d’événements à grande visibilité, “pourquoi pas une grande soirée télévisée, pour démythifier l’IA pour le grand public mais aussi pour les entreprises?”

Nathanaël Ackerman pointe lui aussi l’utilité d’événements de haut vol, mais au niveau des chercheurs et des professionnels. “Pour toucher un vaste public [et une grande visibilité], il serait bon que la Belgique soit présente et bien représentée lors d’événements internationaux, notamment pour accrocher le train de l’Europe et de ce que fait le consortium AI 4 EU, dont la VUB, notamment, est membre. La Belgique en tant que telle n’en est par contre pas encore membre…

En avril, une délégation belge participera par exemple à un de ces événements qui se déroulera à Paris [Ndlr: la European AI Night, 18 avril]. L’idéal serait ensuite d’organiser ce genre d’événement à Bruxelles, avec tous les acteurs et hubs IA européens…”

Quelques actions préconisées par le rapport AI 4 Belgium

– améliorer les outils et les normes pour aider les travailleurs à identifier leurs compétences ou les écarts de compétences et à trouver les programmes adaptés
– faire de la formation permanente une mission centrale dans toutes les écoles, en particulier les universités et les hautes écoles
– intégrer les implications des technologies et des données, ainsi que des exemples dans tous les cours de l’enseignement secondaire
– déployer l’IA comme aide à la formation individualisée, adaptée à chaque étudiant
– créer un comité d’éthique pour accompagner l’industrie, les autorités et la société dans les sujets éthiques et réglementaires
mettre en oeuvre un programme public de soutien aux projets IA ayant un impact social positif – dans les soins de santé, l’environnement, l’enseignement…
– mettre en place des instruments financiers pour permettre aux PME d’expérimenter avec l’IA
– positionner la Belgique comme “European IA lab” en s’appuyant sur l’article 89 du RGPD et en mettant en oeuvre des “sandboxes”
– créer une confédération de laboratoires belges et rejoindre des initiatives européennes
– créer un laboratoire national pour encourager la coopération entre chercheurs individuels, afin notamment d’encourager l’inspiration et la coopération avec les divers secteurs d’activités
– créer des programmes plus courts pour développer des compétences liées à l’IA (par exemple pour programmeurs, data translators…)
– établir des partenariats industrie-secteur public pour permettre aux étudiants doctorants en IA de travailler sur des applications concrètes. [ Retour au texte ]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A suivre: AI 4 Belgium (5). Le retour du national?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A suivre: AI 4 Belgium (5). Le retour du national?