Rosa: “améliorer l’accès aux soins en travaillant sur les interfaces communes”

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Par · 29/01/2021

Rosa, une nouvelle start-up constituée en asbl, dévoile une première appli orientée médical qui devrait être le début d’une série de solutions et de “briques” fonctionnelles essentiellement orientées vers l’amélioration voire la restauration de la relation patient-soignant.

L’équipe fondatrice de Rosa. De g. à dr.: François-Xavier Orban de Xivry, Antoine Pairet, Sébastien Deletaille.

Rosa a été constituée voici environ un an par trois co-fondateurs qui avaient déjà eu l’occasion de travailler ensemble au sein d’un autre acteur du monde de la santé. En l’occurrence la coopérative MediSpring. Ce trio ce compose de Sébastien Deletaille (ex-Real Impact Analytics et ex-MediSpring), d’Antoine Pairet (initiateur de Dentisphere et lui aussi passé par MediSpring) et de François-Xavier Orban de Xivry (ancien acolyte de Sébastien Deletaille chez Real Impact Analytics et chez MediSpring).

“Rosa n’a nullement vocation à créer un nouveau dossier médical électronique ou un logiciel pour telle ou telle spécialité médicale…”, déclare Sébastien Deletaille. “Nous voulons devenir, par contre, l’application de référence pour les patients et oeuvrer dans le sens d’un secteur qui soit davantage interopérable, en veillant à l’intégration de nos solutions avec les systèmes fédéraux et régionaux à qui il revient de faire en sorte que le tout s’intègre avec les logiciels de santé.”

N’empêche que le premier produit de Rosa et le prochain sur sa liste “to do” visent directement, comme on le verra plus loin, les professionnels de la santé (autant que les patients) et viennent concurrencer des produits voire des fonctionnalités ponctuelles que l’on retrouve dans les catalogues de concurrents. Mais le positionnement majeur se fera donc un cran plus haut que l’offre d’applis spécifiques – davantage dans le champ de l’interaction et de l’articulation en visant comme fil rouge cette relation patient-soignant à restaurer et améliorer. 

“Nous nous intéressons aux interfaces communes, à l’amélioration de l’accès aux soins”. Ce qui ne veut pas dire que les frontières ou contours exacts soient toujours clairs…

Réinventer une relation patient-soignant “cassée”

Sébastien Deletaille estime que la relation traditionnelle, patient-professionnel de santé a été “brisée”, désossée, déconstruite, déséquilibrée par le passage au numérique. Et que ce même numérique doit donc être repensé pour reconstruire une relation vertueuse et plus humaine – puisqu’aussi bien “le tsunami de changement qui frappera le domaine de la santé est une force  inexorable”, selon Sébastien Deletaille.

A ses yeux, le caractère humain de la rencontre entre patient et professionnel humain a été cassé par le numérique. Le patient est mal informé. Ne s’y retrouve pas dans ce qui est proposé. Quant aux professionnels de la santé, ils sont obligés de passer sous de nouvelles fourches caudines pour effectuer certaines tâches, hier naturelles, sous le faux prétexte d’une simplification.

Premier logiciel

La première solution que dévoile Rosa est une application d’agenda médical; “gratuit à vie” tant pour les patients que pour les professionnels de santé.

Se différencier sera essentiel pour la jeune société. Pour l’heure, sa différence, avec son premier produit, elle la joue sur le “modèle” plutôt que sur le contenu. 

Le modèle? Il y a tout d’abord l’étage supérieur: une asbl “à finalité sociale, et non une structure destinée à enrichir des actionnaires” (voir plus loin davantage d’explication sur les raisons de ce choix de statut juridique).

Ensuite, le principe volontairement inhabituel d’une solution qui soit gratuite, à vie, pour les patients et pour les professionnels de soins. Tout simplement “parce qu’il n’est pas normal que les professionnels de la santé et les patients doivent payer pour fixer un rendez-vous”. D’autre part, “nous partons aussi du principe que si l’agenda médical devient gratuit, cela favorisera le taux d’adoption et l’accessibilité aux soins.”

La gratuité, sous cet angle, devient donc argument commercial. Rosa peut-il réellement espérer se faire une place sur le marché, face aux positions déjà acquises par les – nombreux – concurrents? “Ce genre d’outil est plus généralisé du côté des généralistes ou des dentistes. Toutefois, d’après les informations que nous avons pu réunir, le taux de pénétration n’y est encore que de l’ordre de 15 à 20%, ce qui reste très faible.

