Semer la graine dès les études : le pourquoi

Article
Par · 24/08/2016

Le dispositif étudiants-entrepreneurs qui vise à susciter et à faire aboutir des projets d’entreprise alors que leurs porteurs terminent leurs études supérieures est né d’un constat: les jeunes ont envie d’entreprendre mais passent rarement à l’acte. En cause: un contexte peu propice. Le “dispositif” veut donc y porter remède.

Dimitri Moreels, responsable du programme Etudiants-Entrepreneurs au sein de l’AEI (Agence wallonne pour l’Entreprise et l’Innovation): “Le programme Etudiants-Entrepreneurs s’inscrit dans la logique des résultats de différentes études qui ont révélé un fossé entre l’attitude favorable qu’affichent les jeunes face à la volonté d’entreprendre et le passage à l’acte.”

Les chiffres le prouvent de manière éclatante:

  • “attitude favorable” affichée par les jeunes vis-à-vis de l’entrepreneuriat : 93%
  • ’intention affichée de créer une entreprise : 43%
  • réel passage à l’acte : seulement… 3%.

Autre constat: l’envie d’entreprendre, d’être “son propre patron”, diminue avec l’âge.

Dans l’échantillon Ipsos, 56% des étudiants disaient vouloir devenir entrepreneur. Dans le camp des (jeunes) diplômés, cette proportion n’était déjà plus que de 50%.

C’est ce qu’il ressort d’une étude réalisée en 2013 par Ipsos à la demande de l’AEI. Elle s’était penchée sur la “perception” qu’ont les étudiants et les jeunes diplômés wallons (de moins de 30 ans) des “différentes facettes de l’entrepreneuriat et de l’esprit d’entreprendre”.

Objectif: déterminer dans quelle mesure ils sont sensibilisés ou non à la notion d’entreprendre pendant leurs études, quelle opinion ils ont de l’entrepreneuriat, quelles sont leurs motivations, les obstacles et freins perçus ou rencontrés, la perception qu’ils ont des risques, et quelles sont leurs sources d’informations sur l’entrepreneuriat et la création d’entreprise.

Taille de l’échantillon de l’étude Ipsos: 311 étudiants (dont environ 200 du supérieur) et 324 diplômés.

Principaux freins et obstacles perçus:

  • manque d’expérience professionnelle
  • manque de cours de gestion
  • manque de projet professionnel suffisamment clair
  • pas de visibilité sur la manière de réaliser un projet d’entreprise
  • complexité administrative
  • obstacles financiers
  • incapacité à élaborer un plan d’affaires intéressant
  • manque de confiance en soi

Autres enseignements et chiffres tirés de cette enquête:

  • 4 étudiants ou diplômés sur 10 (seulement, pourrions-nous dire) ont entendu parler d’“esprit d’entreprendre” dans le cadre de leurs études ou formations
  • un sur trois estime que “le système éducatif ne développe pas le sens de l’initiative et ne prépare pas à créer une entreprise”

 

  • la perception qui prédomine est celle d’une “sensibilisation superficielle”
  • de même qu’un manque d’accès à l’information: formation “trop axée sur la théorie” ; “quasiment aucune carte pour encourager les étudiants dans l’aspect pratique de la vie professionnelle”…
  • ce que les jeunes demandent le plus: des activités pratiques, des rencontres avec les professionnels et des créateurs ou chefs d’entreprise, des activités hors formation, des rencontres avec des spécialistes de l’aide à la création d’entreprise, l’intégration de journées de l’entrepreneuriat dans le cursus; la création de pools d’experts par secteur d’activités permettant aux jeunes d’accéder à des réseaux d’expertise…

6 étudiants sur 10, qui n’ont pas été formés à l’esprit d’entreprendre, sont intéressés par une formation de ce type. (Etude Ipsos 2013).

Sensibiliser ne suffit pas

D’autres statistiques confirment la faiblesse quasi chronique de la volonté d’entreprendre. Si on étend le champ d’observation à l’ensemble de la Belgique, l’indicateur TEA (Total Early-Stage Entrepreneurial Activity) belge, tel que mesuré par les enquêtes GEM – Global Entrepreneurship Monitor), était l’un des plus bas au monde en 2006. Avec un score de 2,7.
Au fil des ans toutefois, on constate un regain plus que sensible. En 2014, la Belgique était passée à 5,4, dépassant (de peu) la France, l’Allemagne, l’Italie ou encore le Danemark. Mais il s’agit d’un chiffre belge – or, on sait que le TEA wallon (virtuel puisque non mesuré) est en retrait par rapport à ceux des deux autres Régions.

Dès 2007, ce qui était encore l’ASE- Agence pour la Stimulation Economique à l’époque et qui est aujourd’hui devenu l’AEI avait initié le Programme “Esprit d’entreprendre”, afin de déployer une série d’actions de sensibilisation auprès des enseignants et des étudiants. Mais comme le prouvent les résultats de l’étude Ipsos, l’impact n’était pas suffisamment probant.

“Il était évident qu’il reste un fossé pour le passage à l’acte en dépit des formations à l’entrepreneuriat qui existent déjà dans les cursus académiques et des efforts de sensibilisation à l’entrepreneuriat”, déclare Dimitri Moreels. ‘Voilà pourquoi le gouvernement a décidé de lancer ce programme d’accompagnement de projets de création d’entreprises par des étudiants en parallèle aux cursus académiques”.

Le programme “Générations Entreprenantes”, tout en conservant son axe sensibilisation, va donc un pas plus loin en ajoutant un volet “Dispositif Etudiants-Entrepreneurs”.

