Génération Entreprenante: l’action après la sensibilisation

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Par · 24/08/2016

A l’AEI, l’Agence wallonne pour l’Entreprise et l’Innovation qui est le chef d’orchestre et le pourvoyeur financier de ce programme d’incubation pour projets d’étudiants entrepreneurs, on préfère parler de “dispositif” plutôt que d’incubateur.

“C’est en effet bien plus que de l’accompagnement et du coaching sur une période de deux ans. Le programme s’appuie sur le statut académique de l’étudiant-entrepreneur [voir encadré ci-dessous], inclut du réseautage, tant régional qu’international, entre porteurs de projets et avec des entrepreneurs établis, la mise à disposition d’espaces de travail pour les étudiants, et de multiples partenariats avec les divers acteurs de l’animation économique de chaque territoire géographique”, explique Dimitri Moreels, responsable du programme au sein de l’AEI.

Cinq de ces “dispositifs” (on devrait quand même trouver un nom plus “sexy”…) sont désormais opérationnels en partie francophone du pays. Après Liège (Venture Lab), qui a pris une année d’avance, et Louvain-la-Neuve (Yncubator), Charleroi et Mons sont entrés en jeu au début 2016. Namur suivra à la rentrée.

Au total, ce sont cette année 40 projets d’étudiants-entrepreneurs qui sont ainsi accompagnés – soit le double de ce qui avait été imaginé au départ. On verra toutefois au fil de ce dossier qu’un certain flou prévaut parfois dans le décompte des projets considérés comme relevant du programme (voir l’article consacré au dispositif montois).

Un statut “étudiant-entrepreneur” en devenir

Au niveau de la Communauté française, des dispositions avaient été prises depuis un certain temps déjà afin de mettre en oeuvre le statut académique de l’“étudiant-entrepreneur” permet d’octroyer certaines “facilités” aux étudiants qui se lancent dans l’entrepreneuriat: souplesse d’horaire, d’agenda d’examens, possibilité pour les étudiants de faire leur stage non plus en entreprise mais sur leur propre projet. Idem pour le travail de fin d’étude et le mémoire. Mais la décision de le permettre est laissée à chaque établissement.

Reste au fédéral à définir un statut social/fiscal qui permette aux étudiants de réellement devenir entrepreneurs. A savoir: avoir la possibilité de travailler et de percevoir des revenus grâce à leur jeune pousse, bénéficier de conditions fiscales favorables (exonération partielle des lois sociales, préservation du droit aux allocations familiales et du statut de personne à charge.)…

Ce statut semble devoir prendre forme. Début juillet, en parallèle avec une révision du statut d’étudiant-jobiste (à ne pas confondre…), un avant-projet de loi a été mis sur les rails, des mains des ministres Willy Borsus et Maggie De Block. Il prévoit notamment un relèvement des revenus autorisés, le choix d’un statut de “travailleur occasionnel” et l’exemption de cotisation sociale pour une tranche de revenus allant jusqu’à 6.505 euros. [  Retour au texte  ]

40 à 50% de création de jeunes pousses

Le programme a pour particularité – et but affiché – de déboucher sur de la création d’entreprises. “On est donc au-delà de la sensibilisation et de la formation proprement dite”, insiste Dimitri Moreels. Et les attentes sont à la hauteur. En finançant ce programme, le gouvernement wallon veut des résultats. “De 40 à 50% des projets accompagnés doivent déboucher sur la création de start-ups au bout du cycle, qui est de deux ans ou deux ans et demi”.

Si le quota n’est pas atteint, il n’y a pas (en tout cas, pas dans l’état actuel des choses) de sanction financière à la clé (par exemple, sous forme d’une diminution de l’enveloppe allouée). Mais un cadrage pourrait intervenir à terme.

De même, de nouveaux indicateurs, pour évaluer la pertinence et le succès de l’opération, devront être définis. Et l’on pense par exemple à l’évaluation de la “qualité” et/ou de la pérennité des jeunes pousses qui auraient ainsi vu le jour.

Libre de gérer comme ils le veulent

Les “dispositifs” ont été placés sous la responsabilité, dans chaque sous-région, d’un organisme spécialisé dans l’animation économique et le lancement et l’accompagnement de société. Par exemple, le CEI (centre d’entreprise et d’innovation) à Louvain-la-Neuve, à Mons et à Charleroi ; le Bureau économique de la Province, à Namur.

“Hormis ce cadre, chacun a une assez grande liberté de manoeuvre” en ce qui concerne les moyens mis en oeuvre et la forme d’accompagnement. La preuve en est les programmes mis en oeuvre à Louvain-la-Neuve (voir notre article sur le Yncubator) et à Liège (voir notre article sur le VentureLab).

24 à 36 mois. Et plus si affinités?

Tel qu’imaginé – et financé -, le programme prévoit une incubation de deux ans à deux ans et demi. Pas plus. Au-delà, la jeune pousse, si elle a vu le jour, doit quitter l’enceinte du “dispositif”.

Quoique? A Liège, par exemple, on se penche déjà sur la question de la durée…

“Le cadre a été fixé à deux ans et demi maximum notamment pour des impératifs budgétaires”, indique Dimitri Moreels. “Si la durée devait être étendue, il faudrait sans doute replacer cela dans le cadre d’autres financements… Mais c’est là l’un des points que nous ne manquerons pas d’examiner. Nous sommes dans un processus d’évaluation permanente.”

