TrajectoNav: 3D temps réel pour la trajectographie pour voies navigables

Pratique
Par · 13/10/2021

Du côté de Liège, un projet né et supporté dans le cadre du Plan Marshall et qui a entre-temps décroché d’autres projets de R&I et de cofinancement régional, a pris de l’ampleur, permettant à une spin-off de l’université de Liège de se positionner en spécialiste de la bathymétrie et de la trajectographie pour voies navigables.

Son nom? DN&T (Design Naval & Transports) (voir son petit portrait en encadré en fin d’article). 

Voici quelques mois, la société a bouclé un projet cofinancé par la Région wallonne dans le cadre d’un appel à projets Logistics in Wallonia. L’objectif? Mettre au point une version 3D et simulation temps réel de son logiciel de trajectographie.
Partenaire pour l’occasion: Fishing Cactus.

Le projet, baptisé TrajectoNav, avait pour but de développer, sur base des technologies d’animation, de simulation et de serious games dont Fishing Cactus s’est fait une spécialité, un simulateur 3D permettant de donner une touche de réalisme supplémentaire à la simulation de la navigation des bateaux pour calculer, analyser et optimiser les trajectoires en situation réelle de navigation ainsi que les aménagements nécessaires.

Sur base de quels types de données? Bathymétrie, type de voie d’eau (fleuve, rivière, canal…), informations sur les courants, les vents, les diverses conditions météorologiques (brouillard, par exemple)…

Le projet a été développé en collaboration avec l’ULiège qui a mis à disposition son bassin de carène pour des essais sur modèles réduits “en vue de calibrer le modèle numérique par rapport aux essais physiques”, explique André Hage, directeur et co-fondateur de DN&T.

Simulateur 3D

La solution de simulation logicielle de DN&T, baptisée TrajectoBat, permet d’effectuer des analyses de trajectographie en préparation de la construction d’une nouvelle voie navigable, installation maritime ou portuaire, ou de l’aménagement d’une infrastructure existante.

Source: DN&T.

Le but est de vérifier, valider ou préciser les adaptations nécessaires pour garantir les conditions de navigation, compte tenu des caractéristiques des bateaux, de la topologie et typographie de chaque lieu, des conditions environnementales (courants, météo…) mais aussi des contraintes réglementaires applicables.

Selon les projets et besoins de ses clients, la société DN&T vend son logiciel ou intervient en mode services, mettant alors ses propres ingénieurs à disposition pour gérer le simulateur, en collaboration étroite avec les pilotes des bateaux, afin de préparer et de développer modèles et scénarios.

L’évolution vers la 3D représente bien évidemment un progrès majeur en termes de réalisme et de précision. Pour la mettre en oeuvre, DN&T s’est donc tournée vers la studio montois Fishing Cactus.

Bouclé au printemps, le projet TrajectoNav a exigé deux ans de développement. Sur base des données techniques et des modèles fournis par DN&T (modèles testés dans le bassin de carène de l’ULiège) et de son simulateur 2D existant, Fishing Cactus a développé une version 3D temps réel. “La solution 2D pré-existante est une sorte de tracé technique sur lequel on a superposé une cartographie du genre Google Maps”, explique Bruno Urbain, directeur de Fishing Cactus et chargé du projet TrajectoNav. “Le mode 2D ne permet de simuler que quatre degrés de liberté.

Source: DN&T, Fishing Cactus.

En passant au 3D, on ajoute deux degrés de liberté supplémentaires. Le simulateur permet de simuler et d’analyser des paramètres tels que des sensations de pilotage comme le tangage, l’effet du débit, l’interaction avec la berge…

Passer au 3D et à six degrés de liberté est un gros défi. Cela complexifie fortement le calculateur qui doit jongler avec 50% plus de variables. Une autre difficulté consistait à préserver toute sa précision et son réalisme au calculateur.” A noter ici que les adaptations de modèles et d’équations ont été réalisées par l’ULiège.

 

Bruno Urbain (Fishing Cactus): “Nous avons fait découvrir le moteur Unity à DN&T, une solution que les sociétés d’ingénierie n’utilisent habituellement pas. De notre côté, nous avons découvert AutoCAD, le logiciel qu’ils utilisent. Et nous l’avons adapté aux contraintes du temps réel ou encore nous l’avons simplifié pour optimiser les vitesses d’exécution des modèles ingénieriques…”

 

Pour son développement, Fishing Cactus s’est servi du moteur de jeux Unity (bien connu par les concepteurs de jeux vidéo et autres jeux sérieux) et y a greffé des outils de modélisation procédurale: “Sur base de la topologie de cartes fournie par DN&T (zones habitées, boisées, industrielles…), nous pouvons confier à une macro l’analyse procédurale et peupler automatiquement les zones simulées.” L’un des avantages est d’automatiser cette partie du processus – et de réduire sensiblement le coût des développements. L’expertise acquise par Fishing Cactus en la matière devrait lui permettre d’appliquer cette technique à de futurs projets de développement – au-delà de la trajectographie fluviale…

Nouveaux potentiels

La solution de DN&T a en outre hérité récemment d’un nouveau module hydraulique, très utile pour la simulation et la validation d’infrastructures navigables aux eaux moins calmes qu’un canal. Ce module permet de prendre en compte, simuler et calculer les vitesses de courants, débits etc. pour les différents niveaux d’eau concernés. Ce potentiel s’est déjà révélé utile pour un projet porté par la Ville de Liège qui désirait aménager un port de plaisance le long de la Meuse à Jemeppe-sur-Meuse.

