Naissance d’un Institut belge du Numérique Responsable

Article
Par · 28/10/2020

Olivier Vergeynst est actif dans le conseil et la gestion de projets “green IT” depuis déjà quelques années. Que ce soit pour les besoins d’entreprises (généralement de grande taille) ou pour ceux d’associations ou de pouvoirs publics.

Aujourd’hui, il se retrouve à la tête d’une nouvelle initiative qu’il a crée avec 11 autres fondateurs et qui s’appuiera par une petite constellation d’acteurs assez hétérogènes (consultants, enseignants, chercheurs, responsables informatiques…). L’ISIT – Institute for Sustainable IT, ou Institut belge du Numérique Responsable – ambitionne de structurer, de mieux accompagner et de faire évoluer les actions de responsabilisation environnementale du phénomène numérique – sous toutes ses coutures.

L’ISIT se donne deux objectifs majeurs:
– informer, sensibiliser et favoriser des pratiques plus vertueuses afin de réduire l’empreinte environnementale du numérique
– susciter la création de ‘valeurs durables” et l’“innovation responsable” via le numérique.

Nous avons interrogé Olivier Vergeynst sur les raisons qui l’ont amené à créer l’ISIT et sur ses ambitions.

Consultant certifié en “green IT” (et ancien directeur R&D d’Ingenico), Olivier Vergeynst a créé, voici près de deux ans, la société de consultance Green IT Belgium.

Ses galons de consultant en “IT verte”, Olivier Vergeynst est allé les chercher outre-Quiévrain, notamment à l’Université de La Rochelle.

Le numérique “durable” ou “responsable”, la nécessité de réduire l’empreinte toujours plus massive qu’impriment les outils et solutions numériques (cloud, objects connectés, capteurs omniprésents, infrastructures galopantes…) sur les ressources terrestres et sur le délicat équilibre environnemental, sont devenus des concepts assimilés et acceptés par un public grandissant. Le politique, lui aussi, s’en saisit de plus en plus – en tout cas sous le couvert de déclarations d’intentions (Green Deal européen, accents de transition environnementale dans les Déclarations de Politique régionale…) mais, constate Olivier Vergeynst, un énorme travail de fond doit encore être accompli.

“Quand on essaie d’identifier des acteurs qui agissent ou qui ont les connaissances nécessaires pour aider les entreprises, grosses consommatrices d’informatique, ou encore les associations et les pouvoirs publics à réduire l’empreinte environnementale de leurs structures informatiques et solutions numériques, on constate deux choses. D’une part, ces personnes pouvant les aider sont peu nombreuses. Et quand elles existent, elles ont toujours des motivations commerciales. D’autre part, les entreprises ont encore peu pris conscience de l’impact du numérique ou du fait que des acteurs existent pour les aider.

Il manquait en outre encore, en Belgique, un acteur structurant.” C’est ce que veut être le nouvel  Institute for Sustainable IT.

Côté wallon, l’Agence du Numérique a certes reçu, dans la foulée de la dernière Déclaration de Politique régionale, la mission supplémentaire de s’occuper du numérique responsable mais, estime Olivier Vergeynst après les avoir consultés, “il s’avère qu’ils ont déjà pas mal de missions à couvrir et peut-être pas assez de moyens et de compétences en interne pour couvrir ce terrain. L’aide de l’ISIT sera donc la bienvenue.

Pour ma part, je m’intéressais depuis quelque temps de plus en plus au besoin qu’il y a de dépasser le cadre des seuls projets et missions de consultance pour de grandes entreprises. Un peu à la manière de ce que l’Institut français du Numérique Responsable (INR) a réalisé.”

Un parrain français

Tout comme Green IT Belgium est en quelque sorte le pendant belge de Green IT France, c’est aussi en France qu’Olivier Vergeynst a trouvé une partie de son inspiration et de sa motivation pour lancer l’ISIT.

“En France, c’est d’abord un “club Green IT”, orienté vers les grandes entreprises, qui s’est constitué et qui a ensuite évolué pour devenir l’Institut du Numérique Responsable. Il a alors élargi son domaine d’action, travaillant en ce qu’ils appellent des “collèges”: grandes entreprises, collectivités locales, enseignement, associatif, PME…

Olivier Vergeynst (ISIT): “Le fait qu’un consultant soit certifié “green IT”, parfois d’ailleurs une ancienne certification qui doit être réactualisée, n’apporte rien en soi. C’est comme pour le permis de conduire, ce qui importe c’est la qualité de conduite.”

C’est ce qui m’intéressait: viser une information à un plus large public et selon des tarifs plus abordables que ceux pratiqués par les consultants pour les grandes entreprises et, par ailleurs, élargir la vision au-delà de l’environnemental pour couvrir d’autres aspects sociétaux.

