Âge digital: les acteurs coutumiers, aussi, peuvent “pivoter”. Exemple? Les hôpitaux

Hors-cadre
Par · 14/12/2020

Le Smart City Institute, centre de référence académique (HEC Liège) dédié à la thématique des villes durables et intelligentes, avait organisé un récent atelier sur le thème “Rapprocher l’hôpital du citoyen: comment la smart city relève-t-elle le défi? ».

Au-delà de l’explication des grandes tendances déjà à l’oeuvre ou qui se profilent pour l’avenir des hôpitaux (voir plus bas), ce fut l’occasion de donner la parole à un porte-parole du CHR La Citadelle (Liège) qui, circonstances obligent, est venu expliquer comment et en quoi l’épisode Covid/confinement a forcé l’hôpital à accélérer certaines évolutions, nécessitées ou favorisées par la transformation numérique (tout en devant, bien entendu, remettre provisoirement au frigo d’autres projets).

Au-delà de quelques nouveaux projets qui sont nés dans l’urgence – tels que le recours à l’impression 3D (voir encadré ci-dessous) -, l’électrochoc de la crise a aussi eu un effet inattendu sur l’intérêt que l’hôpital octroie à la récolte et à l’analyse de données.

“La crise a eu pour effet d’accélérer notre utilisation du big data et de l’analyse de données”, témoigne Antoine Gruselin, gestionnaire de projets au CHR de la Citadelle. “Nous avions heureusement dans nos rangs un responsable business intelligence. Mais la crise a clairement décuplé l’utilisation afin de nous permettre, notamment, de nous projeter dans l’avenir, d’analyser et de nous préparer à d’éventuelles futures pandémies.”

Outre les données somme toute classiques déjà collectées (données médicales), l’utilisation et l’analyse de statistiques en tous genres (nombre d’hospitalisations, de décès, âge des malades…)  “permettent de savoir ce qui nous attend. Les données que nous avons pu utiliser, dûment anonymisées, ont également aidé la ville de Liège. Nous avons par exemple pu déceler des clusters dans certains quartiers de la ville, en analyser la typologie [démographique, culturelle…] et communiquer cette information à la Ville qui a pu envoyer des stewards de manière précise vers ses quartiers afin de rappeler les gestes barrière. Cela a permis de “dégonfler” ces clusters, évitant aux services municipaux de courir dans tous les sens inutilement…”

Les données comme créatrices de liens

La nécessité qu’a fait naître la pandémie de scruter davantage les données a aussi eu pour effet de rapprocher les professionnels – médicaux ou non. “Pour les besoins des analyses de données, des équipes qui ne se connaissaient ont commencé à travailler ensemble. Data scientists et médecins ont travaillé en équipes pluridisciplinaires afin d’analyser les données et de mieux réagir à la deuxième vague en comprenant mieux ses particularités.

A la Citadelle, nous avons eu jusqu’à 170 patients Covid hospitalisés en même temps mais nous avons mieux pu faire face à la deuxième vague parce que nous avons pu mieux gérer les ressources au regard de séjours plus courts…”

La crise a également inspiré de nouvelles idées. Ainsi, l’appli MyCHR qui est en préparation pourrait hériter de nouvelles fonctionnalités auxquelles on n’aurait peut-être pas penser d’emblée en temps “normal”. Imaginée à l’occasion d’un hackathon antérieur à la crise sanitaire, cette appli devait proposer parmi ses premiers fonctionnalités la possibilité de guider et d’informer les patients dès leur arrivée au parking, avec une personnalisation de l’information et de l’aide en fonction du “profil” du patient ou du visiteur (par exemple, personne à mobilité réduite, femme enceinte, personne âgée éprouvant des difficultés à se déplacer…).

En raison du Covid, explique Antoine Gruselin, l’idée a surgi d’utiliser l’application pour enjoindre aux patients de rester dans leur voiture et de les informer sur le moment où il peuvent venir en salle d’attente sans risquer de croiser les autres personnes, via synchronisation avec le rythme de visites ou d’examens des autres patients.

A terme, l’appui MyCHR devrait inclure bien d’autres fonctionnalités – guidage géolocalisé, commande de repas, accès aux données du dossier médical pour chaque patient (fonctionnalité encore à l’étude sous l’angle de la confidentialité des données), suivi de la convalescence du patient à domicile… “Nous commencerons par des fonctionnalités quick wins”, indique Antoine Gruselin. En ce compris, potentiellement, l’une ou l’autre fonctionnalité qui aurait émergé d’un projet de recherche “Etude d’Impact Santé” qu’entame le WeLL et qui se concentrera sur l’offre de “services inclusifs”.