Ce genre de solution est totalement absente pour d’autres spécialités.”

Il y a aussi les solutions de prise de rendez-vous proposées par les hôpitaux, souvent développées en propre ou selon des exigences spécifiques à l’établissement. Cette partie du marché représente un défi plus difficile à relever pour les concepteurs d’applis d’agenda médical, en ce compris pour celle de Rosa: “dans l’état actuel, notre solution n’offre pas de compatibilité avec les fonctionnalités d’un hôpital [Ndlr: par exemple, réservation de salle, d’équipements, de ressources humaines dédiées aux tâches d’examens ou de labo…]. La complexité est plus élevée.” Ce défi sera relevé dans un deuxième temps.

La question de l’adoption par le marché, telle que la voient les fondateurs de Rosa, se définit également en termes de profil de la cible. Selon Sébastien Deletaille, il s’agit aussi de jouer sur la dynamique générationnelle. L“es médecins plus âgés restent fidèles aux prises de rendez-vous par téléphone ou aux consultations sans rendez-vous. Cette catégorie d’utilisateurs est bien entendu la bienvenue mais notre attention se focalise surtout sur la nouvelle génération de professionnels qui ont grandi avec la technologie et sur les professionnels qui ont l’habitude de travailler avec des patients plus jeunes. Une solution d’agenda médical en-ligne, c’est avant tout une question de changement sociodémographique.”

L’agenda médical selon Rosa.

Côté fonctionnel, l’agenda Rosa ne présente pas de “killer feature” qui lui permettrait de sortir du lot. Or, le “lot” en question est touffu. Des applis de prise de rendez-vous médical se sont multipliées ces dernières années – Progenda, DoctorAnytime, ToubipBip, MiKrono… Rosa reconnaît qu’on en compte une vingtaine sur le marché belge. 

Fonctionnalités proposées? Prise de rendez-vous pour consultations (y compris pour des cabinets où plusieurs professionnels officient), rappels, historique des rendez-vous précédents (avec statistiques diverses: rendez-vous manqués, nombre de rendez-vous…), recherche de professionnel par nom, localisation géographie ou spécialité.

De nouvelles fonctionnalités devraient être ajoutées d’ici six mois, “à commencer par un potentiel d’accès aux services de téléconsultation, notamment chez le généraliste”.

Les applications futures

L’appli d’agenda en-ligne ne sera donc qu’une première de cordée. La jeune start-up promet déjà d’autres outils numériques “destinés notamment à accélérer l’adoption des attestations et factures électroniques”.

Prochaines priorités sur sa “to do list”: la prise de rendez-vous à l’hôpital et l’attestation électronique.

Cette dernière “sera notre priorité en 2021 comme elle est d’ailleurs une priorité du fédéral mais, dans l’état actuel des choses, elle n’est encore présente que chez les généralistes [taux de pénétration estimé de 70 à 80%] et chez les dentistes [environ 20% sont équipés]. 

2021 sera une année décisive pour toutes les autres spécialités et nous voulons être un des acteurs dans ce champ-là – pour les kinés, les logopèdes, les métiers para-médicaux…”

 

Sébastien Deletaille (Rosa): “L’agenda en-ligne n’est pas notre destination finale qui est de permettre une gestion numérique efficace de la santé. Mais nous avons décidé que l’agenda serait notre première étape parce que la relation patient-soignant commence par le rendez-vous.”

 

Le “modèle” asbl

Pour pérenniser son offre, le côté “fleur au fusil” ne saurait suffire. Si Rosa claironne sa volonté de proposer une appli d’agenda médical “gratuite à vie”, comme premier pas dans la constitution d’un catalogue de solutions, la start-up adopte en réalité une démarche freemium, avec certaines fonctionnalités qui seront proposées à titre payant.

Ainsi l’agenda médical Rosa propose deux fonctions payantes: la notification de rendez-vous par SMS (“parce qu’envoyer un SMS a un coût”) et l’accès à un call center pour les professionnels ayant besoin d’un support ou d’une formation à l’utilisation de la solution.

Il se peut – mais la décision doit encore être prise – qu’une partie des fonctionnalités de prise de rendez-vous en hôpital soient également en mode premium. “Les choses évoluent tellement vite dans le secteur que nous ne voulons pas nous bloquer par des décisions précoces. Les réponses émergeront d’elles-mêmes avec le temps…”

Le choix du statut juridique d’asbl, quant à lui, est à la fois un plus et un défi. “Le statut d’asbl nous permet de viser des flux financiers au-delà des revenus opérationnels. Nous pouvons faire appel à des fonds, à des donations, à des subsides…”, souligne Sébastien Deletaille. 

