intoPix: nouveaux horizons pour l’initiateur (brabançon) de la norme JPEG XS

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Par · 31/01/2019

Ce n’est pas tous les jours – ni même toutes les décennies – qu’une société belge se retrouve à l’origine et à la manoeuvre pour la définition et l’adoption d’une nouvelle norme ISO. C’est pourtant ce qu’IntoPix, spin-off de l’UCLouvain, a engrangé comme haut fait d’armes. C’est à elle en effet que l’on doit dans une très large mesure les spécifications de la norme de compression d’image JPEG XS. 

Nouveaux horizons

En initiant le format JPEG XS, c’est à un champ d’application nettement plus large que le marché d’origine de ses premiers codecs que s’ouvre la société. A ses débuts (2009-2013), les principales cibles commerciales pour ses solutions de traitement et de compression d’image étaient le cinéma numérique, les télédiffuseurs et les producteurs de contenus diffusés en direct – événements sportifs, essentiellement.

Désormais, c’est tout à la fois des utilisateurs professionnels, industriels et grand public qui pourraient amener à la société des revenus tirés des licences de ses produits. Et elle l’a encore prouvé, tout récemment, en participant, en nouant des contacts et en se donnant de la visibilité lors du CES Show de Las Vegas.

Une progression exponentielle

Du SD au 8K, un fossé gargantuesque… Gaël Rouvroy, CEO d’intoPix, cite quelques chiffres:
“Le passage du SD (single density) au HD (high density) avait multiplié le débit par 10 puisque l’on passait de 10 mégapixels/sec. à du 100 mégapixels/sec.
Le 4K multiplie ce débit par 4.
Idem avant l’avènement du 8K, avec un débit qui se chiffre à… plus de 2 gigapixels/sec.
Par ailleurs, on s’attend à un triplement des flux vidéo d’ici 2021.”

Le fait est que la gestion – et la compression – d’images sont des thématiques plus que porteuses: elles sont devenues un passage obligé à l’heure des téléviseurs 4K (et demain 8K) et des multiples applications de l’image (très) haute définition qui touchent tous les secteurs: télévision, jeux vidéo, réalité virtuelle, vision 360°, simulation, vision industrielle, caméras de surveillance, caméras embarquées – non seulement sur les smartphones mais aussi sur les véhicules autonomes et les drones…

JPEG XS, c’est…

– un algorithme de compression, faible latence (de l’ordre de la microseconde) et faible consommation, exigeant moins de bande passante (intéressant par exemple pour les environnements sans-fil), et n’impliquant aucune perte de qualité jusqu’à un taux de compression de 6:1 (l’absence de perte visuelle est même promise jusqu’à 15:1)

une réduction du volume de données qui contribue à diminuer la consommation énergétique, point faible des équipements mobiles

– une norme de compression puisque la technologie proposée par intoPix, parmi les six soumises à l’ISO, a finalement été retenue par cette dernière

– une multitude de champs d’application: production et montage vidéo en direct, écrans connectés et appareils mobiles, connectivité sans fil, systèmes ADAS (aide à la conduite automobile), vision artificielle, imagerie médicale, systèmes de réalité virtuelle ou augmentée, réseaux audiovidéo sur IP…

– Si la technologie TICO XS d’intoPix a constitué le socle et l’essentiel de la solution de compression finalement adoptée par l’ISO, plusieurs autres acteurs ont apporté leur contribution pendant la phase finale du processus de normalisation qui a duré environ 18 mois. Parmi eux, des acteurs commerciaux tels que Canon mais aussi des instituts de recherche tels que le Fraunhofer Institute. L’UCLouvain et la VUB sont quant à elles intervenues lors de la phase d’évaluation de la qualité.

La course à la puissance et/ou à l’efficacité

Le but des algorithmes et mécanismes de compression est d’optimiser la transmission et l’exploitabilité des images. La course semble être sans fin, à mesure que les résolutions et que les besoins en images explosent. Les travaux d’optimisation se poursuivront encore à l’avenir, notamment pour permettre des transferts efficaces et sans déperdition de qualité ou de valeur d’informations via des réseaux câblés ou des connecteurs moins gourmands, moins spécifiques et moins onéreux, ou encore via les réseaux sans-fil.

L’une des contraintes à respecter dans le cadre de la création de cette nouvelle norme de compression JPEG XS était de garantir une parfaite préservation de la qualité d’images jusqu’à un taux de compression de 6:1. Ira-t-on plus loin demain? Quels secteurs exigeront de nouveaux potentiels et garanties de qualité? La prise de conscience de gains substantiels en matière d’efficience énergétique mènera-t-elle à d’autres développements pour compenser la soif de puissance et d’hyper-résolution, ogres énergétiques quasi par définition?