Dimitri Moreels (AEI): un fossé entre l’attitude favorable qu’affichent les jeunes face à la volonté d’entreprendre et le passage à l’acte.

Le principe général? “Multiplier les expériences et les rencontres entrepreneuriales au cours du parcours éducatif afin que les jeunes acquièrent une plus grande confiance en eux-mêmes, leur permettant d’imaginer des projets de plus en plus ambitieux, de plus en plus créatifs et de mieux en mieux insérés dans les mutations du monde.”

Si l’intention première est de pousser les jeunes, au sortir des études, à créer leur propre société, les responsables du programme sont évidemment conscients que tous n’ont pas la fibre et/ou les capacités de devenir entrepreneur, de piloter une start-up et, plus tard, une entreprise mature. Mais “même s’ils ne créent pas finalement eux-mêmes une entreprise, les aptitudes et compétences acquises leur permettront d’aller avec sérénité à la rencontre d’un employeur qui pourra assurer la croissance de leur entreprise.”… “Avec d’autres effets positifs sur l’économie wallonne.”

Changement de mentalité

Les différents programmes et initiatives mis en oeuvre commencent à porter leurs fruits.

“Il y a 4 ou 5 ans, quand je présentais StarTech aux étudiants et demandais “qui a envie d’entreprendre?”, 4 ou 5 étudiants sur un auditoire de 100 personnes se disaient intéressés. L’année dernière, à Mons, de 30 à 40 des 80 étudiants qui participaient à la session d’information ont levé la main…”, déclare Slim Sediri, organisateur du StarTech et représentant de l’incubateur WSL à Mons.

Quels sont les déclencheurs?

Le bouche à oreille, entre étudiants, la multiplication des programmes de sensibilisation à l’entrepreneuriat, les témoignages d’entrepreneurs qui viennent dans les écoles… ont pour effet de susciter plus d’intérêt parmi les jeunes, avec une multiplication des projets et des demandes d’adhésion aux programmes d’incubation.

Actions de sensibilisation, témoignages et, surtout, lancement de projets ont pour effet de générer “une meilleure compréhension du métier d’entrepreneur. Trop longtemps, les étudiants confondaient grands patrons industriels et entrepreneurs… Entrepreneur était un peu synonyme d’exploiteur”, souligne Slim Sediri.

Slim Sediri (StarTech): “Un changement de mentalité, de perception est à l’oeuvre. Longtemps, entrepreneur était un peu synonyme d’exploiteur.”

“A force de taper sur le clou, de faire témoigner des professionnels, je crois qu’on est en train de passer un cap et qu’entreprendre devient quelque chose de sexy… Je dirais même parfois un peu trop parce que tout le monde n’a pas les capacités pour devenir entrepreneur. Il faut une grosse volonté, une vision…”

Autre paramètre qui joue un rôle important: l’envie de la nouvelle génération de “définir les valeurs de la société dans laquelle ils vivent, d’être en phase avec elles, apporter une plus-value à la société plutôt que de se retrouver dans de grandes sociétés où ils ne seraient qu’un numéro.”

Comme le dit Dimitri Moreels, “les jeunes [qui participent au dispositif Etudiants-Entrepreneurs] envisagent l’entrepreneuriat comme un choix et un mode de vie enthousiasmant qui leur permet de prendre leurs propres décisions, de bénéficier d’un cadre de travail souple et peut-être surtout de donner du sens à leur action professionnelle.”

Dimitri Moreels (AEI): “Ces jeunes envisagent l’entrepreneuriat comme un choix et un mode de vie enthousiasmant qui leur permet de prendre leurs propres décisions et peut-être surtout de donner du sens à leur action professionnelle.”

Supplément ou élément du cursus?

Le fait que le dispositif Etudiants-Entrepreneurs soit organisé en parallèle, en complément, au cursus traditionnel peut représenter une charge importante, voire un handicap – et c’est une contradiction – pour la réussite des études. Est-il envisageable que le programme, à terme, soit intégré, assimilé au cursus académique?

Dimitri Moreels est de ceux qui estiment que les deux ne sont pas forcément appelés à fusionner. “Je ne crois pas que les choses soient appelées à se passer de cette manière parce qu’il ne faut pas oublier la liberté académique, le choix qu’ont les établissements d’offrir ou non des cours d’entrepreneuriat. Même si de plus en plus le font… Je ne crois pas que l’université ou une Haute Ecole soit forcément le bon endroit pour mener jusqu’au bout le processus de création d’une entreprise. Le milieu académique est plutôt destiné à apporter un accompagnement initial de l’idée.”

Toutefois, certaines évolutions sont à l’oeuvre. On attend par exemple [une compétence qui continue de relever du fédéral] qu’un nouveau statut (fiscal et social) soit imaginé pour les étudiants-entrepreneurs.

Par ailleurs, des aménagements ont déjà été fait, dans un spectre qui relève des compétences des Communautés. Le statut académique de l’étudiant-entrepreneur a vu le jour. Il permet l’aménagement de certaines “facilités”: souplesse d’horaire, d’agenda d’examens, possibilité pour les étudiants de faire leur stage non plus en entreprise mais sur leur propre projet. Idem pour le travail de fin d’étude et le mémoire. Mais la décision de le permettre est laissée à chaque établissement.

“L’ULg a été la première université francophone à l’appliquer. Suivie, lors de la rentrée académique passée, par l’UCL et l’UMons. A la rentrée prochaine, la totalité du pôle académique namurois – Hautes Ecoles comprises – suivra. Plusieurs Hautes Ecoles l’exploitent déjà, notamment la Haute Ecole mosane (HELMo). Ce statut académique est un axe fort du programme.”