Rien n’est possible sans la “matière première”

Le lancement d’initiatives telles que ce dispositifs d’incubation pour étudiants-entrepreneurs ou, de manière plus large, les diverses actions et les programmes placés sous la bannière “Générations entreprenantes” intervient à un moment-clé aux yeux de leurs divers promoteurs.

Dimitri Moreels (AEI): “De 40 à 50% des projets accompagnés doivent déboucher sur la création de start-ups au bout du cycle.”

Il s’agit de capter, de répondre aux attentes d’une génération nouvelle et, dès lors, d’éviter de gâcher les opportunités qu’elle recèle.

“Nous assistons à l’émergence d’une génération qui, pour partie, ne peut que difficilement se satisfaire – de par son mode de fonctionnement, son rapport au monde et au travail – des carcans qu’imposent trop souvent un certain type de salariat”, déclare Dimitri Moreels.

“Ces jeunes envisagent l’entrepreneuriat comme un choix et un mode de vie enthousiasmant qui leur permet de prendre leurs propres décisions, de bénéficier d’un cadre de travail souple et peut-être surtout de donner du sens à leur action professionnelle. Leur permettre d’emprunter cette voie à un moment de leur vie où ils ne prennent que peu de risques, les accompagner, les encourager, faciliter leur cheminement, voilà ce à quoi, au-delà des chiffres et des objectifs, nous nous employons avant toute chose.”

Générations Entreprenantes

Dès 2007, l’AEI (à l’époque, en fait, l’ASE- Agence pour la Stimulation Economique, avait initié le Programme “Esprit d’entreprendre”, essentiellement basé sur des actions de sensibilisation auprès des enseignants et des étudiants.

Le programme “Générations Entreprenantes” en est le prolongement. Le principe? “Multiplier les expériences et les rencontres entrepreneuriales au cours du parcours éducatif afin que les jeunes acquièrent une plus grande confiance en eux-mêmes, leur permettant d’imaginer des projets de plus en plus ambitieux, de plus en plus créatifs et de mieux en mieux insérés dans les mutations du monde.”

Bilan de l’année académique 2015-2016:

  • près de 16.000 jeunes sensibilisés par des “actions d’éveil aux attitudes entrepreneuriales”
  • une vingtaine d’animations (menées par les CEI, WSL, YouthStart, ICHEC, 100.000 Entrepreneurs…)
  • plus de 600 étudiants du supérieur inscrits dans des programmes académiques orientés entrepreneuriat
  • plus de 120 enseignants inscrits et acteurs des formations (pour un total de 1.500 heures réparties en une dizaine de thématiques – mise en projet entrepreneurial, génération Y / Z, pédagogie via projet, créativité…)
  • 17 établissements désignés “écoles entrepreneuriales” en raison d’un programme d’activités (environ 1/3 au secondaire, 2/3 au supérieur)

Le financement

A l’exception du Venture Lab, qui fut le premier à voir le jour avant même que le programme de l’AEI ne soit sur les rails et qui s’est aussi tourné vers des financements privés, les différents “dispositifs” pour étudiants-entrepreneurs sont entièrement financés par l’AEI.

“Le budget alloué pour l’année académique 2015-2016 s’élevait à 500.000 euros”, précise Dimitri Moreels. “Une courbe de progression est envisagée pour atteindre le montant de 1.650.000 euros pour l’année académique 2019-2020.

Cette progression est liée à l’augmentation du nombre de projets accompagnés. Nous visons un triplement du nombre de projets en portefeuille à l’horizon 2018-2019. Cette année-là, nous aurons atteint notre vitesse de croisière et 200 projets étudiants-entrepreneurs seront donc accompagnés simultanément sur le territoire wallon.”

Toutefois, les différents incubateurs semblent désireux d’envisager des pistes complémentaires de financement. En en appelant donc au privé. C’est là une chose que certains estiment utile sinon indispensable pour pérenniser l’existence des “dispositifs”.

Pour les pérenniser, il faudrait aussi éviter la dispersion, voire le morcellement. Dans le Hainaut, par exemple, on est conscient que la présence de trois dispositifs étudiants-entrepreneurs – un à Charleroi et deux à Mons – fait un peu “too much”. Surtout comparé au Venture Lab qui couvre à la fois les provinces de Liège et de Luxembourg. Pour convaincre le privé de s’engager, “il faudra travailler en réseau, dans une vraie logique, afin de bénéficier d’une plus importante visibilité”, reconnaît par exemple Marc Dewulf, coordinateur des projets Esprit d’Entreprendre (dont le Start Me Up Challenge) de Charleroi.

Un financement public n’est en effet pas coulé dans l’airain et peut être revu, à la baisse généralement, après un certain temps. Que ce soit pour des raisons de contraintes budgétaires ou… si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Un taux de réussite (lancement de société) de 40 à 50% est un objectif plus qu’ambitieux. Quid si la barre n’est pas franchie ? Sera-t-elle abaissée ? maintenue avec réduction de financement à la clé pour ceux qui ne l’atteindraient pas ? Trop tôt pour le dire ou le deviner.

L’appel à des financements privés n’impliquerait certes pas plus de mansuétude de la part des financeurs mais permettrait de diversifier et d’étayer les moyens.