Cook4Chance: quand la ‘sharing economy’ finance des MOOC de programmation pour réfugiés

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Par · 24/02/2016

L’ONG Kiron, qui oeuvre en faveur de l’accès des réfugiés à l’enseignement supérieur, et la start-up Meetsies (comment se faire de nouveaux amis en organisant des rencontres culinaires ou autres) ont imaginé un programme d’un type nouveau pour l’insertion des réfugiés.

L’initiative “Cook4Chance” consiste à utiliser l’argent récolté lors de soirées et événements Meetsies pour financer l’accès à des cours de programmation pour les réfugiés. Ou comment transformer l’économie du partage en engagement citoyen.

L’initiative concerne en premier lieu la région bruxelloise mais rien, a priori, n’empêche qu’elle se propage à toutes les régions, villes, villages et campagnes de Belgique.

Le levier en sera le Belge ou le résident lambda. Les utilisateurs de la plate-forme Meetsies sont invités, lorsqu’ils organisent leurs rencontres entre voisins ou entre purs inconnus, à reverser une partie ou la totalité de la recette à l’ONG Kiron. L’organisateur du “meetsie” signale d’office sur le site la part qu’il reverse au programme Cook4Chance, le système se charge de distribuer automatiquement l’argent vers le destinataire. Tous les participants aux “meetsies” sont en outre informés de l’utilisation qui est faite de leur contribution: bénéficiaires, nombre d’ordinateurs ou d’accès Internet financés…

“Le but est d’aider les réfugiés à s’intégrer dans la société, en les percevant non comme des victimes et bénéficiaires, mais comme ce qu’ils sont: des individus, qui ont de nombreuses richesses culturelles à apporter à notre société”, soulignent les initiateurs du projet.

Formation en-ligne, pour commencer

Kiron a tout d’abord lancé son “université” en Allemagne. Le principe? Les migrants et réfugiés reçoivent, gratuitement, les outils (ordinateurs, connexion Internet) et l’accès aux cours, en l’occurrence des MOOC ou SPOC (cours ouverts pour multiples apprenants ou cours en-ligne privés) organisés par quelques universités de prestige, déjà partenaires de l’ONG. Parmi elles: Harvard, Stanford, le MIT, Yale. Les fournisseurs de contenus (cours en-ligne) sont notamment EDX, Coursera, iversity et openHPI (la plate-forme du Hasso Plattner Institut). Kiron encadre ces cours pour procurer un espace e-learning efficace.

Témoignage d’un jeune Syrien

Il se prénomme Nader. 19 ans à peine, venant de Syrie. Un jeune qui arrive démuni de tout, comme tant d’autres, n’ayant plus qu’une ferme volonté de s’en tirer comme tout bagage. Il est l’un des 7 premiers inscrits à la Code School belge de Kiron. “J’apprend le néerlandais et… Excel”, déclare-t-il.

Quand on lui demande ce que la Kiron Code School représente pour lui et pour ses compagnons réfugiés, la réponse, formulée en anglais, secoue quelque peu, révélatrice de ce qu’ils vivent réellement: “It’s a chance to improve our skills. But, in fact, Kiron is not a chance. It’s a hope. We don’t have a chance here. What we need is hope. The hope to perhaps start a good life, to find a school and a job…

Avantages pour les réfugiés: une gratuité totale, pas de contraintes, de documents juridiques nécessaires (préalable classique à une inscription), une “scalability” sans borne puisque tout, dans un premier temps, passe par des MOOC.

Les universités partenaires garantissent en outre la validité et l’équivalence des crédits acquis et permettent aux réfugiés formés d’effectuer une troisième année sur leur site (dans le cas des formations en deux ans, proposées par Kiron).

En Allemagne, la “sauce” a déjà pris. L’organisation a procédé, voici quelques mois, à une campagne de crowdfunding qui lui a rapporté 500.000 euros. Depuis, associations et entreprises commencent à s’intéresser au phénomène pour le sponsoriser. Google Allemagne, par exemple, est devenu partenaire. 1.300 réfugiés se sont déjà inscrits à des cours, dans l’une des 4 disciplines en-ligne organisées (ingénierie, économie, informatique, sciences sociales).

Voici peu, Kiron a débuté ses activités sur le sol belge, y lançant une “Code School”, sous forme de cours en-ligne dédiés à la programmation. De quoi devenir programmeur Android ou iOS, concepteur d’applications Web, spécialiste User Experience. Partenaire pour les cours de programmation: Udacity.

Juan David Mendieta (Kiron Belgique): “Pour un réfugié, une formation en développement logiciel est la meilleure opportunité de trouver rapidement preneur pour ses compétences.”

“Nous avons choisi de proposer d’abord des cours de programmation parce que ce genre de formation est celle qui procure les meilleurs débouchés, dans les meilleurs délais pour les réfugiés. Pas question par ailleurs de barrière linguistique. Ce qui compte, surtout, ce sont les compétences, aux yeux des futurs employeurs”, souligne Juan David Mendieta, co-fondateur de l’antenne belge.

A cet égard, d’ailleurs, l’organisation est en recherche active de sociétés partenaires qui s’engageraient à embaucher les personnes formées une fois leur parcours accompli. Des contacts ont déjà été noués avec les “Big 4” mais toutes les entreprises, voire les organismes publics, sont évidemment des “cibles” potentielles.

Durée des cours à la Code School belge (déjà 7 inscrits à ce jour): 8 mois de formation (moitié sous forme de cours, moitié sous forme de travail sur projet), suivis de 2 mois de stage en entreprise ou start-up. En plus d’une auto-formation en-ligne, les apprenants sont encadrés par des ‘mentors’ qu’ils rencontrent plusieurs fois par semaine.

A noter que la Kiron University possède également des bureaux à Paris, à Amsterdam, à Istanbul (depuis décembre dernier, en raison de l’afflux massif de réfugiés syriens) et en Jordanie.

Renouer avec le vrai partage

Meetsies, née voici 6 mois à Bruxelles, s’inscrit dans la vogue de l’économie de partage. L’idée? Restaurer des liens spontanés et conviviaux entre connus ou inconnus au tour d’un repas (ce fut la première activité proposée via le site) ou d’une autre activité conviviale (la start-up s’ouvre désormais à des organisateurs de soirées autour de jeux de société, d’une découverte littéraire, d’une projection de film…).

Comme tout projet du genre, Meetsies se rémunère par le prélèvement d’une commission (15%) sur le prix fixé par l’hôte. Mais le but du trio de fondateurs – Ségolène Martin, Peter Heremans et Nik Subramanian – n’est pas de monétiser au maximum l’idée. Ils disent vouloir en revenir ) la vraie dimension du terme “social” qu’on trouve dans “réseau social” et au vrai partage alors même que la “sharing economy” est de plus en plus cannibalisée par les intérêts commerciaux et la dérive qu’est la face vénale de l’“ubérisation”.

Illusoire? Peut-être. Mais l’équipe dit vouloir se tenir à l’écart de toute visée commerciale. “Nous avons jusqu’ici refuser les mises de fonds parce que l’arrivée d’investisseurs est lourde de contraintes et d’exigences”, souligne par exemple… “Le nom de la start-up le dit clairement: le leitmotiv de la plate-forme n’est pas la nourriture en soi mais la rencontre entre personnes.” La viabilité à long terme de Meetsies devra donc venir d’autres voies que la monétisation de ces rencontres…

La start-up commence à reproduire son modèle à l’étranger. Voici 3 semaines, une antenne virtuelle s’est ouverte à Dublin. Prochaine étape… Saint-Pétersbourg.