Prayon et la valeur stratégique des données

Pratique
Par · 02/06/2016

Il n’y a pas de petite société, pas d’entreprise dont le secteur d’activités immunise contre la nécessité d’une dynamisation et modernisation par le biais des nouvelles technologies. Il n’y a que des sociétés qui perçoivent – ou non – la nécessité, stratégique, commerciale, financière, concurrentielle, de maximiser leurs chances.

C’est un peu le crédo d’Yves Caprara, patron de Prayon, l’un des grands noms sur le marché de la production de phosphates destinés tant à l’alimentation qu’à l’horticulture ou à des applications industrielles à haute valeur ajoutée (réfractaires, batteries…).

“Face au changement fondamental de nos modes de vie mais aussi de la mutation profonde des métiers et de l’industrie, sous l’effet des technologies numériques, un acteur industriel tel que Prayon ne peut ignorer les bouleversements et continuer comme par le passé”, assénait-il par exemple lors qu’une conférence devant les membres de l’ADSIF, l’Association des Directeurs des Systèmes d’Information francophones.

Et c’est dans une véritable révolution de culture et de solutions informatiques qu’il veut embarquer sa société. Raison pour laquelle il a confié à son nouveau directeur informatique, Marc Senterre (venu de UCB Pharma), un rôle actif au sein du comité de direction. “Le responsable IT ne peut demeurer un simple adjoint du directeur financier. Il siège désormais dans le leadership council. Et cela change tout. Le CIO doit avoir une obligation stratégique, décliner une véritable stratégie, analyser les risques de l’IT. Le CIO devient stratège et permet à la société d’évoluer.”

Des données inertes

Yves Caprara: “utiliser le big data pour améliorer l’efficience et rivaliser avec les grands du secteur.”

Au-delà d’une refonte et d’une modernisation de son infrastructure et de ses logiciels applicatifs (passage à Office 365, déploiement d’une solution de CRM mobile…), Prayon veut “faire évoluer rapidement” ses départements production, marketing et ressources humaines en exploitant plus efficacement le big data.

Une usine chimique telle que Prayon dispose – de plus en plus – d’une pléthore de données venant tant de ses systèmes opérationnels et de gestion que des multiples capteurs qui sont déployés tout au long de la chaîne de production, “pour mesurer le taux d’humidité, de pH, de vibrations, la présence de personnes… On pourrait utiliser ces myriades de données pour prédire par exemple les pannes, les rejets d’acides phosphoriques… mais on ne le fait pas.”

Ou du moins pas jusqu’ici. Chez Prayon, les choses vont bientôt changer. Objectif: “utiliser le big data pour améliorer l’efficience marketing et, en production et innovation, rivaliser avec les grands du secteur, du genre Basf.”

Quatre groupes de travail-pilote

L’exploitation du big data n’est pas une sinécure. Il faut tout d’abord déterminer les buts que l’on désire atteindre et ensuite trouver la bonne méthode pour obtenir des interprétations utiles des myriades de données collectées et brassées.

Pour se lancer à l’eau, Prayon a identifié 4 départements et thèmes-pilote: commercial, recherche, innovation, industrie (secteur des phosphates). L’analytique de mégadonnées n’étant pas une compétence maîtrisée en interne, il a été décidé de procéder d’une manière assez originale. Si le fait de recourir à des spécialistes externes, spécialisés en analytique, n’a rien d’inhabituel, ce qui l’est nettement plus, c’est… de faire appel, en parallèle, à plusieurs partenaires.

C’est ce qui est en train de se passer chez Prayon. Pour les besoins du groupe de travail “Industrie”, 3 jeunes sociétés ont reçu comme mission d’analyser les données concernant le fonctionnement des usines en vue de prédire la qualité des produits qu’elles fabriquent. Prédire et donc non pas constater.

Ces trois partenaires – Pepite (voir note de bas de page), Eura Nova et B12 Consulting – auront une semaine pour boucler l’exercice. But recherché: voir ce qui ressort de leurs cogitations selon des axes de travail forcément différents et dégager des axes majeurs de conclusions.

“On collecte presque tout mais on est loin de tout analyser. Il faut identifier les tendances significatives afin de pouvoir alerter anticipativement les ingénieurs process.”

En matière de production, l’analyse des mégadonnées, en ce compris dans une approche prédictive, devra permettre d’améliorer performances et rendement. Et cela ne concerne pas uniquement les processus de Prayon elle-même mais aussi et peut-être surtout ceux de ses partenaires et sous-traitants. Plus particulièrement dans des régions telles que la Chine, essentielles pour des raisons économiques mais où l’intégration des processus de production et le suivi automatique des différentes étapes font encore largement défaut.

Les enjeux sont énormes pour une société telle que Prayon. La production de phosphates de fer lithiné, par exemple, vise les secteurs des véhicules électriques et hybrides et du stockage de l’énergie.

“Le but ultime, le nirvana, c’est le zéro défaut, la maîtrise et élimination des variations. Il faut pouvoir identifier les tendances afin d’être par exemple en mesure de prédire une panne. L’analyse doit être constante, sur chaque élément de la chaîne”, insiste Yves Caprara. “En s’appuyant sur les statistiques, il devient possible d’avoir une vision prévisionnelle, de détecter toute variation dès le départ.

Le vainqueur [dans notre secteur] sera celui qui aura la maîtrise des matières premières, qui saura gérer, prévenir, éliminer les impuretés.”

Les deux domaines sur lesquels Prayon concentrera tout d’abord son attention, en analytique, sont ceux des batteries et de la production d’acides.

Si Prayon se tourne, dans un premier temps, vers des start-ups externes en raison de leurs compétences en analytique et algorithmique, le savoir-faire et les capacités en termes d’évolution des modèles, de paramètres et d’algorithmes seront à terme rapatriés en interne.

Yves Caprara: “Sur le créneau des voitures automobiles, la clé de la bataille que se livrent les constructeurs et des acteurs tels que Google ou Apple est la batterie. Ce sont les chimistes qui vont gagner. Il faut dès lors allier les coûts de la Chine à une rigueur toute germanique, convaincre les Chinois de devenir des partenaires mais avec ce qui se fait de mieux en termes de technologies européennes de suivi de la production.”

Pour les besoins du département marketing, la démarche sera différente. Là, c’est un professeur en marketing de HEC et une étudiante qui, pendant 18 mois, plancheront sur l’analyse de mégadonnées générées sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) au sujet du secteur et des métiers des phosphates. Objectif: “établir une cartographie du marché des phosphates en termes de concurrence, de tendances, de partenaires et de solutions, afin de se positionner le plus rapidement possible.”

Le groupe de travail Innovation, pour sa part, est chargé de traquer l’information au sein-même de Prayon (qui sait ou détient quoi) et de mettre en oeuvre une plate-forme interne de crowdsourcing “afin de promouvoir l’innovation en interne avant de l’ouvrir vers l’extérieur”.

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Ce n’est pas la première fois que Prayon sollicite Pepite. Un projet analytique, mis en oeuvre par la start-up liégeoise pour des finalités plus orientées optimisation énergétique, avait par exemple décroché le premier prix aux Energy Award de 2013.

Relire notre article “Prayon: dompter les processus et leurs aléas”.  [ Retour au texte ]