C’est d’ailleurs aussi l’approche que veut privilégier l’AdN. Pour eux, l’ISIT est un instrument idéal qu’ils supporteront afin de pouvoir les aider dans leur propre mission.”

Chez son grand frère français, l’ISIT ira notamment chercher des outils et contenus à réutiliser: contenus de formations, outils de certification, expertise en labellisation. Il est aussi question d’organiser des événements en commun “en ce compris pour parler d’une seule voix à destination de la Commission européenne.

En dehors de l’INR France et de l’ISIT belge, un institut similaire vient de se créer en Suisse. A trois, nous formons un petit réseau qui, à terme, ambitionne de devenir une sorte d’association d’associations, au niveau international ou à tout le moins européen.”

Des pistes à différents niveaux

En plus du soutien de son homologue français, Olivier Vergeynst espère pouvoir bénéficier d’une aide concrète (y compris financière) des Régions (Wallonie et Bruxelles-Capitale, notamment) et de l’Europe.

Au niveau régional, des demandes de subsides ont été ou seront introduites qui ne devraient toutefois pas se matérialiser avant le début 2021.

Dans l’intervalle, l’ISIT a reçu une petite aide ponctuelle de l’AdN pour la réalisation de sa vidéo de lancement. Du côté de Bruxelles, les premières rentrées financières se feront via des missions de conseil et de sensibilisation.

A noter ici que le CIRB (le Centre Informatique de la Région bruxelloise) s’est déjà fait membre de l’ISIT. “Nous les accompagnerons dans leur démarche d’informatique responsable pour les aider à la structurer, à la rendre plus visible, voire à décrocher un label. 

Au-delà de l’action que nous pourrons mener à destination de l’administration, notre but, tant avec la Région wallonne qu’avec la Région de Bruxelles-Capitale, est d’embarquer un maximum d’entreprises dans le green IT et dans l’IT for green, afin de promouvoir leur compétitivité et leur pérennité.”

Les actions pourront prendre diverses formes: ateliers de sensibilisation, réalisation de capsules vidéo, formations certifiantes, offre de guides d’achats (numériques) responsables…

A l’échelon européen, des discussions ont été entamées avec la DG Connect “qui veut promouvoir l’existence et les actions d’acteurs comme l’Institut, des acteurs neutres, non commerciaux.”

Pour l’heure et pour les mois à venir, l’ISIT fonctionnera essentiellement sur base du travail bénévole des personnes qui l’ont mis sur pied ou qui s’y sont ralliées au cours de ses premières semaines d’existence.

“Nous comptons vivre des subsides, des cotisations des membres et des missions de conseils. Les subsides nous permettront d’engager un collaborateur ou deux mais en restant lean et flexible. Nous nous appuierons surtout sur le travail des membres, qui animeront les groupes de travail, et sur notre réseau. Nous n’avons nullement l’intention de devenir un éléphant. C’est le même principe qu’a adopté l’INR français. Leur petite équipe se concentre sur la gestion de projets, l’organisation d’événements et de formations – ces dernières étant assurées par des acteurs qui sont loin d’être tous membres de l’INR…”

Pour l’heure, l’ISIT fonctionne essentiellement sur base du bénévolat des co-fondateurs et des membres du conseil d’administration (où siègent notamment les CIO de Belfius et de la Croix-Rouge, une gestionnaire de programme ou encore le responsable du développement commercial de l’asbl Be WaPP – Wallonie Plus Propre).

Multitude d’actions

L’“Institut” sera tout à la fois un cercle de réflexion et d’actions, un influenceur, et une sorte de plaque tournante et d’organe-orchestre pour une série d’initiatives et d’acteurs existants.

Ses actions seront potentiellement multiples et variées, comme on l’a déjà évoqué précédemment: ateliers de sensibilisation, formations, promotion de parcours de labellisation (ces deux dernières activités étant confiées à des intervenants extérieurs, adhérents ou non de l’Institut), promotion de bonnes pratiques (éco-conception, achats responsables, recyclage, préconisation d’applications frugales en bande passante, matériels minimisant le recours à des ressources naturelles…).

 

Olivier Vergeynst (ISIT): “L’une des erreurs que l’on commet parfois et qu’a sans doute commise la Région wallonne du temps d’EuroGreenIT, est de vouloir voir dans le numérique responsable un moyen de créer des emplois green IT. Il s’agit en fait, via le numérique responsable, de faire autrement un travail que l’on fait déjà. Les développeurs, chefs de projet restent des développeurs et chefs de projet mais le font autrement, en comprenant leur impact. Le mot-clé n’est pas la création d’emploi mais la compétitivité et la durabilité.”

 

En plus des entreprises, grandes ou petites, et des acteurs publics, l’action de l’ISIT visera aussi le monde de l’enseignement, avec des sessions d’informations à destination des élèves et étudiants mais aussi des chercheurs universitaires eux-mêmes. 