L’exemple le plus emblématique qu’a révélé la crise sanitaire est le recours qu’ont fait les hôpitaux – et le CHR liégeois est du nombre – aux “makers”, fablabs et autres inventeurs d’objets nouveaux pour pallier aux pénuries (masques, dispositifs de protection, respirateurs…). Avec des bonheurs certes divers mais qui sont malgré tout révélateurs et significatifs. “Nous avons par exemple testé dans l’urgence de nouvelles idées en impression 3D”, indiquait Antoine Gruselin. “La production de masques, sur base de masques de plongée préexistants, furent finalement peu utilisés parce que deux “écoles” se sont croisées et qu’à l’époque – nous étions en mars -, aucune certitude n’existait sur l’efficacité du dispositif.”
Autre impulsion inattendue qu’a donné l’hôpital à des processus soudain dématérialisés: le fait d’avoir poussé certains commerçants à se lancer dans un début de processus numérique – en mode Click & Collect (ou, plus exactement) Click & Deliver – afin de fournir au personnel hospitalier des biens et services qu’ils n’avaient plus le temps d’aller chercher dans les magasins. “Le Click & Go n’existait pas auparavant chez ces commerçants. Nous avons initié des partenariats nouveaux avec des commerçants locaux pour initier un service Click & Go de fortune…” Un premier pas vers cette ouverture de l’hôpital à de nouveaux services qui pourraient s’installer, demain, à demeure? Ou en inspirer d’autres?

 

 

L’hôpital urbi et orbi

Parce que le contexte socio-thérapeutique se transforme, parce que les habitudes de vie – et les attentes – évoluent mais aussi parce que les technologies bousculent les processus et les “modèles”, l’hôpital tel qu’on l’a connu depuis des décennies, voire des siècles, est un concept en profond changement.

Le numérique est l’un des leviers et facteurs majeurs d’évolution. “Pour faire sortir l’hôpital de ses murs et pour lui faire ouvrir ses portes à de nouveaux acteurs et services”, expliquait Lara Vigneron, directrice du WeLL, le living lab wallon dédié à l’e-santé.

Plusieurs phénomènes contribuent déjà et s’accentueront sans doute à l’avenir pour “désincarcerer” l’hôpital:
– externalisation ou, plus exactement, dissimination de services médicaux non vitaux ou critiques sur le territoire
nouveaux services et potentiels d’hospitalisation à domicile (les capteurs et dispositifs connectés en tous genres y contribuent de même que le déploiement de réseaux à (plus) haut débit)
– hybridation entre accès aux soins en présentiel et à distance, en mode virtuel – on parle ici de télémédecine, de télé-consultations, de surveillance voire de diagnostic à distance ; une hybridation qui a connu un coup d’accélérateur en raison de la pandémie Covid-19, avec une accélération dans la mise à disposition de (nouvelles) technologies et solutions pour patients et soignants
– extension temporelle du rôle de l’hôpital qui, demain, n’interviendra plus uniquement dans le curatif mais “sera davantage actif en amont, dans la prévention, et en aval, via communications avec des structures tierces, par exemple pour la revalidation…”
– essor à la fois des échanges de données entre acteurs du parcours de soins et des pratiques collaboratives – échanges entre humains mais aussi entre humains et dispositifs automatisés. “Cela suscitera l’apparition de nouveaux services numériques pour le suivi du patient et la prévention mais aussi celle de nouveaux métiers pour l’hôpital dans la mesure où il aura accès à davantage de données, de types divers, et pourra s’en saisir et les analyser pour de nouvelles finalités”.

Là où hôpital et “smart city” se rencontrent…

Dans le contexte de cette évolution et morphing de l’hôpital, où ses besoins et évolutions croisent-ils et ont-ils besoin d’actions et d’acteurs relevant du concept de “smart city”, plus spécifiquement dans sa dimension “facilitation numérique”?

Lara Vigneron en énumérait quelques-uns: une aide à la localisation et aux communications avec les antennes de soins décentralisées qui reprendront en charge certains rôles classiques des hôpitaux ; la mise en oeuvre et la validation (en ce compris en termes de sécurité et de résilience) des canaux de communications temps réel ; la formation et la promotion de la littératie numérique pour les patients ; la responsabilité qui incombera partiellement à l’hôpital de veiller à gommer toute inégalité d’accès à ses nouveaux services (virtuels ou non).