Canal Nimy-Blaton

L’élargissement du canal Nimy-Blaton intervient dans le cadre plus large de la réalisation de la liaison Seine-Escaut (tronçon Compiègne-Gand).
Le canal passera d’un potentiel limité jusqu’ici à des convois de 1.350 tonnes à une capacité de 2.000 tonnes. Pour ce faire, plusieurs passages devront être élargis, des berges aménagées, des courbures adaptées…

Le projet d’élargissement du canal Nimy-Blaton a, lui aussi, été l’occasion d’un développement spécifique. “Pour élargir le canal, il fallait recalculer et retracer sa largeur”, indique André Page. “Nous avons dès lors développé une nouvelle fonctionnalité permettant de gérer une section plus étroite d’une voie navigable, permettant aux bateaux de passer à 2 mètres du quai, de la berge ou d’une palplanche [poutrelle métallique de soutènement]. Cela permet de voir comment le bateau réagit, à quelle vitesse il peut évoluer sans danger…”

D’autres évolutions fonctionnelles sont encore planifiées pour la solution TrajectoBat, notamment de la simulation de croisement de bateaux.

La voie navigable mais pas que…

L’analyse et le travail de préparation et de validation des voies navigables concernent leur tracé, les contraintes de largeur, profondeur, débit, degré de courbures des tronçons, entrées et sorties d’écluse ou de port. L’analyse ne concerne pas toujours uniquement la navigabilité de la voie navigable proprement dite mais aussi, potentiellement, les aménagements effectués sur la berge ou la terre ferme.

En France, par exemple, pour les besoins de la construction de la liaison Seine-Nord, “une société désirait installer des restaurants flottants le long des berges”, explique André Hage.

“La VNF [Voies Navigables de France, opérateur national gérant quelque 6.700 km de canaux, fleuves et rivières canalisées] ne pouvait donner son accord que si une étude de trajectographie était réalisée pour prouver que les emplacements choisis n’empêcheraient pas de longs convois de passer”.

De même, DN&T est déjà intervenu lors de la construction ou de l’aménagement de ports intérieurs, “pour vérifier qu’ils ne provoquent pas de gêne en cas de stationnement de bateaux”, ou pour l’aménagement de zones dites de retournement (permettant aux bateaux de faire demi-tour).

Pas encore de clients 3D

Jusqu’ici, y compris pour le projet Seine-Nord et celui qui concerne l’élargissement du canal Nimy-Blaton, la solution de simulation et d’optimisation fluvio-maritime de DN&T n’a proposé qu’une interface 2D. 

Non seulement le potentiel 3D est plus récent dans le catalogue DN&T mais il est également plus onéreux. “En elle-même, la simulation 3D d’un bateau revient 50% plus cher”, estime André Hage.

Ses premiers clients 3D, DN&T pourrait les décrocher en Afrique. Outre les marchés belge et français, la société a en effet des ambitions sur cet autre continent, à commencer par le marché algérien. “Notre espoir est de pouvoir conclure un contrat pour la vente de notre simulateur à tous les ports d’Algérie. Pour des ports, le 3D est idéal. Notre simulateur permettra aux pilotes de s’entraîner…”.

Lorsque le client demandera du 3D, DN&T se tournera à nouveau vers Fishing Cactus pour l’accompagner dans la réalisation du projet personnalisé.

DN&T, spécialiste en trajectographie navale

Spécialisée dans la conception de bateaux, les études d’économie du transport et la trajectographie, la société DN&T (Design Naval & Transports), spin-off de l’ULiège, a vu le jour en 2006. Dès 2015, elle entamait une collaboration avec la française ISL, société d’ingénierie spécialisée dans les ouvrages et structures fluvio-maritimes, qui allait changer le cours de sa progression.
Trois ans plus tard, ISL prenait en effet une participation majoritaire de 80% dans DN&T. Fin de cette année, André Hage, le directeur et co-fondateur de DN&T, partant à la retraite, la start-up liégeoise sera totalement entre les mains de son partenaire français.
Le partenariat fut par ailleurs plus que bénéfique pour la croissance de la société puisque c’est grâce à ISL que DN&T a décroché l’un de ses plus beaux projets: un rôle dans la construction du canal Seine Nord (liaison fluviale Seine-Escaut).
Pour les besoins de ce projet, DN&T a réalisé la simulation de 80% de la longueur totale de cette liaison fluviale (80 km) afin d’en valider le tracé, l’implantation et disposition des ports, des aires de stationnement de bateaux, les entrées et sorties d’écluses… [ Retour au texte ]