Auto-diagnostic pour (aider à) rétablir l’équilibre des genres dans les métiers IT?

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Par · 24/06/2022

Les chiffres demeurent désespérément à un niveau bas: 28% seulement de femmes dans les métiers de l’IT et du numérique en Belgique – et même… 18% si l’on ne tient pas compte de métiers liés aux arts numériques, à l’infographie…

Depuis près de 40 ans, la proportion de femmes dans les métiers IT et numériques a plongé. Dans quasiment tous les pays. En tout cas en Occident. Depuis de nombreuses années, le signal d’alerte est donné. Les messages, initiatives diverses et variées sont lancés. Le clou “enjeu économique / pénurie de talents” est enfoncé. Sans grand effet. Le taux d’inscription de filles aux études numériques et/ou STEM végète.

L’UWE et l’AdN organisaient en cette fin juin un séminaire consacré à la question. Nombreux furent les témoignages, les exposés de vécus – nous reviendrons dans un prochain article sur certains des messages et propositions. Mais pas de remède-miracle, prévenant les différents orateurs et oratrices.

Un nouvel “outil”, toutefois, fait son apparition dans le paysage belge francophone: suite à une étude réalisée, à la demande de l’AdN et de l’UWE, par les centres d’études Lentic (laboratoire d’étude sur les nouvelles technologies, l’innovation et le changement) et EGID (gestion de la diversité) de l’ULiège, les entreprises vont pouvoir procéder à un petit examen de conscience, à une auto-évaluation de leur politique et de leurs pratiques en matière de genre, notamment à des postes et niveaux de responsabilités IT.

L’étude du Lentic

Cinq missions avaient été données au Lentic pour la réalisation de l’étude “Genre 2021 dans les métiers du numérique”:
– comprendre les causes de la disparité des genres sur le marché du travail, en particulier pour les métiers IT
– recueillir les témoignages de femmes actives dans des métiers de l’IT et du numérique (une quarantaine d’entre elles ont été interviewées)
– identifier les pratiques professionnelles
– rédiger un rapport scientifique, qui expose des projets innovants, présente diverses actions et initiatives prises tant en Belgique qu’à l’étranger, et formule des recommandations d’action à l’attention des entreprises, des acteurs publics et des autorités publiques (voir certaines de ces recommandations en fin d’article)
– développer un outil d’“auto-positionnement” pour les entreprises.

Pour son étude de la situation, la Lentic a procédé selon deux axes d’analyse. D’une part, une différenciation des entreprises selon qu’elles appliquent une approche de différenciation du genre (actions et politique volontaristes, spécifiques par rapport à la population féminine) ou de non-différenciation (démarche davantage neutre, selon une philosophie d’égalité des chances).

Dans les deux cas, l’étude a également tenté de déterminer si la démarche était “conscientisée” par l’entreprise, si elle était réellement en adéquation avec la culture d’entreprise. Tout en sachant, comme le soulignait François Pinchault, chercheur au Lentic et co-auteur de l’étude, “qu’aucune des deux approches n’est, en soi, meilleure que l’autre. Toutes les pratiques, de différenciation ou de non-différenciation, sont intéressantes…”

Autre axe d’analyse, le type et le niveau d’actions et de politique menée(s) par la société: les interventions sont-elles spécifiques, personnalisées en fonction de la situation ou de l’individu, ou sont-elles davantage de l’ordre macro: action sur les processus, la structure organisationnelle de la société?

De cette analyse en deux dimensions, les chercheurs ont déduit quatre positionnements possibles pour les entreprises. Une fois encore, souligne François Pinchault, “aucun positionnement n’est a priori mauvais ou excellent. Tout dépend du contexte, de la stratégie, des valeurs de l’entreprise…”

Cette précaution de langage (et d’analyse) étant établie, petit coup d’oeil sur les quatre démarches concrètes auxquelles toute entreprise peut s’identifier. Un petit schéma valant mieux qu’une longue explication, voici comment se présentent ces quatre positionnements…

Quelles pratiques concrètes trouver-t-on dans chacun de ces quadrants? L’étude de terrain réalisée par les chercheurs, auprès de dix sociétés, dont trois de petite ou moyenne envergure, a permis de mettre en lumière certaines pratiques.