Voitures autonomes. Tout l’enjeu de la qualité des images et du ratio précision-efficacité-sécurité.

Pour l’heure, pour rester un instant dans le registre compression vs qualité/précision, on remarquera que les taux de compression jugés acceptables varient selon l’application destinataire. Il y a notamment un gros delta selon que l’utilisation soit humaine ou le fait d’une “machine” – physique ou virtuelle (un algorithme IA par exemple).

“Avec le JPEG XS, un taux de compression 15:1 ne pose aucun problème à l’oeil humain, qui ne détecte aucune différence, par exemple sur des images TV ou celles d’un jeu vidéo qui seraient transmises, compressées, depuis la console jusqu’à l’écran TV installé à distance, souligne Jean-Baptiste Lorent, directeur commercial et marketing d’intoPix. “Par contre, en matière de véhicules autonomes, le raisonnement est différent”. 

Dans ce domaine, la course à la résolution est considérée comme vitale afin de permettre aux voitures autonomes (notamment) de détecter correctement la nature et/ou la dangerosité d’un obstacle. “Les acteurs du secteur préfèrent donc jouer la sécurité et préserver l’image d’origine”. Une image qui devrait donc devenir de plus en plus “lourde” (le passage au 4K, en venant du HD, est déjà une certitude), exigeant des puissances de transfert interne et de calcul embarqué toujours plus énormes. Ou l’incursion croissante de l’intelligence artificielle et des algorithmes d’analyse…

Mais on se dirige sans doute vers une diversification des niveaux d’exigences auxquels adhéreront constructeurs et équipementiers – capteurs, câbles, connexions sans-fil, processeurs… En d’autres termes, un florilège d’options pour le “conducteur” de demain – HD ou low cost…

Comment la société voit-elle son avenir?

Ces dernières années, IntoPix a affiché un taux de croissance annuel moyen de 30% et a doublé ses effectifs. Elle compte bien poursuivre sur cette lancée “même si la croissance n’est pas un but en soi”, souligne Gaël Rouvroy, co-fondateur et patron d’IntoPix.

Côté chiffre d’affaires, la société, qui a engrangé 3,4 millions d’euros lors de son dernier exercice, dégageant un bénéfice supérieur à un million, espère pousser à 4 voire 5 millions cette année.

Les fruits de la norme JPEG XS, dont elle est le principal contributeur et dès lors bénéficiaire financier (sous forme de licences), ne se concrétiseront toutefois qu’à moyen terme. Il faudra en effet sans doute deux ou trois ans avant de voir apparaître les premiers équipements et dispositifs “compatibles”. 

D’ici 5 ans, la société veut porter son effectif à 50 unités. Il est actuellement de 30, en forte augmentation depuis deux ans. “L’équipe support a été renforcée, la moitié de notre département marketing/ventes a moins de deux ans. Mais c’est surtout en R&D que nous avons investi”, explique Jean-Baptiste Lorent.

Et le recrutement se poursuit. Profils recherchés dans l’immédiat? “Des ingénieurs en électronique, électromécanique, informatique – juniors comme seniors.”

L’avenir passera aussi par l’intégration, dans le catalogue de la société, d’un nombre accru de technologies. “De sept actuellement, nous voulons passer à 21 d’ici cinq ans.” Comment? “En proposant nos technologies sur davantage de codecs, sur davantage de plates-formes – CPU et GPU.” Mais aussi en diversifiant l’offre.

Voici cinq ans, le catalogue d’intoPix se limitait essentiellement à son algorithme de compression TICO (relire à ce sujet le portrait que nous avions dressé de la société, dès 2013). C’est l’évolution de cette solution qui a donné naissance au JPEG XS.

Entre-temps, intoPix a également conçu le Tico RAW, dévoilé lors du CES 2019. Il s’agit d’un codec pour capteur d’image garantissant une faible consommation et une exploitation directe des données RAW. Le Tico-RAW permet en effet de compresser les données RAW (données brutes qui n’ont pas encore subi de traitement d’image) directement au départ du capteur, et non pas les données RVB intermédiaires produites par une étape d’interpolation, comme c’est le cas avec d’autres codecs. La société dit ainsi mieux respecter les potentiels des données brutes, “notamment la possibilité d’appliquer des algorithmes de dématriçage – sur mosaïque de Bayer – et de préserver un contrôle sur des paramètres tels que la balance des blancs, l’exposition ou encore les dégradés de couleurs”.

Les applications potentielles sont nombreuses dans les domaines des caméras fixes et vidéo, des voitures, des drones… Avantages revendiqués: “réduction de la bande passante – mémoire et transfert -, de la consommation et de la taille du fichier sur le support de stockage”.