“Au stade actuel, pour notre lancement, nous bénéficions du soutien du fonds Partena Promeris qui se donne pour rôle d’accompagner des projets innovants [Ndlr: sur son site, Partena Promeris parle d’“encouragement de l’entrepreneuriat social” et de “soutien au développement d’entreprises apportant une plus-value sociale pour la collectivité”].

La convention passée porte sur une durée de trois ans, Partena Promeris couvrant en quelque sorte les risques de création. A nous de concrétiser un produit ayant un impact sur la santé. 

Nous nous donnons ainsi le temps de trouver les moyens de pérenniser l’activité, le temps de réussir.”

Le délicat concert entre privé, public, calimeros et oligopoles

Une start-up ne saurait espérer résister aux forces à l’oeuvre dans le monde de la santé – côté acteurs de terrain et côté autorités publiques – en se la jouant solo. Raison sans doute pour laquelle Sébastien Deletaille insiste sur la connotation collégiale que Rosa compte donner à sa démarche, dans sa quête de place au soleil. 

En jeu, notamment, le débat sans cesse recommencé et reconfiguré du rôle des autorités publiques – à l’étage fédéral et/ou régional – pour l’offre de services, d’applis, de plates-formes, de cadre… Où s’arrête, logiquement, idéalement, l’offre de solutions par l’Etat? Jusqu’où des initiatives privées sont-elles nécessaires, voire désirables?

“Chaque partie a un rôle à jouer”, estime Sébastien Deletaille. “La transformation de la santé numérique doit être le résultat d’une action en consortium où chacun apporte sa pierre à l’édifice.

L’Etat est avant tout un régulateur. Mais il est clair qu’il est allé plus loin jusqu’ici. Pour plusieurs raisons. D’une part, parce qu’une dynamique oligopolistique est à l’oeuvre dans le domaine des solutions de gestion de santé. Les concurrents sont sans doute nombreux mais que cette multiplicité ne se traduit pas par un effet positif sur les prix, qui restent trop élevés, et par une amélioration de la qualité de ce qui est proposé. Je demeure toujours étonné par le fait que la concurrence, la multiplication des solutions et des applis n’aient pas d’effet d’amélioration par le haut…

Sébastien Deletaille (Rosa): “Rosa va exposer les dynamiques non transparentes des acteurs oligopolistiques, en insistant sur le fait que l’industrie doit adopter des normes plus interopérationnelles ou en approchant le régulateur pour qu’il intervienne.”

Les firmes médicales se contentent d’offrir quelques petits avantages financiers afin d’attirer des utilisateurs mais les seuls vrais progrès n’interviennent que quand ils y sont forcés par le régulateur. Ce dernier a donc été contraint d’étendre son champ d’action parce que l’industrie ne joue pas son rôle d’innovateur.”

Comment, sous l’angle et dans la position qui est celle de Rosa, voit-il cette “action en consortium”? “Nous voulons faire en sorte qu’un maximum d’acteurs se joignent à nous, pour travailler ensemble. Des contacts ont été noués avec le régulateur, avec d’autres asbl qui ont été mandatées par les autorités fédérales ou régionales pour améliorer la gestion de la santé en matière de collecte de données, de sécurité des échanges, de transfert de données… [Ndlr: parmi ces autres acteurs, on devine notamment les Réseaux Santé, les plates-formes eHealth, MyCarenet…]

Le niveau fédéral a été contacté. Nous n’avons pas encore de discussions avec le niveau régional mais c’est prévu. Tout comme nous rencontrerons une dizaine d’éditeurs de logiciels médicaux dans les prochaines semaines.” Objectif: “casser la domination des champions oligopolistiques”.

L’un des objectifs sera de faire davantage la transparence sur leurs pratiques – “sait-on par exemple qu’ils marchandent, via des rétro-commissions opaques, la possibilité qu’a une solution de venir se greffer et pouvoir ouvrir ou intégrer une fiche dans leur logiciel médical?

C’est là une pratique qui appartiendra bientôt au passé parce qu’elle ne correspond plus aux valeurs actuelles… Rosa va exposer ces dynamiques non transparentes en insistant sur le fait que l’industrie doit adopter des normes plus interopérationnelles ou en approchant le régulateur pour qu’il intervienne.”