Le fait d’agir avec et envers les laboratoires universitaires permettra – c’est l’espoir – d’avoir un impact sur l’orientation des travaux des chercheurs, que ce soit dans le cadre strict de leurs travaux ou dans celui de leurs contacts avec le monde de l’entreprise ou de l’industrie. A noter au passage que, parmi les douze fondateurs de l’ISIT, figure le nom de David Bol, professeur en circuits et systèmes électroniques à l’Ecole Polytechnique de l’UCLouvain: “Ses recherches se concentrent sur le secteur de l’électronique mais l’une de ses préoccupations est d’insister sur la nécessité qu’il y a à viser des besoins réels et non pas à créer la technologie pour la technologie. Il faut qu’il y ait, à la base, un besoin positif, plus sociétal que commercial.”

Source: Interface3 Namur.

Vis-à-vis du monde de l’enseignement (écoles, Hautes Ecoles et universités), Olivier Vergeynst cite plusieurs pistes d’actions possibles: “aider les enseignants à enseigner le numérique responsable aux étudiants, aider les chercheurs à travailler eux-mêmes sur les bonnes pratiques, à orienter les demandes émanant du secteur industriel, et à intégrer dans leurs projets de recherche des arguments plus en phase avec le Green Deal européen, en sachant que l’allocation des fonds de recherche – Feder ou autres – dépendront aussi en partie de l’existence d’une composante numérique durable.

Un autre axe d’action concerne la sensibilisation à destination du grand public que l’ISIT effectuera en duo avec des universitaires. Je prépare ainsi une émission avec le professeur Jean-Pierre Raskin [UCLouvain], destinée à une télévision locale…”

L’empreinte environnementale et plus encore

Au-delà de l’empreinte purement environnementale du numérique, l’ISIT a également l’intention de sensibiliser et de faire évoluer mentalités et comportements afin de combattre l’impact négatif que peut avoir le numérique sur la fracture sociale ou sur des paramètres économiques.

Cela peut, a priori, paraître étonnant qu’un organisme qui évolue sous la bannière du “numérique responsable” s’engage sur le terrain de l’inclusion numérique, de l’impact sociétal, voire même de l’éthique. Mais “tout cela se tient”, souligne Olivier Vergeynst. “Des ateliers de réinsertion sociale sont par exemple actifs dans le reconditionnement d’équipements. Dans le monde de l’enseignement, on parle de projets d’équipement en numérique des écoles mais sans coordination, sans mettre l’accent sur les choix environnementaux ou sur l’impact qu’a le fait de choisir tel ou tel fournisseur.

 

Olivier Vergeynst (ISIT): “Ne s’adresser qu’à la dimension environnementale serait limitatif. Il y a bien plus de choses à faire ensemble, pour une réflexion plus large, pour avoir plus de poids.”

 

L’organisation Justice et Paix mène quant à elle des actions de sensibilisation dans le monde de l’enseignement sur les conditions de travail pour l’extraction des terres rares [qui sont utilisées notamment pour produire nos smartphones]. Leur réseau d’action est aussi celui dont nous avons besoin pour faire passer nos messages. Travailler de concert garantit davantage de résonance et permet de s’ouvrir mutuellement des portes.

Ne s’adresser qu’à la dimension environnementale serait limitatif. Il y a bien plus de choses à faire ensemble, pour une réflexion plus large, pour avoir plus de poids.”

Vers un label européen?

En 2019, l’Institut français du Numérique Responsable lançait un label “Numérique Responsable”. Avec un triple objectif: “accélérer la prise de conscience et le passage à l’acte d’un maximum d’organisations publiques et privées ; les aider à monter en compétences sur le sujet ; reconnaître et valoriser l’engagement des organisations dans ce domaine.”

Label français Numérique Responsable. Source: INR.

Modalités de mise en oeuvre et d’application? Le label repose sur:
– un référentiel d’autoévaluation, avec liste de bonnes pratiques
– un processus de labellisation pris en charge par l’Agence Lucie (qui propose des solutions et formations aidant organisations et entreprises à “devenir des acteurs de la transition”)

– des exercices d’audit par le cabinet Veritas ou la SGS (Société Générale de Surveillance)
– la délivrance du label par un comité de labellisation piloté par l’INR.

Le label dont l’ISIT belge fait une de ses ambitions à terme s’appuiera sur le label français. “Le but est d’ailleurs de lui donner une portée européenne”, souligne Olivier Vergeynst (ISIT). “L’Agence Lucie a d’ailleurs le soutien de l’Europe et les cabinets d’audit SGS et Veritas sont actifs au niveau européen.

Il devrait donc n’y avoir qu’un seul et même label même s’il faut réactualiser le contenu des critères et la liste des bonnes pratiques.”