Virtual Belgium In Health: outils de prospective à granularité fine

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Par · 23/01/2018

Porté successivement par deux doctorants (orientation maths et IT) de l’UNamur, encadrés par les professeurs Eric Cornelis et Timoteo Carletti, et par un chercheur de l’UCL (voir note en fin d’article), le projet de recherche VBIH (Virtual Belgium In Health) a débouché sur la mise au point d’un nouvel outil de simulation et d’évaluation des besoins en soins et services de santé, sur base de données socio-démographiques.

Financé par la Wallonie (“parrain”: l’Observatoire wallon de la Santé, dépendant de l’AViQ), ce projet est un héritier direct des travaux de recherches effectués par l’Institut naXys (centre namurois des systèmes complexes) de l’UNamur en matière de comportements de mobilité.

Les chercheurs ont mis au point une méthode mathématique et des outils de simulation et d’aide à la décision permettant de reconstituer des populations dites “synthétiques”, à petite échelle (commune, quartier) sur base de données sensibles mais anonymisées.

Compte tenu du fait que les règles en matière de protection de vie privée ne permettent pas de disposer de données relatives à la santé au niveau des individus et d’établir des statistiques précises à l’échelle des ménages, explique Eric Cornélis, la solution imaginée contourne l’obstacle “en réalisant une micro-simulation dans chaque commune wallonne en se fondant sur des statistiques disponibles à plus grande échelle et en prenant en considération les processus évolutifs de ces données.”

Petite explication…

Population synthétique

Les outils de micro-simulation, ou outils de “population synthétique”, qui ont été développés permettent de reconstruire virtuellement des populations d’individus, avec croisement de différentes variables (sexe, âge, statut professionnel…).

“Au niveau d’une commune, on connaît par exemple la pyramide des âges, la répartition par sexe, le nombre de permis de conduire, mais on ne dispose pas des croisements.”

Les données agrégées (non personnelles) utilisées proviennent du recensement 2011 (DGSIE – Direction générale Statistiques et Informations Economiques du SPF Economie) et du Registre national.

Si ces données sont réelles, pourquoi parle-t-on de “population synthétique” ou “virtuelle”?

“Les données réelles existent au niveau agrégé. Prenons un exemple: on connaît le nombre de jeunes et de vieux, d’hommes et de femmes qui existent dans une commune mais on ne connaît pas le nombre de femmes jeunes et d’hommes âgés. D’où l’intérêt de procéder à des croisements pour déterminer les besoins, que ce soit en termes de mobilité ou de soins de santé. Ces croisements sont d’ailleurs nécessaires dans la mesure où les données dont on dispose par exemple via le Registre national ne donnent aucune indication sur les diplômes. Ce genre de données se trouvent par contre dans le Census 2011.”

De la mobilité à la santé

Les travaux effectués à l’Institut NaXys de l’UNamur, sur des problématiques de mobilité ont attiré l’attention de la Région wallonne qui lui a demandé d’explorer l’usage de ces outils pour “réaliser des études prospectives permettant de planifier la manière la plus efficiente possible l’offre de soins de santé “en programmant des soins et services sur base d’une estimation des besoins à une échelle spatiale fine” afin de répondre à des besoins qui peuvent varier d’une région à l’autre. “Les besoins à Marcinelle ne sont pas forcément les mêmes qu’à Lasne…”

Distinguo

Qu’est-ce qui fait la particularité – et l’intérêt – de la solution développée par l’UNamur? En quoi est-elle meilleure ou différente de ce que l’analytique du big data peut procurer?

“L’avantage est surtout de pouvoir travailler à un niveau spatial très fin”, confirme Eric Cornelis. “Et de pouvoir suivre, à un niveau micro, l’évolution des tendances démographiques. On peut ainsi relier certains besoins en soins de santé, ou dans d’autres domaines, non pas à la situation à un moment donné, mais à l’évolution et aux événements qui se déroulent dans le temps.