Exemples?

Dans l’approche par homogénéisation: flexibilisation du temps de travail ; formations à l’auto-promotion afin d’identifier et de valoriser ses compétences (les femmes ayant tendance à moins affirmer leurs compétences) ; révision des offres d’emploi de la société afin de les rendre neutres en termes de formulation ou de sous-entendus genrés…

Dans l’approche par diversification: du coaching spécifique destiné aux femmes afin de les encourager à davantage postuler à des recrutements internes (ici encore, les femmes se montrent moins volontariste en matière de progression de carrière) ; évaluation des managers afin de vérifier s’ils ont intégré la problématique de la diversité dans leurs objectifs…

Dans l’approche par inclusion: organisation plus systématique de formations aux compétences numériques ; accompagnement de parcours de reconversion pour des compétences numériques (par exemple via des conventions avec des écoles de codage (BeCode, Ecole 19…) ; ouverture des postes à responsabilité aux travailleurs à temps partiel (une catégorie où l’on retrouve davantage de femmes…)…

Dans l’approche par déconstruction: conscientisation des managers de tous niveaux afin qu’ils oeuvrent à la “déconstruction des hiérarchies genrées” ; mise en avant de femmes via la promotion de rôle models ; organisation d’incubateurs pour projets numériques réservés aux femmes…

 

François Pinchault (Lentic, ULiège): “Une entreprise peut parfaitement, volontairement ou inconsciemment, appliquer des mesures qui relèvent de plusieurs positionnements. L’essentiel est qu’elle soit consciente de ses choix – et logique dans ses choix…”

Des pratiques transposables?

Des exemples cités par les chercheurs, il ressort clairement, primo, que les grandes entreprises ont été davantage étudiées lors de l’étude – même si plusieurs sociétés plus modestes (parmi lesquelles MyDataTrust ou Damnet) ont été sollicitées et, secundo, que la plupart des exemples de (bonnes) pratiques cités se retrouvent en effet du côté des grandes entreprises.

Ce prisme d’apparente “préférence” tient au cadre qui avait été défini pour le travail d’analyse, tel que fixé par l’AdN et l’UWE. “L’AdN a en effet considéré que suffisamment d’études avaient déjà été réalisées sur les “femmes entrepreneuses” dans le secteur IT et qu’il ne fallait pas se focaliser sur une méthodologie d’analyse prenant en compte les start-ups”, explique François Pinchault.

Selon lui, la mise en oeuvre de pratiques générées supposent “une certaine maturité dans le développement d’une politique RH pour qu’il y ait une réelle gestion de la diversité”. Et qui dit politique RH sous-entend l’existence d’une cellule ou d’un département RH. Que l’on ne retrouve que rarement au sein des PME… CQFD.

CQFD? S’il y a en effet moins de “départements RH” du côté des PME, il n’en reste pas moins que ces petites et moyennes entreprises sont elles aussi confrontées à la problématique de parité, d’égalité, de représentativité des femmes dans les recrutements et dans les équipes. 

D’où cette question: les pratiques mises en lumière dans de grandes entreprises, telles que Google, Belfius ou la Rtbf ou, côté public, au SPW, sont-elles transposables, applicables aisément par des PME et de petites structures? François Pinchault reconnaît que la chose ne va pas de soi – en raison, souvent, de la taille-même des entreprises.