Si l’on prend un exemple purement académique, on pourrait imaginer que le fait d’avoir divorcé moins de 5 ans après son mariage a un effet sur la dépression. Dans les projections démographiques telles qu’elles existent actuellement, on peut uniquement connaître le nombre de personnes divorcées à un moment T. Avec notre outil, on a un suivi longitudinal de l’évolution de la population et pas simplement des clichés à intervalles réguliers.

Nous simulons tous les événements – mariages, décès, naissances, divorces… – afin d’avoir une population à jour, d’année en année, jusqu’à un horizon 2030 ou 2040. Il devient ainsi possible de déterminer les besoins, par exemple en nombre de lits de maisons de repos, dans chacune des communes.””

Quelle différence par rapport au big data, dont le principe veut que l’importance de la masse de données accroît les chances d’en dégager des enseignements pertinents?

“Nous sommes en quelque sorte complémentaire de ce que peut procurer le big data”, souligne Eric Cornelis. “Une fois qu’on a extrait des corrélations ou des causalités entre certains éléments à partir d’une solution big data, on peut s’en servir comme input dans notre modèle et évaluer comment ces corrélations vont évoluer dans le temps, en fonction de l’évolution d’une population et à un niveau spatial très fin.”

De multiples scénarios d’analyse

Sur base des données disponibles, l’AViQ et l’UNamur ont identifié quelques exemples de conclusions et prospectives possibles. Par exemple, les différences de progression du vieillissement de la population selon les (sous-)régions (“l’Est de la province du Luxembourg et le sud de Namur seront par exemple davantage impactés que le Brabant Wallon”), le taux de diabétiques dans telle ou telle commune, de personnes souffrant de BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive), etc.

Eric Cornelis (UNamur): “Les méthodes statistiques mises au point sont applicables à de nombreux domaines, “tels que l’emploi, l’aménagement du territoire, ou encore les besoins futurs dans une population vieillissante.”

“L’Observatoire wallon de la Santé nous a permis d’avoir accès à la base de données PharmaNet [de l’INAMI] qui répertorie les prescriptions de médicaments ainsi que certaines caractéristiques des patients concernés (âge, sexe…). Parmi les données figuraient notamment des médicaments dits “traceurs” dont on sait qu’ils sont prescrits pour soigner une maladie précise. Nous avons ainsi eu des indicateurs pour le traitement de maladies symptomatiques telles que Parkinson, le diabète, la BPCO, l’ostéoporose…

Cela nous a permis de procéder à quelques démonstrations, telles que la prévision d’un accroissement du nombre de diabétiques dans les communes des provinces de Liège et de Hainaut d’ici 2030 ou encore la répartition de l’augmentation du nombre de personnes souffrant de BPCO en Wallonie.”

Qui pourra utiliser ces outils?

Les outils, modèles et interfaces développés par l’UNamur seront destinés dans un premier temps à l’Observatoire wallon de la Santé et à l’AViQ, commanditaires de la recherche. La Région wallonne a donc une sorte de droit de préemption pour les exploiter dans le cadre de l’étude des différentes problématiques de santé.

“Mais rien n’exclut de pouvoir ouvrir la solution à d’autres, avec l’accord de la Région wallonne”, souligne Eric Cornelis. “Des partenariats avec des mutualités, des centres de soins de santé, des hôpitaux sont tout à fait possibles. Un atelier a d’ailleurs été organisé, fin octobre, pour présenter l’outil à différents acteurs des soins de santé.”

La solution devrait en principe être mise à disposition sous forme de service. Reste à déterminer la manière de financer ce service. “Si on veut pouvoir maintenir l’outil, il faut préserver un certain know-how au niveau de NaXys et il faudra des personnes pour prester le service.” Les scénarios sont encore à l’étude…

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Partenaires de l’UNamur pour ce projet VBIH:

– le Centre de recherche en Démographie de l’UCL qui, outre le fait d’avoir permis l’accès à certaines données (Registre National), a collaboré au projet en “nous aidant dans la réflexion sur les évolutions démographiques de la population et en validant ce que nous faisions au niveau micro par rapport à des perspectives démographiques plus macro”, précise Eric Cornelis

– “quant à l’AViQ, il nous a fourni des exemples, des cas d’étude qui les intéressaient.”

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