Il prend un exemple: Google a adopté le principe du “no male-only panel”. Autrement dit, Google refuse désormais de participer à tout débat dont le panel serait uniquement constitué d’hommes. Histoire de pousser les organisateurs à y inclure davantage de femmes… En filigrane: si vous voulez que nous participions, veillez à un meilleur équilibre. “Google a suffisamment de poids pour pousser les organisateurs à changer la composition du panel”, reconnaît François Pinchault. “Une PME par contre…”

“D’une manière générale”, ajoute-t-il par ailleurs, “une pratique est parfois difficilement transposable d’une entreprise à l’autre [sous-entendu, même entre deux grandes entreprises]. Pour des questions de ressources, de taille, de culture, de stratégie…”

Conclusion? Il faut faire son shopping et adapter le contenu à la taille et à la forme du caddie… Ou, pour le traduire en termes plus séants dans la bouche d’un chercheur, “il faut une vision davantage contextualisée”.

L’“outil” d’auto-positionnement

Venons-en maintenant à cet outil d’auto-positionnement concocté, sur base de cette approche en quatre dimensions, et qui doit permettre à toute société – quelle que soit sa taille – de déterminer dans quel quadrant elle se situe (plus ou moins). Et donc quelles actions et/ou politique de rééquilibrage genré pourraient s’avérer utiles…

Pour s’auto-évaluer sur la réalité du genre et sur leur attitude face au déséquilibre genré, les entreprises sont invitées à répondre à un questionnaire en-ligne qui comporte 20 questions. “Un questionnaire simple et rapide”, destiné aux membres de la direction et DRH, “qui a surtout pour but de pousser à la réflexion et au débat interne”, souligne François Pinchault. 

Selon les réponses formulées, des recommandations ou “suggestions” sont générées. Si une entreprise s’avère par exemple n’agir qu’au niveau macro (les processus), elle pourrait se voir proposer d’y ajouter des mesures de rééquilibrage plus personnalisées.

“Si une société semble avoir pris des mesures qui correspondent à plusieurs quadrants, sans qu’aucune tendance se dessine réellement, le conseil sera de dire qu’il est temps pour la société d’assumer ou de clarifier ses choix. Vous semblez vous disperser ou peut-être les pratiques mises en oeuvre sont-elles le fruit d’un compromis… Est-il assumé, volontaire, ou inconscient? Dès lors, en fonction de votre culture d’entreprise, choisissez des pratiques plus cohérentes dans l’un ou l’autre quadrant…”

Six recommandations

Parmi les recommandations que formulent les chercheurs à l’issue de leur étude, voici six pistes qu’ils évoquent afin de (tenter de) résoudre le déséquilibre des genres dans les métiers de l’IT et du numérique:
– en matière d’enseignement: “intégrer des cours de connaissance des langages informatiques et de la programmation dès l’enseignement fondamental et secondaire”
du soutien transversal: “soutenir les filles qui veulent s’engager dans des études techniques et informatiques par des bourses, du mentorat, des stages, etc.”
– dans le registre du recrutement: “encourager les entreprises à revoir leurs processus de recrutement pour les centrer sur la reconnaissance des compétences plutôt que sur les diplômes, avec notamment une action vers les services publics pour supprimer les conditions de diplôme dans les métiers du numérique”
– des actions en matière de reconversion: “soutenir les projets de reconversion/ insertion professionnelle sous le modèle Ecole 42, Ecole 19 et BeCode et encourager les partenariats ainsi noués avec les entreprises” et, par ailleurs, “accompagner les migrants qui ont des expériences dans les métiers du numérique pour les aider à faciliter leur reconversion professionnelle et leur insertion”
– en matière d’accompagnement des entreprises: “accompagner les entreprises pour qu’elles intègrent systématiquement les femmes dans tout nouveau projet digital: comme chef de projet, analyste, ou même comme simple opératrice.”

On le voit, rien de révolutionnaire ou de très neuf. Toutes ces pistes, toutes ces idées ont déjà été mises sur la table. Parfois tentées. Peut-être pas assez, pas de manière assez structurelle, coordonnée et intensive. Mais, à ce jour, comme le soulignaient nombre d’intervenant(e)s du séminaire AdN/UWE, il n’y a pas de remède-miracle…